L'acteur de Drive a présenté une première réalisation très particulière à Cannes.
Vous avez écrit une chanson, Buried in water, avec votre groupe, « Dead Man’s Bones » qui raconte la même histoire que Lost River. Et puis votre héros s’appelle Bones... Cette chanson, c’était le premier brouillon du film ?On peut dire ça mais c’est une vieille histoire. Un jour, alors que j’étais gamin, j’ai vu cette route qui plongeait directement dans le fleuve, et ma mère m’a lâché le morceau. Elle m’a appris que la rivière près de laquelle j’avais grandi recouvrait en fait d’anciens villages ensevelis. Cornwall, la ville où je vivais, était sur le tracé de la voie maritime du Saint-Laurent, il a fallu aménager un canal qui permette aux bateaux de passer de l’Océan atlantique aux Grands Lacs et donc plein de villages ont été inondés sur son passage. L’idée que j’ai pu me baigner au-dessus d’une ville engloutie m’a pas mal traumatisé ! En plus, ma mère a cru bon d’ajouter que certaines tombes n’avaient pu être déplacées donc j’ai sans doute nagé au-dessus de cadavres quand j’étais gosse…
Lost River : le premier film de Ryan Gosling est une claque
Vous aviez l’impression de vivre en apnée ? Non, j’avais plutôt l’impression d’être… naufragé. D’avoir survécu. Ma ville n’était pas morte justement parce que les autres cités alentour avaient en quelque sorte donné leur vie pour elle !
Vous avez tourné à Detroit, une ville fantôme…Detroit m’a beaucoup inspiré. C’est une ville en destruction où l’on ressent à chaque coin de rue l’absence de quelque chose qui a été là, mais qui a disparu, il y a partout des escaliers qui ne débouchent nulle part. Mais ce n’est pas une ville fantôme, plutôt le fantôme d’une ville. Le problème qui se posait à moi, c’était : comment filmer ce qui n’est plus là ? Il fallait faire en sorte que le film soit un trip en soi.
Comme le personnage du gamin dans le film, petit, vous aviez un monstre tapi sous votre lit ?J’ai grandi dans une maison hantée. Du moins, mes parents en étaient persuadés. On a même déménagé à cause de ça. Bon, ma mère croit aussi toujours au Père Noël donc… Ce qui est sûr, c’est qu’on sentait qu’on n’était pas seuls.
Ca me rappelle l’histoire de Nicolas Winding Refn qui avait vu des fantômes dans sa chambre d’hôtel à Bangkok pendant que vous tourniez Only God Forgives…Je crois que c’est sa fille qui en a vu. En Thaïlande, les fantômes font partie de la vie quotidienne. Il y a même un service spécial dans les hôtels, ce n’est plus le « room service » c’est le « ghost service » : on appelle et quelqu’un monte pour se débarrasser des esprits sous votre table de nuit ! Je vous jure, ça se passe comme ça là-bas. Oncle Boonmee parlait formidablement de ça.
Quand vous étiez gosse, vous avez été traumatisé par un conte ?Un peu par Le secret de Nimh, j’avoue. C’était un dessin animé en fait, l’histoire de souris, de rats et de corbeaux qui vivaient dans des champs et leurs maisons étaient menacées d’être démolies. On aurait dit du Disney, mais hyper dark. C’est drôle parce que des années plus tard, adulte, je suis devenu ami avec le réalisateur ! J’ai été exorcisé !
Il y a plein d’influences très bien digérées dans Lost River : Nicolas Winding Refn, David Lynch, Dario Argento, Harmony Korine etc. C’était des gentils esprits qui vous venaient vous tourmenter ?Plus que n’importe qui, c’est Benoît Debie, mon chef op, qui m’a influencé. Je m’en fous d’établir des ponts entre mon film et ceux des autres. Avec Benoît, notre plus grande référence était le travail du photographe australien Bill Henson, des silhouettes ou des visages à la peau très pâle, presque translucide, qui émergent de l’obscurité. Mais ce qui influence vraiment le style d’un film, ce sont des choses beaucoup plus chiantes et pragmatiques : le budget, le temps, la météo, les acteurs... Au bout de deux jours, le jeune comédien du film se barrait en courant dès qu’il apercevait une caméra. J’étais en panique. Benoît et moi avons dû nous adapter. On est allé se cacher dans les buissons en utilisant de longues focales, comme si on faisait un reportage pour National Geographic, on attendait qu’il se montre comme un animal. Dans la chambre, on se planquait dans la buanderie. La plupart du temps, il ne savait même pas qu’on était là. Ce qui était un obstacle de taille s’est transformé en cadeau. Un autre exemple : quand on tournait à la station essence, soudain, une femme est arrivée pour acheter des chips. Elle s’en foutait qu’on tourne un film, elle voulait ses chips, point barre. Elle est rentrée dans la station et dans le plan en prenant en charge la scène. C’est ce genre d’imprévus qui influent vraiment sur un film.
En voyant la photo de Benoît Debie, on ne peut s’empêcher de penser aux fluos de Spring Breakers, aux néons rouge d’Irréversible…Vous avez vu Innocence (de Lucille Hadzihalilovic) ? C’est mon film préféré sur lequel Benoît a bossé. Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il peut faire ce boulot incroyable sur les couleurs mais ce qu’il préfère, c’est justement ne rien faire et travailler une lumière la plus naturelle possible.
L’acteur du film, Iain De Caestecker, vous ressemble beaucoup…Je ne l’ai pas choisi pour ça mais parce qu’il est complètement dingue ! Dans la scène où il pète les plombs et se met à défoncer une bagnole, ses mains étaient en sang, il pleurait et rigolait en même temps comme s’il était en transe. Il a vraiment détruit cette putain de bagnole à mains nues.
Vous avez pioché votre équipe dans celle de Drive et de The Place beyond the pines. Nicolas Winding Refn et Derek Ciandrance étaient au courant que vous faisiez votre shopping sur leur plateau ?Non, ils me les ont volés à moi ! Après avoir bossé avec cette équipe sur Half Nelson, c’est moi qui ai dit à Derek : « Tu dois engager ces gens, c’est les meilleurs ! » Ensuite, Nicolas les volés à Derek ! Bref, c’est MA team ! (rire)
Au générique vous remerciez Guillermo Del Toro et Terence Malick…Malick, je venais de tourner sous sa direction. C’était pour lui témoigner mon respect. C’est une force de la nature. Il pourrait faire du stand up tellement il est drôle ! Guillermo, lui, a été mon ange gardien. Il a été la première personne à qui j’ai fait lire le script, il m’a encouragé à le réaliser, il est venu au montage, il a vu le film dans tous ses états. Pour moi, c’est le maître du fantastique. Il est le parrain de mon bébé.
Est ce que Gaspar Noé, qui était venu vous rendre visite sur le tournage d’Only God Forgives en Thailande, a passé une tête à Detroit ?Non. Mais Wim Wenders, oui ! Un jour Benoit Debie, qui devait travailler avec lui sur son film en 3D, me demande : « Ca te dérange si Wim passe nous faire un petit coucou ? » Il a débarqué le pire jour, celui où on tournait la scène dans la station essence. Il s’est assis sur le sol poisseux et a regardé la scène derrière un petit moniteur, j’étais terrifié ! Et puis il a levé le pouce, genre « c’est dans la boite ! »
Vous avez envie de recommencer ?Oui ! Quand je tourne en tant qu’acteur, ça prend de 3 à 6 mois, le temps d’une aventure. Tourner en tant que réalisateur, ça prend 3 ans au bas mot. Une vraie histoire d’amour, une relation au long cours où il faut lutter pour que ça dure. Et comme j’aime de plus en plus l’idée d’engagement…
Interview Stéphanie Lamome
Lost River de Ryan Gosling avec Christina Hendricks, Iain De Caestecker, Saoirse Ronan, Eva Mendes sort le 8 avril dans les salles
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