-
Comme Bertrand Bonello, Bennett Miller transcende le biopic illustratif pour livrer un film sépulcral fascinant. Chaque année, à Cannes, on s’amuse à trouver des correspondances entre les films, à cerner des thématiques, à dégager des tendances, bref à donner du sens à une sélection qui, parfois, n’en a pas. Risquons-nous néanmoins, à mi-Festival, à établir un jeu de miroirs entre les deux films les plus envoûtants de cette première semaine : Foxcatcher et Saint Laurent. Dans les deux cas, le héros est un créateur omniscient, persuadé de son génie, secret, drogué, sujet aux sautes d’humeur, jaloux de son pouvoir, doublé d’un petit enfant paumé dont le besoin d’amour est proportionnel à son égoïsme et à sa mégalomanie. Bennett Miller et Bertrand Bonello les enveloppent par leur mise en scène sensitive et atmosphérique d’une aura de mystère et de morbidité qui participe de la fascination qu’ils exercent sur le spectateur. La grosse différence réside dans la nature du héros : géniale, s’agissant de Saint Laurent ; médiocre, concernant John E. du Pont. Incarné jusqu’au malaise par Steve Carrell, méconnaissable derrière son nez d’aigle et ses dents jaunis, cet extravagant milliardaire se piqua dans les années 80 de coacher deux frères champions de lutte pour assouvir ses rêves de grandeur en vue des Jeux Olympiques de Séoul. À cet effet, il mit sur pied une structure unique en son genre où il s’improvisa entraîneur en chef, mentor et père de substitution pour certains de ses poulains, dont Mark Schultz (Channing Tatum, ténébreux), Champion Olympique en 1984 comme son frère aîné Dave (Mark Ruffalo, solaire). Souffrant d’un manque de reconnaissance et de blessures d’enfance jamais refermées, Schultz junior noua avec Dupont une relation filiale toxique dont Miller se garde d’expliciter les tenants et les aboutissants. Foxcatcher et Saint Laurent se retrouvent dans cette volonté de dédramatisation permanente, dans cette mise à nu des personnages passant moins par les dialogues que par les corps-à-corps aussi rugueux que sensuels et les silences évocateurs. Films à clés, drames métaphysiques, biopics éthérés, comme vidés de leur dimension iconique pour mieux toucher à l’essence des êtres, Foxcatcher et Saint Laurent entament à distance une danse macabre que les jurés cannois seraient bien inspirés d’applaudir.
-
Un récit inspiré de faits réels, un casting trois étoiles, des acteurs croulant sous le maquillage et les prothèses : à première vue, "Foxcatcher" affiche la panoplie ronflante du film à Oscars. Pourtant, à l’instar de ses précédents films "Truman Capote" et "Le Stratège", qui arboraient les mêmes clignotants académiques, le nouveau long métrage de Bennett Miller sème le trouble sous sa surface amidonnée. Le cinéaste creuse ses thématiques obsessionnelles, à savoir la lutte des classes dans l’entertainment, les tensions sexuelles et les jeux de manipulation. "Foxcatcher" n’est pas vraiment un biopic, ni un film de sport, ni un huis clos dramatique. Il est tout cela à la fois. C’est l’histoire d’un colosse aux pieds d’argile (Channing Tatum, mâchoire en avant, regard d’enfant) écrasé par le charisme de deux personnes qui lui veulent (a priori) du bien, son frère (le génial Mark Ruffalo, d’une douceur magnétique) et le milliardaire John du Pont (Steve Carell, effrayant et pathétique). Le premier prend tellement de place dans sa vie qu’il lui fait perdre consistance. Le second le gave de son argent comme une oie pour mieux le dévorer. L’un l’essore, l’autre l’engraisse. L’intensité tragique de ce triangle des Bermudes masculin se cristallise et s’incarne dans une scène saisissante où Mark doit perdre cinq kilos en une heure et demie, déchiré entre ses deux mentors. Sur la balance comme dans sa tête, l’équilibre semble inaccessible. Le réalisateur dessine les enjeux du film en fin portraitiste. Tel un ornithologue, il se concentre sur l’observation comportementale de ces drôles d’oiseaux. Sans les résoudre, il donne à voir les tensions et les fêlures via le corps des personnages : l’autodestructeur Mark se frappe violemment le visage, l’ultrasolitaire John du Pont s’agrippe aux jambes de "ses" lutteurs, Dave le mâle dominant pose systématiquement sa main sur la nuque de ses interlocuteurs et de ses adversaires. Ce geste à la fois tendre et souverain, on le remarque dès la magnifique première scène d’entraînement où l’étreinte fraternelle, affectueuse mais vampirique, vire progressivement au déchaînement de brutalité. Alors que la mise en scène, sobre et distanciée, s’articule dans un montage des plus fluides, des pôles antagonistes se mêlent, générant une ambiguïté permanente. Les silences, nombreux, prennent alors une incroyable consistance. Ils forment les asphyxiantes respirations de ce fascinant drame.
Toutes les critiques de Foxcatcher
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
-
Un film très réussi, oppressant et captivant. La réalisation est léchée mais sans effets de manche. (...) Steve Carell et Channing Tatum crèvent l'écran.
-
Une mise en scène puissante, un casting exceptionnel et une tension latente et ambigüe font de ce long-métrage un objet insaisissable qu'il nous faudra certainement questionner à nouveau.
-
Le film nous surprend en même temps qu’il incarne tout ce que l’on veut voir au cinéma ; il est titanesque et pourtant s’adresse à nous, droit dans les yeux.
-
Un drame prodigieux, tiré d'une histoire vraie, dont la mise en scène frise tout simplement la perfection.
-
"Foxcatcher" s’attache au moindre détail du cadre dans une maîtrise qui confine au délire méthodique, sans toutefois étouffer l’étrangeté et les affects dont les images sont pleines. C’est une œuvre dense et aboutie, subrepticement marxiste mais d’une simplicité biblique.
-
Derrière le côté "histoire vraie", le classicisme et les perfs d'acteurs, le film raconte en substance les rêves brisés, la cristallisation, le vampirisme comme la complexité indicible des liens réels comme fantasmés, se révélant aussi sombre que troublant.
-
Un film fascinant. Porté par une mise en scène virtuose, qui ne craint pas les silences, "Foxcatcher" baigne dans une ambiance étouffante, à l’image de l’emprise que du Pont, en mentor, exerce sur son disciple.
-
Foxcatcher fait partie de ces films dont on (re)parlera d’abord pour la performance surprenante de Steve Carell. Grimé, mais pas trop, la star de la série The Office donne vie – et corps – à son personnage de milliardaire mégalo et cyclothymique sans cabotiner. Etrange mais pas tout à fait monstrueux, inquiétant mais pas totalement psycho… Difficile ne de pas être captivé par chacune de ses apparitions à l’écran.
-
"Foxcatcher" pourrait juste être le feel bad movie de l'année. Mais c'est tellement bien joué que les spectateurs ne voudront pas rater cette sombre et effrayante histoire.
-
D’une sobriété exemplaire, la mise en scène de Bennett Miller ne joue jamais la carte de la virtuosité. Malgré quelques longueurs, "Foxcatcher" est un petit chef d’œuvre instantané dont la fin glace le sang et sonde profondément les âmes sur le prix de la liberté.
-
"Foxcatcher", jeu de masques langoureux, bonneteau existentiel vertigineux mais aussi beau film lyrique sur le sport et l’alchimie hasardeuse d’un état de grâce.
-
Steve Carell réussit une vraie performance en menace prête à exploser. "Foxcatcher", l'un des meilleurs films de l'année, met en lumière les failles de l’exception américaine.
-
En ce qui concerne la psychologie des personnages, "Foxcatcher" est remarquable et étrangement imprévisible.
-
Steve Carell, Mark Ruffalo et Channing Tatum offrent de superbes performances dans cette puissante et perturbante histoire policière de Bennett Miller.
-
Carell a plongé dans son personnage très inquiétant, au lourd passé, avec des arguments de jeu tout neufs. Résultat : le moindre de ses regards, la plus anodine de ses répliques face à Channing Tatum sont sous haute tension. Contre un acteur pareil, on ne peut pas lutter.
-
Bennett Miller, en choisissant ne pas aller du côté de la farce outrancière qui est aussi souvent l’héroïsation du personnage le plus malfaisant, agit en puritain minimaliste. Pour une fois que ni le fantôme de Kubrick ni le cousinage de Malick ou la tape dans le dos du buddy Tarantino ne viennent parasiter un film d’auteur américain de cette catégorie, on dit : merci.
-
"Foxcatcher", comme Du Pont lui-même, nous transporte sans pour autant nous donner l'occasion de nous mettre dans la peau du héros.
-
Méconnaissable avec sa prothèse nasale et une peau blanchâtre, Steve Carell livre une interprétation mémorable, quelque part entre Norman Bates et Howard Hughes.
-
Bennett Miller s'était déjà intéressé au sport (...) et à sa dimension mythique, dans l'excellent Le Stratège, avec Brad Pitt. A travers l'histoire des frères Schultz et de Du Pont, il avait de quoi faire, en termes d'ingrédients : car c'est une sorte de tragédie grecque qui se joue ici, sur fond de fratrie passionnelle, de pouvoir abusif, de mainmise et d'émancipation. A cela s'ajoute l'aspect politique : Du Pont est un patriote acharné, convaincu que la lutte est un moyen de redorer le blason de l'Amérique face à l'URSS.
-
"Foxcatcher" est l'homélie funèbre d'une époque, l'autopsie d'un rêve américain absurde. Après "Capote" et "Le Stratège", Bennett Miller s'impose comme un des grands de sa génération.
-
"Foxcatcher" est brillant, mais peut difficilement être qualifié de récréatif. Il s'agit là d'un film d'auteur créatif, poétique, fort, mais étonnamment provocant et perturbateur.
-
FOXCATCHER n’est donc pas un film de sport – comme LE STRATÈGE ne l’était pas non plus –, mais un thriller mental à faire froid dans le dos. Les plans sont longs, l’ambiance – souvent au silence – est absolument glaçante. Mark Ruffalo est accablé par l’inquiétude, Channing Tatum (bestial et massif) est dévoré par la névrose, et Steve Carell, méconnaissable et toxique, est rongé par la psychose. C’est creepy de bout en bout. Et absolument magistral dans la fascination qu’il génère.
-
Carell, triste et terrifiant, pousse, avec cette performance tout en ambiguïté, le film de la success story sportive vers le thriller psychologique.
-
Une mise en scène puissante, un casting exceptionnel et une tension latente et ambigüe font de ce long métrage un objet insaisissable qu'il nous faudra certainement questionner à nouveau.
-
Voilà un cas intéressant de film zéro défaut dont on peine à dégager les qualités au-delà de ses... qualités presque trop évidentes. On appelle ça l’académisme, qui n’est pas forcément un vilain défaut, mais qui ne doit pas empêcher de sortir d’un rail ronronnant. On n’oublie pas pour autant comment Bennett Miller filme avec conviction et talent cet étrange sport, composant aussi une superbe bande son lors des joutes.
-
C'est tout le mérite de Bennett Miller d'avoir tiré un drame de ces fastidieux exercices. Avec un autre que lui derrière la caméra, on jetterait l'éponge assez vite.
-
Bennett Miller nous livre un mélange de film sportif traditionnel: préparation, apogée du champion, descente aux enfers… Doublé d’une relation trouble entre les deux protagonistes, similaire en bien des points à celle qu’entretenait Liberace avec Scott Thorton dans le dernier Soderbergh, avec en prime quelques éléments de satire de la culture américaine.
-
Le prix de la mise en scène à Cannes fascine par sa maîtrise et sa trouble beauté.
-
"Foxcatcher" confirme le talent de Bennett Miller pour plonger dans les failles de l'Amérique. Le talent des grands comédiens n'est pas pour rien dans le processus d'identification du spectateur.
-
Si Channing Tatum et Mark Ruffalo sont instantanément crédibles, "Foxcatcher" fait partie de ces films dont on (re)parlera d’abord pour la performance surprenante de Steve Carell. Grimé, mais pas trop, la star de la série The Office donne vie – et corps – à son personnage de milliardaire mégalo et cyclothymique sans cabotiner.
-
Bennett Miller manie la sobriété avec aisance, sans jamais verser ni dans l’académisme, ni dans l’esbroufe. Un ton de tragédie antique imprègne son récit, à peine tempéré par de rares instants d’humour, révélateurs de la personnalité de du Pont.
-
Miller (qui avec ses deux précédents films "Capote" et "Moneyball" a montré le même intérêt pour le machiavélisme des outsiders esseulés et perturbés) n’a pas besoin de beaucoup de dialogue pour faire naître une ambiance menaçante et tendue.
-
"Foxcatcher" est l’un des meilleurs films de l’année, mais il a l’air plus taillé pour les récompenses que pour le public.
-
D'un fait divers bizarre qui s'est déroulé en 1996, le réalisateur de "Truman Capote" a tiré un film inquiétant, dont la beauté plastique, fascinante, le dispute à une formidable acuité politique.
-
"Foxcatcher" ne se fait certes pas sans un certain goût du rentre-dedans, de l’écrasement tragique, mais peu importe : il a la stature d’un opéra.
-
Un film volontairement perturbant qui nous transporte dans un tourbillon de désespoir. Il reflète sombrement dans un miroir le rêve américain et n'aime pas vraiment ce qu'il voit.
-
Tous les éléments importants sont là - il y a de l'ego, de la cupidité et du désespoir, les ingrédients essentiels de la tragédie américaine - mais ils ne vont pas ensemble.
-
Une fiction qui, à force de vouloir se défaire du pathos, finit par grignoter les émotions primaires pourtant nécessaires aux spectateurs. Un goût d’inachevé qui nous reste en bouche. Dommage.
-
Tatum et Ruffalo sont irréprochables, l'un fruste mais lucide, l'autre généreux mais faillible. Si Foxcatcher ne se fige pas dans son sérieux imperturbable, c'est d'abord grâce à ce trio. Mais aussi parce que ce film, dont la figure centrale est un animal à sang-froid, brûle d'une sainte colère.
-
Entre le riche mentor excentrique, le champion mutique et le frère de celui-ci, une drôle de relation s’installe. Et tourne au drame psychologique dans ce film inspiré d’une histoire vraie, qui a reçu le prix de la mise en scène à Cannes pour son style épuré et son ambiance savamment ambiguë.
-
"Foxcatcher" agit ainsi comme une comédie de masques à multiples tiroirs, un jeu de rôles féroce où chaque personnage croit donner le change aux autres et ne cesse de s’enliser dans un mensonge absurde qui devra prendre fin de la plus cruelle des manières.
-
Avec à l’affiche Channing Tatum, Steve Carell et Mark Ruffalo dans une histoire de catch et de loyauté, The Foxcatcher avait tout pour séduire cinéphiles avertis et grand public. Mais le manque d’originalité dans le traitement d’une histoire vue et revue et le manque de rythme du film nous ont un peu plombé.
-
Un film sur la conception d’une équipe sportive, racontée dans ses détails. Ça ne vous rappelle rien ? Le Stratège, bien sûr ! Son réalisateur signe et persiste, sans autre forme de concession. Sa nouvelle oeuvre recèle des trouvailles. Elle stimule la matière grise, et nous enveloppe dans un coton empoisonné de belle facture. Mais attention: guettent trop souvent le manque d’originalité, la lourdeur et le monolithisme…
-
La langueur du film est fascinante. Mais ce n’est finalement qu’une longue blague de mauvais goût. Une plaisanterie de mauvais goût et très lourde.