Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE ★★★★☆
De Mohammad Rasoulof
L’essentiel
Reparti avec un Prix de consolation cannois, ce drame du cinéaste iranien exilé Mohammad Rasoulof est d’une puissance infernale telle que l’on aurait tort de réduire au seul contexte qui l’a vu naître.
Rasoulof met ici en scène un huis clos familial étouffant où les bruits d’une société iranienne qui voit sa jeunesse se soulever fissurent les bordures du cadre et plus sûrement les murs de l’appartement de Téhéran, lieu quasi unique de l’intrigue. Avec au centre, Iman, bon père de famille fraîchement promu au sein de la hiérarchie administrative d’un tribunal révolutionnaire. Ce qui permettra à sa femme et ses deux filles d'habiter enfin le "quatre pièces" tant désiré et tant pis s’il lui faut pour cela signer des condamnations à mort sans trop chercher à savoir si la sentence est justifiée. Mais Iman voit vite ses deux adolescentes lui renvoyer au visage la cruauté des autorités de ce pays et précipiter l’éclatement progressive d’un carcan familial devenu intenable. Impérieux, d’une précision de mise en scène absolue, le film glisse insensiblement du drame moral en huis-clos au thriller parano, et donne à voir et comprendre les effets provoqués par l’autoritarisme et la répression. Le grand film d’un cinéaste essentiel.
Thomas Baurez
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
SPEAK NO EVIL ★★★☆☆
De James Watkins
Dans ce remake du film d’horreur psychologique danois Ne dis rien, on suit des bourgeois américains vivant au Royaume-Uni qui rencontrent, en vacances en Italie, une famille britannique aussi bruyante et décontractée qu’eux sont polis et réservés. Et le courant passe si bien que des mois plus tard, les Américains sont invités à passer un week-end chez les Britanniques. Mais à peine ont-ils franchi le seuil de la maison de leurs hôtes que le malaise s’installe… Malaise qui va ensuite passer la majeure partie du film à grimper et grimper encore. James Watkins excelle à créer un climat d’angoisse diffuse et de menace larvée bientôt franchement suffocant, bien aidé dans son entreprise par un McAvoy déchainé en lad chaleureux, toujours à deux doigts d’exploser et de révéler sa nature de brute épaisse, au fil d'un récit constellé de mille petites observations sociologiques au service d’une réflexion sur la soumission à l’autorité, la masculinité toxique et les différences sociales qui finissent par former des gouffres infranchissables.
Frédéric Foubert
Lire la critique en intégralitéMA VIE MA GUEULE ★★★☆☆
De Sophie Fillières
Pour son ultime film, Sophie Fillières (disparue le 31 juillet 2023 à seulement 58 ans) signe un bijou de mélancolie et d’humour mêlé sous forme d’auto- portrait en femme qui, arrivée à la cinquantaine, après avoir été une bonne mère, une collègue prisée par les autres et une grande amoureuse apparaît à la croisée des chemins, confrontée à la solitude et une angoisse grandissante de la mort. Rare sont les films capables de parler de dépression avec autant d’acuité, de légèreté et de profondeur. On en ressort le sourire aux lèvres et des larmes au coin des yeux mais aussi la certitude qu’Agnès Jaoui, sublime dans le rôle central, ferait une non moins sublime du César de la meilleure actrice en février prochain
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéRUE DU CONSERVATOIRE ★★★☆☆
De Valérie Donzelli
Valérie Donzelli n’est jamais là où on l’attend. Peu après son César pour L’Amour et les forêts, la voici aux commandes de son premier documentaire, né d’une rencontre avec Clémence, une élève du Conservatoire de Paris où elle a donné une master class. Rue du conservatoire accompagne le spectacle – un Hamlet revu et corrigé - que Clémence met en scène avant de quitter l’école. Valérie Donzelli filme les répétitions et recueille les confidences de Clémence et ses interprètes (dont Lomane de Dietrich, la révélation de Partir qui crève encore l’écran) dans ce moment unique de leur parcours, juste avant de prendre leur envol, où aucun rêve ne paraît inaccessible. L’empathie qu’elle déploie, sa manière, d’être au milieu d’eux donne une émotion particulière à ce film qui dépoussière aussi subtilement l’image de la figure du metteur en scène, ici tout sauf démiurge tyrannique mais capable de partager ses doutes sans perdre le contrôle de sa troupe.
Thierry Cheze
JOUR DE COLERE ★★★☆☆
De Jean- Luc Herbulot
L’an dernier, dans Saloum, Jean-Luc Herbulot s’amusait à marier les genres, composant ainsi une œuvre singulière et intrigante. Trois ans plus tard, il réitère l’expérience dans Jour de Colère – combinaison de thriller et fantastique gentiment dosée. Joey Starr y incarne Frank, un tueur à gages de la mafia italienne. Lorsqu’une issue vers la rédemption avec sa bien-aimée s’offre à lui, il la saisit. Mais en chemin, il rencontre un type étrange – c’est là que les ennuis reviennent. Entraîné dans les méandres d’un labyrinthe physique et mental, Frank doit affronter son passé et ses démons – littéralement. Derrière son esthétique de polar avec ses impers et son obscure humidité, le film touche au surnaturel incarné par ce sociopathe qui, tel le Virgile de Dante, nous guide aux Enfers.
Anthéa Claux
BILLY LE HAMSTER COWBOY ★★★☆☆
De Antoine Rota et Caz Murrel
Compilation de six épisodes de la série adaptant les albums jeunesse de Catharina Valckx, Billy, le hamster cowboy est une vraie bonne surprise. Chaque épisode se révèle plus charmant que le précédent, jouant habilement sur les clichés de l’Ouest sauvage et des mythologies de l’enfance (big up en passant à la référence à Zelda, avec l’épisode sur l’arbre Mojo) dans un style mi-anime mi-crayonné très rafraîchissant… Mais c’est surtout la personnalité des protagonistes qui emporte le morceau : le doublage, d’une qualité folle, donne à Suzie la blaireaute ou Jean-Claude le ver de terre de véritables caractères, surprenants mais immédiatement familiers. Ce qui achève de transformer ce best of en véritable petite épopée western. Entre deux prières pour avoir des nouvelles de la suite d’Horizon de Costner, on est prêts à un Chapitre Deux de Billy, le hamster cowboy quand vous voulez.
Sylvestre Picard
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
LES BARBARES ★★☆☆☆
De Julie Delpy
Julie Delpy alterne dans sa carrière de réalisatrice les chroniques bobo expatriées (Two Days in Paris), les expériences plus audacieuses flirtant avec le genre (La Comtesse) et les comédies bien de chez nous. Les Barbares appartient clairement à cette dernière catégorie. C’est un feel-good movie, oui, mais inspiré par l’humeur feel-bad de la France d’aujourd’hui. Le pitch est malin : en Bretagne, à Paimpont, le conseil municipal a voté en faveur de l’accueil d’une famille de réfugiés ukrainiens – mais ce sont finalement des Syriens qui débarquent… Film choral sur fond de déchirements entre ceux qui veulent tendre la main et ceux qui préfèrent fermer la porte, Les Barbares alterne les humeurs en zappant d’un personnage à l’autre, passant d’un ton grave à plus déconnant. Ces changements de registre pas très fluides donnent un côté brouillon au film, par ailleurs assez prévisible dans son propos réconciliateur mais qui est sauvé par ses comédiens.
Frédéric Foubert
Lire la critique en intégralitéNI CHAÎNES NI MAÎTRES ★★☆☆☆
De Simon Moutaïrou
Situé en 1759 au cœur de l’Isle de France (l’actuelle île Maurice), le premier long métrage de Simon Moutaïrou (le co- scénariste de Boîte noire, Goliath..) suit le destin de Massamba et Mati, un père et sa fille, esclaves dans une plantation française de canne à sucre. Lorsque Mati s’enfuit, une cruelle chasseuse d’esclaves est chargée de la retrouver et Massamba s’évade à son tour. En abordant le sujet, très peu traité au cinéma, de l’abominable système esclavagiste pratiqué pendant plusieurs siècles par la France, le film fait preuve d’une rare ambition, appuyée par des décors immersifs et une violence frontale qui dessinent les contours d’un imposant pamphlet. Mais le recours constant aux codes du survival et la volonté de charger ce tragique récit d’un mysticisme magique et d’une esthétique fantastique atténuent étrangement la portée des personnages et limitent le réalisme de ce témoignage historique pourtant précieux.
Damien Leblanc
PREMIÈRE N’A PAS AIME
VENI VIDI VICI ★☆☆☆☆
De Daniel Hoesl et Julia Niemann
Coincé quelque part en Europe entre Yórgos Lánthimos (Grèce) et Ruben Östlund (Suède), le cinéma autrichien a son lot de cinéastes adeptes de la torture, envers ses personnages comme ses spectateurs. Produit par Ulrich Seidl (ça annonce déjà la couleur), Veni vidi vici se présente dans un premier temps comme une comédie grinçante à charge contre les ultra-riches, enfants chouchous d’un capitalisme décadent. Très rapidement, les habitus et les structures désintéressent Daniel Hoesl et Julia Niemann (le tandem à la réalisation), lesquels préfèrent la facilité du malaise provoqué par cette famille milliardaire déconnecté du monde quotidien. Il faudrait rire des goûts du père pour la chasse à l’homme (envers les pauvres, donc) ou des différents problèmes familiaux rencontrés par la mère ou la fille… au pire, on quitte la salle avant la fin, au mieux on souffle d’exaspération jusqu’au bout.
Nicolas Moreno
TOXICILY ★☆☆☆☆
De François- Xavier Destors et Alfonso Pinto
« Mieux vaut mourir d’un cancer que mourir de faim », entend-on sur une plage sicilienne noircie par les fumées épaisses de l’un des plus grands complexes pétrochimiques d’Europe. Sacrifiée sur l’autel du progrès industriel, la belle Syracuse de carte postale cède la place à une terre toxique, un poumon malade où la pollution étouffe à travers l’écran. Le duo franco-italien à l’œuvre derrière la caméra choisit de faire entendre la voix des victimes silencieuses qui n’ont d’autres choix que de constater sous leurs yeux les ravages de ce désastre écologique et d’en subir les dommages collatéraux, parfois mortels. Mais entre des images apocalyptiques bien réelles sur fond de musiques angoissantes et une succession monotone de témoignages parfois maladroitement scénarisés, l’élan documentaire de Toxicily peine à trouver son rythme et sa cohérence. Et à aller au- delà d’une simple enquête journalistique.
Lou Hupel
Et aussi
Pat et Mat- Un dernier tour de vis, de Marek Benea, Stepan Gajdos et Kees Prins
Petits contes sous l’océan, programme de courts métrages
L’Usage du monde, voyage entre nature et culture, de Agnès Fouilleux
Reprise
Be natural, l’histoire cachée d’Alice Guy- Blaché, de Pamela B. Green
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