Originaire d'une modeste famille ouvrière, Friedrich Ermler perd très tôt son père et est obligé de travailler dès l'âge de douze ans. Apprenti pharmacien, il se cultive en autodidacte et fréquente assidûment l'unique salle de cinéma de la ville. Le jeune Friedrich rejoint les rangs de la révolution en 1917 et combat dans l'Armée rouge.En 1923, il entre à l'Institut des beaux-arts de Leningrad pour y devenir acteur. L'année suivante, il commence à travailler au studio Sovkino, dans la section des scénaristes. Inscrit au parti communiste dès 1919, Ermler, contrairement à la plupart des pionniers de sa génération, défend le contenu révolutionnaire des films au détriment de leur forme. Pour contrer les excentricités de la FEKS, il crée son propre atelier expérimental de cinéma, le KEM, qui prône un certain ascétisme. Le groupe prépare et interprète des projets de films sans disposer du matériel pour les tourner. Une seule uvre, Scarlatine (Skarlatina, 1924), est menée à terme. En 1926, il réalise, avec l'aide d'Édouard Ioganson, les Enfants de la tempête (Deti buri), film assez impersonnel sur l'héroïsme des jeunes komsomols pendant la guerre civile.Dans ses quatre films muets suivants, Ermler donne une série de témoignages sur les murs et les mentalités de la nouvelle société soviétique. Ces uvres, à l'exemple des travaux contemporains de Boris Barnet ou d'Abram Room, sont d'intéressants documents sur l'URSS à l'époque de la NEP. Cette attitude tolérante d'Ermler ne se trouve pas en contradiction avec ses positions idéologiques ni avec ses choix ultérieurs : il demeure, tout au long de son trajet, un chroniqueur attentif aux mutations sociopolitiques de son pays ; Katka, petite pomme reinette (Kat'ka, bumanyj ranet, CO : É. Ioganson, 1926), s'attache au cas d'une jeune fille venue de province, séduite et abandonnée par un vagabond, qu'un intellectuel pauvre réussit à tirer d'embarras. La Maison dans la neige (Dom v sugrobah, 1927) offre, de manière stylisée, une intéressante coupe, selon les étages, de la société d'alors : travailleurs confiants, spéculateurs fourbes et musicien mal assuré idéologiquement. Le Cordonnier de Paris (Pariskij saponik, 1928) est la création la plus audacieuse d'Ermler : une jeune ouvrière, mise enceinte par un komsomol, trouve le réconfort auprès d'un cordonnier non politisé. Pour le cinéaste, les actes priment alors sur les dogmes. Un débris de l'empire ou l'Homme qui a perdu la mémoire (Oblomok mperii, 1929), film d'une grande virtuosité formelle, marque une césure dans la problématique du réalisateur : un ouvrier, devenu amnésique à la fin de la guerre, recouvre la mémoire en 1928 pour constater les changements sociaux intervenus durant son « absence ». Outre le drame affectif vécu par le héros dans le droit-fil des bandes précédentes , l'uvre fait apparaître une rupture entre le passé et le présent, désormais irréconciliables.Ermler abandonne pendant trois ans le cinéma. Il y revient avec Contre-plan (Vstrenyj, CO : Sergueï Youtkevitch, 1932). Ce film, le seul mis officiellement en chantier pour célébrer le 15 anniversaire de la révolution, ouvre la voie au « réalisme socialiste », par une description euphorique de l'exécution du plan quinquennal. Les Paysans (Krest'jane, 1935), à travers une mise en images exemplaire, à la fois naturaliste et charnelle, pose la question du retard du monde rural comme une volonté délibérée de ses membres d'entraver la marche du socialisme. Cette vision officielle des choses se retrouve dans le Grand Citoyen (Velikij gradanin, 1938-1939), diptyque axé sur la personnalité (et le meurtre) du haut fonctionnaire Sergueï Kirov. La lecture de l'histoire ici proposée sert, en fait, de justification aux fameux procès de Moscou. Après sa contribution à l'effort de guerre avec Camarade P., Elle défend sa patrie (Ona zaiaet rodinu, 1943), Ermler réalise, en 1945, le Tournant décisif ou le Grand Tournant (Velikijperelom) : un curieux film intimiste sur les hésitations d'un chef militaire à la veille d'une bataille.Longuement malade au début des années 50, Ermler con¿coit encore un film intéressant, le Roman inachevé (Neokonennaja povest', 1955), qui fait se rejoindre deux êtres un peu perdus (une veuve et un paralysé) dans une société à nouveau en mutation.