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"Cette histoire est faite pour être racontée tous les 20 ans", disait Barbra Streisand en 1976, au moment de la sortie de sa version d’Une Etoile est née, la troisième du nom, après celles de William Wellman (1937) et de George Cukor (1954). Il s’est écoulé 40 ans depuis, mais ce n’est pas comme si Hollywood n’avait pas, dans l’intervalle, essayé par tous les moyens d’en tourner un nouveau remake : Whitney Houston et Will Smith avaient failli y parvenir dans les années 90, puis Clint Eastwood et Beyoncé… C’est finalement Bradley Cooper qui a décroché le job. Ou plutôt les jobs, puisqu’il fait à peu près tout ici : jouer, chanter, réaliser, produire, scénariser. "Une chanson, c’est toujours les douze mêmes accords, en boucle", fait-il dire à son personnage, Jackson Maine (une rock-star alcoolo et décavée qu’il incarne superbement), comme pour signifier qu’il sait mieux que quiconque que cette histoire est immortelle, que, dans sa simplicité quasi biblique, elle est l’un des plus beaux mythes hollywoodiens. Une étoile naît, pendant qu’une autre s’éteint – voilà pour le pitch. A Star is Born est la tragédie hollywoodienne absolue, qu’on adore se faire raconter à toutes les époques, et qui marche à tous les coups.
Après Janet Gaynor, Judy Garland et Barbra Streisand, c’est Lady Gaga qui joue aujourd’hui la jeune rising star, qui va s’éprendre du chanteur buriné, puis finir par l’éclipser. Gaga, pour ses vrais grands débuts au cinéma, est parfaite de naturel gouailleur et dessalé – son personnage, Ally, est une serveuse qui chante dans un cabaret drag-queen la nuit, et se dispute avec son adorable papa italo-américain (Andrew Dice Clay) au petit déjeuner. Sa rencontre avec Jackson Maine va l’aider à accéder à ses rêves de gloire. Les puristes noteront que cette Etoile est née millésime 2018 est d’abord une variation sur la version de 76, que Cooper enrichit de mille idées brillantes, d’une sensibilité irrésistible et d’un charme fou. L’idée, bien sûr, est de réfléchir aux notions de célébrité et de star-system au XXIème siècle. Cooper interprète la star du vieux monde, qui picole trop, tape de la coke avant de monter sur scène et regarde d’un drôle d’air les managers hipsters qui carburent à l’Evian et ne portent pas de chaussettes. Gaga, elle, est la chanteuse ambitieuse, qui ne va pas tarder à se faire, euh… « gagatiser » - maquiller, robotiser, menacer d’être transformée en produit de consommation courante. Le scénariste Will Fetters a résumé l’affaire ainsi : « Et si Kurt Cobain n’était pas mort et se réveillait dans le monde de Justin Bieber ? » Mais Bradley Cooper a le bon goût de ne pas transformer son film en une dissertation lourdingue sur la façon dont les selfies et les réseaux sociaux ont transformé l’industrie musicale. Lui et sa dégaine eastwoodienne préfèrent plutôt jouer à fond la carte du mélo honky-tonk, celui qui donne envie de pleurer dans sa bière, ou de reprendre "The Shallow" (le tube du film) en s’époumonant au karaoké. Il réussit au passage l’exploit d’avoir de l’allure une guitare à la main (peu d’acteurs savent faire ça) et de mettre en boîte des scènes de concert crédibles et franchement électrisantes. Bien sûr, tout ça apparaîtra sans doute un peu trop sucré aux palais délicats. Mais si vous aimez la pop mainstream qui fait frissonner, ou tout simplement pleurer au cinéma, ce film est fait pour vous.