Top horreur Gaspar Noé
Potemkine Films/Malavida/Première/Contra Film/Gaumont Distribution

Gaspar Noé chausse sa casquette de cinéphile extrême pour tracer une diagonale magique à travers l’Europe qui flippe.

Bad trip dansé sous sangria toxique, Climax ramène Gaspar Noé à ses amours pour l’horreur psychologique. Quand on lui demande quels films le terrifient, il répond Salò, Dupont Lajoie, ou 4 mois,3 semaines, 2 jours. Pas vraiment ce qu’on attend dans un hors-série « horreur ». Sous la contrainte, il a fini par chausser sa casquette de cinéphile extrême, pour tracer une diagonale magique à travers l’Europe qui flippe. Sans toucher l’Angleterre, Brexit oblige. À l'occasion d'Halloween, Première.fr partage avec vous ce top tiré du hors-série spécial horreur toujours disponible en kiosque (et sur notre boutique en ligne).

12 - Le Moulin des supplices de Giorgio Ferroni (1960 )

« C’est le premier film qui m’a vraiment terrorisé. Je l’ai vu à 7 ou 8 ans à la télé quand je vivais à Buenos Aires. Trois ans plus tôt, j’avais déjà tremblé devant Jason et les Argonautes, quand les squelettes se battent à l’épée. Mais ce film-là m’a fait tellement peur que j’ai dû dormir pendant une semaine dans le lit de la bonne. C’est un film italien, à la frontière du giallo, l’histoire d’un psychopathe qui tue et embaume des femmes pour créer un carrousel de statues humaines. Pour un public habitué à Saw, ça ne produit sans doute pas le même effet. Mais c’est lui qui m’a fait comprendre ce qu’était le genre “horreur”. J’ai mis vingt ans à remettre la main dessus parce que j’ignorais son titre. En le revoyant, je l’ai trouvé très joli. »

11 - Les Yeux sans visage de Georges Franju (1960)

« C’est peut-être en tournant son documentaire sur les abattoirs, Le Sang des bêtes, que Franju a pris goût à choquer les gens. Mais Les Yeux sans visage est infiniment plus dérangeant. Je suis sûr qu’à sa sortie, les gens quittaient la salle en courant. C’est bien plus extrême que ce que faisaient Riccardo Freda ou Mario Bava à la même époque. Il y a la photographie magnifique d’Eugen Schüfftan, que Franju, cinéphile, avait embauché en connaissant son rôle dans l’expressionnisme allemand, et ce thème musical proche d’une comptine pour enfants, qui ne fait qu’en augmenter le sadisme. Aujourd’hui encore, la séquence du découpage de visage est glaçante, tant les trucages sont réussis. Sans doute le plus grand film d’horreur français avec Un chien andalou. »

10 - Un Chien andalou de Luis Bunuel (1929)

« Le coup d’envoi et la pierre angulaire du surréalisme, que j’ai vu à 14 ans après en avoir beaucoup entendu parler. Cet univers de cauchemar, basé sur des associations d’idées, est l’un des plus saisissants de l’histoire du cinéma. Il n’y a qu’Eraserhead qui est allé aussi profondément dans la psyché. Tout est possible, tout est peur, tout est désir. Peu d’images ont traversé le temps comme celle de l’œil coupé. Un testicule coupé, ça aurait été moins effrayant. À l’époque, on disait que le film était un appel au meurtre. Pour moi, c’est un acte artistique à la fois affirmatif et suicidaire, qui avait des siècles d’avance sur son temps. J’ai dû le voir cent fois et je ne m’en ennuie jamais. »

 

Personne n’ose sonner chez Jamie Lee Curtis le soir d’Halloween

9 - Le Montreur d'ombres d'Arthur Robison (1923)

« Un sommet de l’expressionnisme alle- mand, fabuleux mais difficile à trouver – il n’existe qu’une édition américaine qui s’échange à prix d’or. On connaît peu l’œuvre d’Arthur Robison. Le Montreur d’ombres est une sorte de méta-film, avec un homme qui hypnotise des gens en leur montrant un spectacle d’ombres révélant leurs désirs enfouis. Il ne comporte aucun carton, ce qui était unique à l’époque du muet. Et les personnages sont aussi complexes et malfaisants que ceux de Fassbinder dans les années 60. Depuis que je l’ai découvert, je tanne les distributeurs Carlotta et Potemkine pour qu’ils le ressortent en France. Il me semble aussi important que L’Étudiant de Prague ou Le Golem, ces films allemands dont a découlé le cinéma d’horreur américain des années 30, avec Dracula ou Frankenstein. »

8 - Schizophrenia de Gerald Kargl (1983)

« Lors de sa sortie en France, ce film a été classé X pour ultraviolence. J’avais déniché la VHS sur recommandation de François Cognard et Nicolas Boukhrief [anciens jour- nalistes de la revue Starfix, devenus producteur et réalisateur]. Ça traite de la psychose extrême d’un homme qui sort de prison et tue une famille pour être renvoyé en cellule, où il se sent en sécurité. On l’accompagne dans ses actions mais aussi dans sa tête, grâce à une voix off omniprésente, qui provoque une empathie. Quand il tue une vieille, il raconte comment sa grand-mère l’installait bébé près d’une fenêtre ouverte pour qu’il meure de froid. On entre dans la tête du fou et on ne s’identifie pas du tout aux victimes. C’est ce qui rend l’expérience aussi malsaine au-delà de l’horreur graphique. Dans le genre “film de serial killer”, Schizophrenia est de loin mon préféré. »

7 - L'Incinérateur de cadavres de Juraj Herz (1968)

« Un autre film sur la folie qui a connu d’énormes problèmes de distribution. Le gouvernement tchèque l’a mis au placard et on ne l’a redécouvert que quarante ans plus tard. On suit la pensée et le parcours d’un homme qui vit avec sa femme juive et leurs enfants au moment de l’invasion nazie. Comme il s’occupe du crématorium, il est engagé par les nazis qui l’entraînent dans des bordels pour dignitaires et le convainquent de participer à l’extermination des Juifs. À cause de son métier, il est aussi obsédé par la réincarnation et le livre tibétain des morts... Et il devient fou. Comme dans Schizophrenia, plus le film avance, plus l’image devient bizarre. Quand on sait qu’il a été produit sous une dictature, on ne peut qu’admirer son audace. »

Climax : le best of Gaspar Noé [Critique]

6 - Possession d'Andrzej Zulawski (1981)

« Encore un film-cauchemar, proche de L’Incinérateur de cadavres ou d’Un chien andalou. Je l’ai découvert à 19 ans quand j’étudiais le cinéma à l'école de cinéma Louis Lumière, mais il m’a plus impressionné quand je l’ai revu dernièrement. Sans doute parce qu’il aborde des problématiques d’adultes – la bipolarité féminine, le syndrome de la personnalité borderline. Le tout superbement filmé en caméra portée et courte focale. À l’origine, la copie était toute bleue, un parti pris radical qui augmentait sa dimension mentale. Je n’ai pas compris pourquoi ils ont mis des couleurs normales lors de sa sortie en vidéo. En préparant Climax, j’ai regardé plein d’images de gens qui font des bad trips sous crack ou LSD, mais aussi la séquence où Isabelle Adjani fait une crise de folie dans un tunnel du métro. »

5 - A Serbian Film de Srdjan Spasojevic (2010)

« On peut mesurer la qualité d’un film d’horreur à l’adrénaline qu’il décharge dans le corps du spectateur. Salò, je me suis posé la question de rester dans la salle. Les Chiens de paille, je me suis cassé après la scène de viol. J’ai hésité devant A Serbian Film, découvert en intégral à L’Étrange Festival – il est ensuite sorti en DVD dans une version édulcorée. Certaines séquences sont si barbares qu’elles m’ont donné la nausée. C’est pourtant de la série B, délibérément provocatrice : l’histoire d’un homme utilisé comme cobaye dans des expériences de sadisme social. Le réalisateur m’a raconté qu’il l’avait produit avec de l’argent extérieur au cinéma. Il a embauché des acteurs serbes très connus, qui lui ont permis d’avoir un bon budget. De même, Aronofsky n’aurait pas pu faire Mother! comme il le souhaitait sans Jennifer Lawrence et Javier Bardem au casting. »

4 - Le Dernier monde cannibale de Ruggero Deodato (1977)

« Je préfère Le Dernier Monde cannibale à Cannibal Holocaust. Quand j’étais ado, j’aimais aller voir ces films en double pro- gramme au Brady. Il y avait une meute de vieux types louches qui me faisaient au moins aussi peur que les films. Dès que je m’asseyais ou que j’allais pisser, il y en avait toujours un pour essayer de me mettre une main au cul. Cette sensation de danger physique augmentait beaucoup l’effet des fictions à l’écran, souvent des films d’horreur ou érotiques. On appelait ces salles, comme le Brady ou le Hollywood Boulevard, les salles « pipes et rasoirs ». Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’expliquer pourquoi. La terreur était partout ! »

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3 - El Televisor de Narciso Ibanez Serrador (1974)

« Un film fait pour la télé mais jamais dif- fusé car considéré comme trop violent. Narciso Ibáñez Serrador est le fils de Narciso Ibáñez Menta, le Peter Cushing ibère, qu’on appelait « l’homme aux mille visages » parce qu’il se transformait dans chacun de ses films. Comme lui, Serrador a été acteur avant de devenir réalisateur. Il a signé La Résidence, le premier grand film d’horreur espagnol. Celui-ci est bien moins connu mais mérite d’être découvert. C’est le portrait d’un vieil homme qui met toutes ses économies dans une télé couleur. Peu à peu, il perd contact avec la réalité, se coupe de sa famille et devient une espèce de clochard à domicile. On n’est pas loin d’une comédie noire à la Buñuel. Récemment, j’ai eu la chance de rencontrer Narciso Ibáñez Serrador chez lui, à Madrid. Pendant toute la conversation, il détournait régulièrement son regard vers la télé. C’était inattendu. »

2 - L'Oiseau au plumage de cristal de Dario Argento (1970)

« Il y a deux giallos qui me font vraiment de l’effet : Le Voyeur [Peeping Tom en VO], qui n’est pas un giallo car il est anglais, et celui-ci. Chez Argento, la plupart des gens préfèrent Les Frissons de l'angoisse, mais pour moi, visuellement et à tout point de vue, L'Oiseau au plumage de cristal est le plus parfait. Il joue sur la barbarie du spectateur, parce qu’on ne peut pas éviter d’être excité, ne serait-ce qu’au niveau symbolique. Cette main mystérieuse qui tue des femmes – et dont on va apprendre qu’elle est celle d’une femme –, c’est comme quand un vampire plante ses crocs dans le cou de sa victime. Et puis les actrices du giallo sont toutes plus jolies les unes que les autres, avec des gros seins et des déshabillés... On bave d’impatience en attendant la prochaine scène de meurtre. »

1 - Évolution de Lucile Hadzihalilovic (2015)

« Je trouve que c’est un film rarissime dans la production française actuelle. Par son décor, ça peut faire penser aux Révoltés de l’an 2000 de Narciso Ibáñez Serrador, mais c’est avant tout très mental. Tu as l’impression d’être dans la tête d’un petit garçon victimisé par des femmes adultes. J’aime ces films qui larguent totalement les amarres et entrent dans l’onirisme dès le départ. C’est de l’horreur poétique, de la famille du Montreur d’ombres, Possession et Under the Skin. Ce n’est pas étonnant que Lucile se soit emparée du genre après avoir fait Innocence ou La Bouche de Jean-Pierre, que, personnellement, je trouve encore plus secouant. Au cinéma, rien ne me fait plus peur que les situations réalistes. »