Pour son film avec Demi Moore et Margaret Qualley, présenté en compétition au Festival de Cannes, la réalisatrice a remporté le Prix du scénario.
Un Prix cannois peut-il effacer un an et demi de sueur et de sang ? La projection de The Substance avait suffit à ce que Coralie Fargeat, sa réalisatrice, et Demi Moore, son actrice principale, se tombent dans les bras, après les aléas d’un tournage difficile, pour l’une comme pour l’autre. La réalisatrice française le résume au Point :
“J'ai travaillé cinq ans sur ce film, j'ai dû mener beaucoup de batailles pour le faire tel que je le voulais. C'était déjà un rêve de le voir sélectionné en compétition. Mais de voir le public être aussi réceptif et applaudir à tout rompre au plan final, c'était hyper émouvant.”
Car en effet, la production de The Substance n’a pas été de tout repos. Inspirée de Réalité+, le second court-métrage de Coralie Fargeat, qui venait aussi de signer Revenge, thriller aux accents horrifiques qui avait fait grand bruit à Sundance en 2018, le scénario de ce film a tout de suite convaincu la société de production indépendante Working Title, dont la distribution des films est assurée par Universal.
C’est avec le tournage que les problèmes ont commencé. D’abord, l’acteur Ray Liotta (Les Affranchis) est mort des suites d’une insuffisance cardiaque quelques jours avant le début du tournage en 2022. Il devait tenir le rôle du producteur de télévision machiste et véreux, et sera remplacé au débotté par Dennis Quaid (Bons baisers d’Hollywood, Wyatt Earp).
Cannes 2024 : The Substance met la dose et explose les compteurs [critique]L’équipe au complet, le tournage a pu commencer. Quatre-vingt sept jours de juin à novembre 2022, répartis entre Cannes, Nice, Epinay-sur-Seine et Paris, et durant lesquels Demi Moore a dû se mettre à nue, littéralement comme figurativement. Des tensions sont vite apparues entre l’icône des années 1980-1990 et sa réalisatrice, du fait des exigences parfois apparentées à de l’obsession de cette dernière. A cela s'ajoutent les huit heures de maquillage quotidiennes pour les séquences d’horreur, et la répétition des prises qui peuvent se refaire jusqu'à vingt fois.
“Quand on est très exigeant, il faut se battre pour imposer sa vision. Tout ne marche pas comme on veut, il ne faut rien lâcher et, forcément, à la longue, l'énergie des équipes s'épuise… Quant à Demi, oui, j'ai dû la pousser dans ses derniers retranchements, mais elle a toujours été bienveillante, même quand on s'engueulait, parce qu'elle comprenait que c'était pour le rôle,” raconte Coralie Fargeat.
Des tensions qui éclatent même en public, donnant sûrement un coup au moral d’une équipe technique déjà sur les rotules pendant un tournage qui a pris deux semaines de retard.
"Ça a été mon Apocalypse Now, assène Coralie Fargeat. Nous avons eu quatre-vingt-sept jours de tournage avec les acteurs et un mois supplémentaire aux studios d'Épinay-sur-Seine, en équipe super réduite de quatre personnes sur un petit plateau, pour filmer les effets spéciaux à base de prothèses, qui sont extrêmement longs et complexes à réaliser. Il y a eu, certes, un petit dépassement, mais je désirais ce tournage long [quatre-vingt-dix jours, acceptés par Universal, NDLR] pour accomplir le film que j'avais en tête."
Vient ensuite l’étape du montage, qui n’a pas non plus été un long fleuve tranquille. Commencé en décembre 2022 avec des centaines d’heures de rush, il est finalisé trois jours seulement avant la projection cannoise, le 19 mai dernier. Avant cela, une version de cinq heures a été abandonnée, ramenée aux 140 minutes plus raisonnables qui lui ont valu une standing ovation dans l’enceinte du Grand Théâtre Lumière.
Mais entre-temps, coup de théâtre, Universal se désiste, après que trois de ses représentants ont découvert un premier montage du film. L’annonce est faite douze jours avant la première cannoise.
“Cette projection fut la plus marquante de ma vie, raconte Coralie Fargeat. Il y avait deux hommes et une femme dans la pièce. L'un des mecs a détesté, il a exigé qu'on refasse tout le montage et, comme ce n'était pas possible [Coralie Fargeat a obtenu le final cut, ndlr], il a fait en sorte qu'Universal lâche le film.”
“C'est son droit le plus strict de ne pas aimer, mais la façon dont se sont faites les choses a été très violente, on aurait pu l'éviter, poursuit-elle. Je pense que The Substance a titillé quelque chose qu'il ne fallait pas chez ce monsieur, mais ce sera l'objet d'une discussion plus longue avec vous quand le film sortira. Pendant cette projection, la femme était évidemment la seule qui n'avait pas le droit d'ouvrir sa gueule, alors qu'elle m'a confié par la suite qu'elle voulait défendre le projet. Ça en dit long sur où se situe encore le pouvoir à Hollywood.”
Heureusement, Mubi reprend le film, qui sera distribué par la Metropolitan en France, et sur la Croisette, la projection est un triomphe, confirmé par ce Prix du scénario, remis par le Jury de Greta Gerwig samedi soir.
Pendant son discours, la réalisatrice a tenu à revenir sur le véritable sujet de The Substance. Sous ses aspects de body-horror, “ce film parle des femmes, l’expérience des femmes dans le monde et la violence qui peut entourer ces femmes,” a déclaré la réalisatrice.
“Je pense que les films peuvent changer le monde, et j’espère que ce film sera un petit pas en avant,” a-t-elle également ajouté après avoir remercié toutes celles qui ont le courage de faire entendre leurs voix.
Pour l’instant, The Substance n’a pas de date de sortie française, mais cela ne saurait tarder.
Cannes 2024 : quand le jury déjoue les pronostics !
Commentaires