En mai 2014, Timothy Spall (Secrets et mensonges, Le Discours d'un roi, Harry Potter) repartait du festival de Cannes avec le prix d'interprétation pour son rôle titre de Mr Tuner. Nous l'avions rencontré sur la Croisette. A l'occasion de la diffusion du film, à 21h sur Arte, nous republions un extrait de cet entretien.
Mike Leigh est votre cinéaste de prédilection. Que partagez-vous ensemble ?
Le même sens de l’humour, du ridicule et de ce qui est beau et poétique.
Comme Turner ?
D’une certaine façon. C’est le grand peintre du Sublime, mouvement dont il est une sorte de précurseur, ou l’art de combiner la beauté et l’horreur de la nature, avec la futilité humaine en toile de fond. Si vous regardez sa peinture d’Hannibal traversant les Alpes, qui est immense, on voit que l’Homme y est minuscule et stoppé dans son action guerrière par le pouvoir de la Nature
Comment vous êtes-vous préparé pour incarner Turner ?
On sait très peu de choses sur lui. Le truc compliqué avec les Anglais de l’époque géorgienne et victorienne, c’est qu’ils ne parlaient jamais de leurs émotions, ni de leur travail. Turner est une énigme, c’est un homme de mystères. J’ai dû arriver à lui en faisant des détours. J’ai lu environ 25 livres sur les peintres qui l’ont influencé et sur sa nature poétique. J’ai aussi appris à peindre pendant deux ans ! J’ai synthétisé tout ça pour arriver à une sorte d’épiphanie. Un jour, boum, je tenais la clé !
C’est un personnage compliqué, il est grognon, peu loquace, parfois déplaisant. Votre principal travail était-il d’éviter de le caricaturer ?
Quand vous composez, le personnage vous guide, vous devenez son serviteur. Vous essayez de coller aux choses que vous connaissez de lui puis ça grandit en vous de façon organique et vous repartez de zéro.
Vous êtes un artiste et un père de famille. Comprenez-vous son indifférence envers ses filles ?
Ce comportement découle de l’aigreur qu’il ressent envers sa première femme, ça n’a rien à voir avec ses filles. Il a juste fermé la porte sur l’homme qu’il était alors… Turner a eu cinq amours dans sa vie : sa première femme Sarah, sa servante Hannah, la veuve Mrs Booth, son père qu’il aimait énormément et, surtout, son travail. Il a tout sacrifié à sa peinture.
Le film montre que l’art prévaut sur le reste. Etes-vous d’accord ?
Je ne sais pas. J’ai rencontré ma femme il y a plus de trente ans, j’ai trois enfants… J’ai été, j’espère, un bon pater familias. Je mène une vie normale. L’expérience m’a appris à passer plus de temps avec ceux qui comptaient dans ma vie. J’ai probablement été, comme beaucoup d’acteurs, trop gentil avec des gens que je n’aimais pas !
Dans les 90’s, vous avez été malade comme Turner à la fin de sa vie…(coupant) En 1996. Le veille de l’ouverture du Festival de Cannes, on m’a diagnostiqué une leucémie. J’ai été hospitalisé à Londres et j’ai vu de mon lit Brenda Blenthyn et Marianne Jean-Baptiste monter les marches à Cannes pour Secrets et mensonges.
Cet épisode douloureux vous a-t-il servi pour jouer le personnage diminué à la fin de sa vie ?
Sans aucun doute. Etre malade et au bord du précipice vous fait comprendre la souffrance. Le jeu est nourri par ce que l’on voit et ce que l’on vit.
C’est important pour un acteur anglais d’incarner Turner, j’imagine. Pensez-vous que le public vous suivra dans votre interprétation pas toujours flatteuse de cette icône britannique ?
Je ne suis pas d’accord avec vous. Il peut être vu comme quelqu’un de déplaisant, il a dû l’être, mais il était aussi plein de bonté, comme envers ce peintre obscur à qui il n’a jamais demandé de lui rembourser un prêt. C’était aussi un homme constamment obsédé par le fait que son travail serait incompris de son vivant. Je trouve ça extrêmement touchant.
Interview Christophe Narbonne
Bande-annonce de Mr. Turner de Mike Leigh avec Timothy Spall, Paul Jesson et Dorothy Atkinson :
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