- Fluctuat
Avec cette belle histoire d'amour un peu manquée, Eternal Sunshine of the Spotless Mind montre les limites d'un scénario très conceptuel, qu'une mise en scène débordante d'inventivité n'arrive pourtant jamais vraiment à dépasser pour totalement convaincre.
Joel (Jim Carrey) n'a pas le moral. Il se lève d'humeur maussade, prend sa voiture qu'on lui a cabossée pendant la nuit pour aller au boulot, puis attend son train de banlieue pour rejoindre son bureau. Soudain, alors que nous sommes en plein hiver, il décide de foncer pour Montauk, en bord de mer. D'humeur mélancolique, il fait connaissance avec Clementine (Kate Winslet), une fille très exubérante au caractère original. C'est le coup de foudre, Clementine est un rayon de soleil dans la vie un peu triste de Joel. Après un bon quart d'heure, Clementine ne veut plus voir Joel, elle se fait effacer la mémoire chez Lacuna pour l'oublier. Au fond du trou, Joel décide de subir le procédé de cette même entreprise. Mais alors que les techniciens s'affairent à détruire ses souvenirs, il réagit et tente mentalement de résister pour que sa mémoire garde les traces de cet amour.Eternal Sunshine of the Spotless Mind déplie à peu de choses près la même idée que Dans la peau de John Malkovich : entrer dans les pensées d'un individu. Normal puisque Charlie Kaufman, déjà scénariste du film de Spike Jonze, signe ici avec Michel Gondry le scénario. Problème : Kaufman aime les concepts. Il part d'une idée (ici, un couple qui s'est ou se fait effacer la mémoire par un procédé imaginaire et dont on va connaître l'histoire à travers les pensées de Jim Carrey) qu'il ne fait que répéter plus que développer (tout le contraire de Johnnie To par exemple). Gondry, de son côté, est un pur formaliste. Esthète doué du vidéo clip, c'est un inventeur toujours à la recherche d'une trouvaille visuelle plus originale que la précédente. Ce qui l'intéresse c'est d'imaginer comment, par les artifices du cinéma, il peut remodeler l'espace, jouer avec les matières et concevoir des images irrationnelles et délirantes pouvant illustrer le monde intérieur du personnage. Deux personnalités donc, qui finissent par se parasiter et parfois même annuler l'effet et la portée possibles du film.En effet, là où Gondry est relativement doué pour mettre en scène un univers onirique, en jouant sur les proportions, les échelles, les ruptures de tons, la segmentation, le chevauchement des espaces dans le même plan ou le même mouvement, avec un sens de l'artifice qui fait parfois un peu penser à Terry Gilliam, le scénario patauge. Celui-ci est si bien attaché à son concept que l'on peut d'ailleurs beaucoup trop rapidement (à peu près 20 min) imaginer le dénouement de l'intrigue (ou presque, Kaufman est un malin). Si ce n'était que ça. Le film devient très vite une sorte d'accumulation de scènes assez répétitives (malgré les variations) où la relation entre Joel et Clementine devient prisonnière du concept. S'il y a de quoi apprécier ce méli-mélo inventif qui tente de représenter les noeuds de notre mémoire, où Jim Carrey file d'un souvenir à l'autre, une certaine vacuité peut finir par prendre le dessus jusqu'à l'agacement. Entre l'idée vaguement deleuzienne de Kaufman (L'Image Temps comme livre de chevet ?) et l'accumulation par Gondry de séquences qui prises indépendamment pourraient presque être chacune un vidéo clip, le film finit par faire du surplace.Avec sa lumière tendance clip pour Chemical Brothers et son scénario un peu fumeux écrit sur le coin d'une table, Eternal Sunshine of the Spotless Mind montre, outre Kirsten Dunst en petite culotte (ce qui en soi est un argument libidinal indiscutable), un certain gâchis et les limites d'un cinéma auto proclamé indépendant. Un cinéma qui se croit toujours un peu à l'avant-garde, dont on ne sait trop quoi d'ailleurs, alors que cette dégénérescence des Resnais les plus conceptuels ne cache rien de moins que sa propre volonté de faire de l'épate. Là où malgré tout le film conclut sur une belle idée, plutôt ambiguë, proposant que le couple déchiré puisse à la fois naturellement se réunir et retrouver la mémoire en réapprenant à s'aimer, le film porte trop de stigmates artificieux pour vraiment convaincre et émouvoir. Entre répéter un concept narratif et développer de pures idées de mise en scène, l'amour ne prend pas. Enfin, il faut aussi pouvoir supporter Kate Winslet très tue glamour en demi-hystérique changeant de couleur de cheveux à peu près à chaque scène. Heureusement, Carrey est habillé et coiffé comme un chanteur de Air (Gondry est aussi né à Versailles), il a un charme fou qu'on ne lui connaissait pas (ou pas de ce style), et rien que pour ça, le film vaut le détour.Eternal Sunshine of the Spotless Mind
Un film de Michel Gondry
Etats-Unis, 2004, 108 min
Avec : Jim Carrey, Kate Winslet, Kirsten Dunst, Elijah Wood, Mark Ruffalo
Sortie en salle le 6 octobre 2004[Illustration : © United International Pictures (UIP)]
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