Première
Junhee, femme sans âge et romancière reconnue, se promène dans les quartiers tranquilles de la banlieue de Séoul. Coupe carrée, visage ascétique et foulard à motif au cou. Elle va d’une librairie à un parc, d’un sourire amical à une salle noire. Regarde un ciel, un passant, une rivière, l’eau qui coule. S’attarde avec une vieille connaissance. Se remémore quelques souvenirs heureux. Croise un réalisateur et son épouse, un étudiant en cinéma, un poète. Puis commence à faire un film avec une jeune actrice.
Avec La Romancière, le film et le heureux hasard (Grand prix du jury à la Berlinale en février 2022), le prolifique cinéaste sud-coréen Hong Sang-soo poursuit son œuvre minimaliste et magistrale, dans les confins des sentiments et des rencontres fortuites. Encore une fois, le réalisateur crée une intrigue ténue, resserrée sur quelques personnages héros, et choisit des plans fixes, épurés, en noir et blanc. Ses longs-métrages se ressemblent (ou se répètent même) pour mieux se différencier. Ici, il célèbre l’admiration. Chacun admire l’autre. Et le lui dit spontanément. « J’ai tout lu de vous », « Vous êtes charismatique », entend-on. Certains compliments sonnent faux, complaisants, révèlent des rivalités (cinématographiques ?) latentes. D’autres amènent les personnages vers des rencontres sororales et des rêves fous. Leçon finale du grand maître coréen : il vaut mieux admirer qu’être admiré. La première rend possible l’émerveillement, quand la seconde semble gêner et enserrer l’esprit. Ou variante : mieux vaut regarder qu’être regardé.
Estelle Aubin