Max une amie devouee Laure Calamy
Max ©Remy Grandroques

Rencontre avec le cinéaste, qui s’attaque pour la première fois à la série et dirige Laure Calamy dans ce thriller sur la mythomane du Bataclan.

Inspirée du livre-enquête La mythomane du Bataclan d’Alexandre Kauffmann, la mini-série Une Amie dévouée met Laure Calamy dans la peau de Chris, menteuse pathologique qui s’invente un ami grièvement blessé lors des attentats du 13 novembre afin de rentrer dans une association de victimes. Un thriller psychologique vertigineux où Just Philippot, réalisateur de La Nuée et Acide, impose sa patte sur un terrain de jeu où on ne l’attendait pas. Rencontré lors du Festival de la fiction de La Rochelle, le cinéaste nous raconte les coulisses de cette histoire hors normes.

Première : Après La Nuée et Acide, on ne vous attendait pas sur le terrain du thriller psychologique, d’autant plus tiré d’une histoire vraie…
Just Philippot
: Ce qui est très paradoxal, c'est que j'ai pas changé de registre, je suis juste revenu au point de départ. La Nuée et Acide, c’est une parenthèse enchantée, des aubaines, des alignements de planètes que je n’avais pas forcément anticipés. J’en parle souvent parce que ça définit mon cinéma et qui je suis, mais j’ai grandi avec un frère polyhandicapé dans une famille nombreuse. On avait les cheveux longs, des prénoms pas possibles, on était rouquins… Nous étions constamment en marge de quelque chose. Et quand on arrivait sur une plage, c’était tout de suite une sorte de spectacle pour les gens. J’ai toujours trouvé très invasifs ces regards constants sur moi et mon frère. Ce qui fait que j’ai grandi avec cette envie de « défendre » quelqu’un qui n’avait pas les moyens de parler pour dire qu’il avait le droit de vivre, et d’exprimer qu’il nous aimait et qu’on l’aimait.

Donc je crois que toutes mes histoires sont en fait liées à l'amour de l’autre, à la façon dont on peut le prouver et le montrer. Une Amie dévouée m’a permis de revenir à ce besoin de me concentrer uniquement sur des personnages, sans autres artifices. Et de créer grâce à eux des ambivalences. Aujourd’hui, je cherche un cinéma qui n'a pas peur de poser des questions et de se demander si on a toutes les réponses. J’adore le malaise, troubler le spectateur. 

Dans quel but ?
Être mal à l’aise ne veut pas dire être gêné. Ça correspond surtout à un dialogue avec ce qu’on est en train de regarder. Et si un dialogue a été enclenché, alors on en sort renforcé. Cette mini-série m’offrait la possibilité de vivre une histoire qui propose des émotions fortes, malaisantes, mais qui parle aussi d’amour. J'ai besoin de faire exister l’autre, c'est comme ça qu'on a fabriqué la série et c'est comme ça que je travaille.

Une amie devouee Laure Calamy
Max

Une Amie dévouée n’est pas une adaptation fidèle du livre d’Alexandre Kauffmann. C’était la clé de votre liberté, de ne pas avoir à vous conformer constamment à la réalité ?
On a lu le livre et puis on l’a complètement oublié. On n’avait aucun problème à changer l’histoire. Tant qu’il y avait une exploration du personnage et de ses douleurs, c’était pour moi l’essentiel. Dans la première scène, on voit Chris se rendre à un date et le type s’en va au bout de cinq minutes. C’est la cruauté du 21e siècle : elle s’est préparée pendant on ne sait combien de temps, elle a pris le RER pour venir à Paris… Et elle a offert deux heures de sa vie à un plouc, qui ne lui donne que cinq minutes. Mais lui passe à autre chose, alors qu’elle en est incapable. Ce qu’elle cherchait, c’était juste de profiter d'un moment avec quelqu’un, de se connecter à l’autre. Ce regard sur elle a guidé toute la série. Et je savais précisément où étaient ses plaies pour revenir sur cette solitude.

La série est peuplée d’idées de mise en scène - parfois discrètes, parfois moins - pour raconter la mythomanie et l’ambivalence de Chris. Vous aviez besoin de trouver des formes qui évitent de passer systématiquement par le dialogue ?
Exactement. Et je n’hésite plus à monter les curseurs. Dans ma carrière, j'ai utilisé des curseurs de mise en scène à effets et à outillages très poussés, et aujourd'hui ça me permet avec mon chef opérateur d'essayer des choses, d’apprécier sensoriellement un traitement d’image, de comprendre ce que la musique peut apporter…  Il m’a d’ailleurs fallu plusieurs films et des rencontres pour comprendre que la musique était un support de plaisir. Avant, je trouvais qu’elle volait les émotions. Je me trompais. Donc grâce à La Nuée et Acide, j’ai à ma disposition des outils pour tenter de rendre la mise en scène la plus explosive possible. On a essayé des choses sur Une Amie dévouée, notamment autour de ce qu'on appelle le tilt and shift, c’est-à-dire le fait de déformer la façon dont l’optique est positionnée sur la caméra, afin de créer un effet de flou et de net. Ce qui était à certains endroits un bon curseur pour tomber dans la fracture qui naît chez le personnage.



Le suspense repose sur ces moments où le mensonge échappe à Chris, quand elle se contredit ou que les événements la poussent à improviser. Comment avez-vous modelé ce vertige ?
Il y a un réalisateur dont j'estime beaucoup le travail, Jean-Xavier de Lestrade. Je me rappelle d’un unitaire qu’il avait tourné, La Disparition, où Thierry Godard joue un chef de cuisine accusé d'avoir tué sa femme. Le personnage n'est ni en pleurs ni en transe, et tout le monde a tendance à l'imaginer comme étant l’assassin. Alix Poisson racontait le tournage et disait qu’avant de tourner certaines scènes, Lestrade s'amusait à donner comme consigne : « Là, on va croire ce qu’il dit. Du moins les personnages vont y croire. On va dire que c'est la vérité. » Puis, dans la scène d'après : « Imaginons que c'est un mensonge, et qu'on sait pertinemment que c’en est un. » J'ai adoré cette façon d'être constamment dans l'opposition du mensonge et de la vérité. On aime les menteurs car on est dans une société de déni permanent. Et il y a un côté jouissif en tant que spectateur à être dans une double position.

Au point qu’on ne sait plus si Chris finit par croire à ce qu’elle raconte, notamment sur son passé. 
Tout à fait, et ce sont des moments où tu comprends des choses. J’imagine que vous pensez à la séquence où elle parle de sa rencontre avec Iggy Pop ? Laure s’est régalée à la faire et son but était autant de captiver l’attention du groupe que de nous captiver, nous, spectateurs. De mettre tout le monde dans sa poche. Sa performance était géniale, mais Mathieu Descamps, mon ingénieur son, m’a dit : « Demande à Laure d’en faire une très neutre, très en-dessous. Peut-être qu’au montage, tu en auras besoin. » Je ne peux pas parler de la suite, mais ce récit devait avoir une double importance, et donc être traité un chouïa différemment. Mais ça ne doit pas se ressentir, juste se percevoir. C’est un entre-deux compliqué à trouver, car parfois tu te fais leurrer par l’envie d’en faire beaucoup, simplement parce que le scénario le permet.

Une amie devouee Laure Calamy 2
Max / Carole BETHUEL

Comment dirige-t-on une actrice aussi intuitive que Laure Calamy ?
Franchement, c’est pas compliqué. La première prise est mortelle, la deuxième aussi… Des fois, tu te dis que tu dois avoir l’air de faire un peu ton taff, alors tu en demandes une troisième ! (Rires.) Même s’il y a quand même eu certains moments où je la ramenais dans les enjeux, dans un endroit bien précis. Mais avec Laure, c’est une rencontre avant tout. Moi, je fonctionne toujours sur des références. Quand j’en ai en tête deux qui sont très opposées, ça veut généralement dire que j'ai trouvé mon champ de réflexion. La Nuée, c'était Petit Paysan et La Mouche. Acide, c'était Requiem pour un massacre et un film de Stéphane Brizé. Spontanément, pour Une Amie dévouée, j’avais en tête Sans Toit ni loi d’Agnès Varda et Joker de Todd Phillips. Donc je rencontre Laure, qui me dit de suite : « J'aimerais bien faire un truc qui va te paraître un peu bizarre, mais ce serait un mélange entre… »

Et là, elle me cite les deux films, sans que personne ne lui en ait parlé avant ! D'emblée, on savait ce qu'on voulait faire du personnage, on avait des goûts communs. Et quand elle parle de Sandrine Bonnaire dans Sans Toit ni loi, elle évoque sa démarche, ses cheveux qui ne sont pas lavés… Toutes ces choses qui vont permettre à une actrice de composer pour créer un personnage hors normes mais qui transpire la réalité.

Une Amie dévouée, mini-série en quatre épisodes à voir sur la plateforme Max.

Une Amie dévouée : la troublante série sur la mythomane du Bataclan [critique]