Toutes les critiques de Fire of Love

Les critiques de Première

  1. Première
    par Guillaume Bonnet

    Au-dessus des volcans, voire carrément dedans, mais surtout pas au-dessous, ce serait de la littérature, alors qu’il s’agit ici de la vie elle-même. La vie du couple Krafft, Katia et Maurice, deux Alsaciens « volcanologues », mot en vogue dans les années 1970-80, quand Haroun Tazieff était peut-être l’homme le plus célèbre du monde. Ils n’ont pas vingt-cinq ans, elle chimiste à lunettes, lui géologue à bouclettes, appareils photos et caméras en bandoulière, quand ils partent à la rencontre de l’Etna, du Stromboli, puis du Nyiragongo congolais ou du Mont Saint Helens aux États-Unis. À l’époque, ce n’est pas du cinéma non plus mais ça va fatalement le devenir, pour ramener des images sonnantes et trébuchantes qui financeront les expéditions. Cousteau est alors une star mondiale, Katia et Maurice portent aussi des bonnets rouges, d’ailleurs, peut-être un signe distinctif. Ils crapahutent, tournent, photographient, écrivent, se gèlent, se brûlent, se perdent, ramènent des images hors normes, ahurissantes. Plusieurs décennies plus tard, leurs films deviennent un autre film, qui s’efforce, derrière les images de clapotis de lave et de fumées tueuses, de capter les traces (chimiques ? géologiques ?) de leur histoire d’amour. Qui étaient ces gens, ces zouaves de plateaux télé, ces scientifiques trompe-la-mort, capables de rester sans broncher à dix mètres d’une éruption apocalyptique ou de faire tranquillement du canot pneumatique (« acheté 100 francs aux puces ») sur un lac acide ? Le goût 21ème siècle pour le documentaire peut prendre diverses formes: les têtes qui parlent, les caméras embarquées, les reportages, les enquêtes. Fire of Love appartient au genre « Archives », où l’exploration est celle d’une matière déjà filmée, enregistrée, dans laquelle il s’agit de plonger tête baissée dans l’espoir d’en extraire une découverte. Les Krafft ont laissé des centaines d’heures de rushes, et c’est ce magma d’images fossiles que Sara Dosa investit pour y mettre en scène sa quête du moindre signe, du moindre geste, du moindre petit bout de regard, qui pourraient raconter de quel bois ces gens étaient faits et sur quoi leur amour reposait. De là, tout devient métaphore. Dans la vie volcanique des Krafft, tout est éruptif, brûlant, fusion, feu, émulsion, émotion. Les images de lave et de terre chewing-gum rougeoyante deviennent l’équivalent d’une pellicule qui fond, la pellicule elle-même, du cinéma en ébullition. Pourquoi ces gens risquaient-ils leurs vies, pourquoi s’aventuraient-ils si près du précipice, à distance mortelle de la coulée, pourquoi aimaient-ils le faire ensemble ? Les secrets resteront secrets, on ne saura rien avec certitude mais on ressentira tout avec émotion, le vertige, le gouffre, la sidération, la stupeur. Katia Krafft le dit, à un moment, comme une évidence : « quand on a vu une éruption de près, on ne peut plus s’en passer. » Depuis notre fauteuil, nous pouvons contempler trente ou quarante ans après les vagues de lave qui éclaboussent, les montagnes qui explosent comme des bombes H et nous dévalent dessus, en trouvant ça d’une beauté sublime. Mais nous ne pouvons qu’entrevoir ce que c’était que d’être sur les lieux et de sentir la terre gronder autour de soi, en tenant quelqu’un par la main.