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Le compositeur de Rodin est venu une vingtaine de fois à Cannes. Nous lui avons demandé d’évoquer cinq films marquants qui ont été en Compétition.

Les Choses de la vie de Claude Sautet (1970)

« Quand j’ai rencontré Claude, je n’avais écrit que des chansons dont « La boule au plafond » pour Régine qui avait cartonné en 1968. J’ai écrit très vite une dizaine de mesures sur le climat du film et le début du thème principal. Puis, arrive Claude à qui je joue quelques accords au piano. Long silence. Il me dit que ça l’intéresse beaucoup et me donne rendez-vous le lendemain pour me faire une projection du film, que j’aime beaucoup. Je lui fais néanmoins remarquer que quand l’accident survient, l’émotion n’est pas assez vive. Je lui suggère de mettre des bribes de cet accident au ralenti dans des flashforwards ponctuels qui prépareront le terrain et feront monter l’émotion. Il s’écrie qu’il les a tournées, montées et enlevées parce que personne ne lui avait expliqué pourquoi il fallait les garder ! Un mois plus tard nous enregistrions la musique… Claude avait très peur de la sortie des Choses de la vie. C’était pour lui un quitte ou double, après l’échec de L’arme à gauche sorti cinq ans plus tôt. Son avenir en dépendait : soit il restait un script doctor très recherché, soit sa carrière de metteur en scène décollait. Il est sorti en mars 1970, a obtenu le prix Louis Delluc dans la foulée et a été un énorme succès. Claude ne voulait d’ailleurs pas aller à Cannes, il n’en avait pas besoin. « Qu’est-ce que je fous là ? », hurlait-il à ses producteurs. Ces derniers ont fait une grossière erreur : ils ont laissé avant le générique, « ce film a obtenu le prix Louis Delluc ». Ca la foutait mal, à Cannes… Les Choses de la vie en est reparti bredouille mais la carrière de Claude était sauvée. »


La Grande bouffe de Marco Ferreri (1973)

« J’avais composé la musique de Liza, le précédent film de Marco Ferreri qui avait moyennement marché. Nous étions devenus très amis et il est venu vivre un peu chez moi, à Paris. Un jour, il me demande si je connais un bon restaurant de poissons pour fêter la venue d’Ugo Tognazzi. Je retiens une table chez Prunier où nous retrouvons Bertrand Tavernier, qui avait été l’attaché de presse de Liza. On bouffe de façon pantagruélique. Vers la fin du repas, Ferreri, qui ne parlait pas bien français, me prie de demander au serveur un gros morceau de parmesan à emporter. Devant ma surprise, il me confie qu’Ugo va nous cuisiner des pâtes, le soir. Je le regarde avec des yeux ronds. Comme si nous n’avions pas assez mangé ! On rentre assez tard et Ugo va directement à la cuisine. Marco me demande en douce si je connais des prostituées. J’en appelle deux ou trois. Pendant que Tavernier décampait (rires), les filles sont arrivées… Le matin suivant, Marco me déclare que Jean-Pierre Rassam, éminent producteur que je connaissais bien, lui a donné carte blanche pour faire un film. « Et si nous écrivions un truc autour de cette soirée ? me dit-il. On appellerait ça La grande abbuffata - La grande bouffe. » Je lui réponds que Rassam allait sûrement adorer l’idée. Marco va voir ce dernier et revient avec un contrat signé ! Dans la foulée, on écrit un traitement - sur lequel s’est basé Rafael Azcona, le scénariste espagnol attitré de Ferreri. Le film fini, Rassam insiste pour le présenter à Cannes. Je ne vous explique pas l’incroyable tollé qu’il suscite, les hurlements dans la salle… Ingrid Bergman, présidente du Jury, sort au milieu de la projection en criant au scandale. Le succès fut mondial. Certains grands metteurs en scène américains, comme Spielberg, en possèdent une copie. »


Le Locataire de Roman Polanski (1976)

« Roman avait peur d’aller à Cannes avec ce film très personnel et particulier. Le Locataire était, rappelons-le, coproduit par Paramount et tourné en anglais. Roman interprétait deux rôles, ceux d’un homme et d’une femme, le personnage étant schizophrène. Il craignait la réaction du public et de la critique d’autant que, depuis l’assassinat de Sharon Tate, il était entouré d’un parfum de soufre – c’était cependant avant l’affaire de mœurs qu’on connaît. Les faits lui ont donné raison : les gens ont vu en lui ce double personnage, ils n’ont pas reçu le film comme il fallait. Cela a créé à Cannes un nouveau scandale terrible. C’est encore pour moi le plus beau film de Roman. »


Beau-père de Bertrand Blier (1981)

« Un agréable souvenir. C’était un film très musical puisque Patrick Dewaere, que j’avais côtoyé sur Le juge Fayard dit le Shérif, incarnait un prof de piano. Je m’étais entouré de pointures : Maurice Vander, Eddy Louiss, Stéphane Grappelli… Je l’aimais beaucoup, Patrick. Je lui avais demandé de prendre des cours de piano auprès d’un musicien que j’avais choisi et que j’allais régulièrement superviser. Ce n’est pas Patrick qui joue mais, au moins, il est crédible en pianiste. Le film a plutôt été bien accueilli à Cannes. La musique rend les choses potentiellement scandaleuses très délicates, notamment la scène d’amour entre Patrick et la jeune Ariel Besse, qui avait quinze ans. »


Rodin de Jacques Doillon (2017)

« Je ne suis jamais blasé de venir à Cannes. J’ai en revanche toujours peur pour le film qu’on présente, en particulier pour celui-ci que Jacques a eu beaucoup de mal à monter – c’est d’ailleurs de plus en plus compliqué pour les auteurs tels que lui. Le personnage de Rodin m’évoque beaucoup Jacques : cette peur du mauvais geste, de la mauvaise inspiration. Ce sont des pudiques qui cachent leurs émotions. Lindon m’a d’ailleurs demandé, à l’insu de Jacques, de le faire chialer. Il craignait que Rodin soit trop monolithique. Il avait raison : la musique devait apporter une émotion discrète mais réelle. Elle est très peu présente (il y en a davantage sur le CD), assez simple, interprétée par quatre merveilleux musiciens à qui j’ai demandé de jouer comme s’ils étaient en train de travailler un morceau. Les quelques notes entendues, j’espère, toucheront le public profondément. »


Rodin est présenté en compétition à Cannes et sort aujourd'hui dans les salles.