Le Monde Perdu Jurassic Park
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Par sa place dans la filmographie de Spielberg et son succès mitigé auprès de la critique, la suite de Jurassic Park tient une place à part entière dans son œuvre.

Après le premier volet diffusé la semaine dernière (et reprogrammé à 23h25), TFX continue sa programmation Jurassic Park ce soir avec Le monde perdu : Jurassic Park, sa suite sortie en salles en 1997. Suite à l'énorme succès du premier épisode sorti en 1993, encore révolutionnaire sur bien des aspects techniques aujourd'hui, l'idée d'une suite s'est rapidement imposée. Et ce contrairement à ce qu'imaginait Michael Crichton, auteur du livre adapté par Steven Spielberg, et qui n'avait jamais écrit de suite à ces œuvres.

Sous la pression des fans et avec l'aide du réalisateur et du scénariste David Koepp, Crichton termine d'écrire Le monde perdu en 1995. Deux ans plus tard, l'adaptation cinématograhpique sort en salles, et récolte à son tour un énorme succès public en dépassant les 618 millions de dollars de recettes, ancrant un peu plus la saga dans le cercle des blockbusters les plus bankable de Hollywood (statut encore récemment confirmé par Jurassic World).

Pour autant, avec le recul, Le monde perdu ne jouit pas du même statut que son prédécesseur : moins bien reçu par la critique, et se distinguant par son imaginaire très sombre, le film dénote dans la filmographie d'un auteur qui n'a jamais à se confronter à la noirceur, mais qui signe là un blockbuster particulièrement désenchanté.

 

Jurassic Park 2
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Une suite désirée personnellement
Le monde perdu sort dans les salles en mai 1997, soit trois ans et demi après la sortie de la Liste de Schindler, son précédent long-métrage. Certes, pendant ce temps, le cinéaste ne reste pas inactif, puisqu'il en profite notamment pour co-fonder sa maison de production, Dreamworks. Mais il n'en demeure pas moins que cette césure est inhabituelle dans la filmographie de Spielberg, puisqu'il s'agit de la plus longue durée séparant la sortie de deux de ses films.

Spielberg fut pourtant celui de tous qui désirait le plus donner une suite à son Jurassic Park. Il s'expliqua d'ailleurs sur la raison d'être de ce sequel dans une interview avec Peter Biskind publiée dans le Premiere américain en 1997. Mécontent de l'héritage laissé par les suites des Dents de la mer, Spielberg fut longtemps réticent à accorder le même genre de traitement à ses autres films. Ce fut notamment le cas pour E. T., film tellement personnel et intime que Spielberg refusa à quiconque la possibilité de ternir l'oeuvre originale. Pour Jurassic Park, son raisonnement fut différent.

"Je n'ai jamais ressenti la même chose pour Jurassic Park. Je ne pense pas que ce soit un film parfait, et je ne me sentais pas aussi proche du film au point de vouloir protéger son intégrité à tout prix d'une suite, bien que j'en aie certainement le droit. Parmi les films que j'ai réalisé et que je trouve réussis, je pense qu'il n'est même pas dans mon top 5. Mais il y avait une telle demande du public, des milliers et des milliers de lettres. Après avoir passé des années à leur refuser une suite à E. T., je ne me voyais pas dire à nouveau non à un enfant de neuf ans qui me demandait : 'OK, je comprends que vous ne vouliez pas de suite pour E. T, je comprends pourquoi c'est si personnel pour vous, alors pourquoi ne pas faire une suite à Jurassic Park ?'. Et je ne voulais pas faire de film sérieux après La liste de Schindler. Après trois ans sans réaliser, je ne voulais pas retourner au fond de la piscine, je voulais rester à la surface et me réhabituer à l'eau. Je voulais quelque chose de familier".

Ce sera donc Le monde perdu, pour lequel au passage il coupe l'herbe sous le pied à un certain Joe Johnston, qui déclare rapidement son envie de réaliser une suite à Jurassic Park. Par un gentlemen agreement qui sera respecté quelques années plus tard, Spielberg décide de réaliser ce deuxième épisode en promettant à Johnston de réaliser le (possible) troisième épisode. Ce sera le cas avec Jurassic Park III en 2001.

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L'ombre de La liste de Schindler
Bien que les deux films ne partagent absolument rien de commun dans leur sujet et leurs moyens, La liste de Schindler laissa une trace indélébile sur Steven Spielberg à l'époque. Une lie d'ailleurs directement les deux films : la présence de Janusz Kaminski, fidèle chef opérateur du réalisateur, au générique des deux films. Kaminski reprend ici le flambeau de Dean Cudney, autre figure hollywoodienne responsable de la photo entre autres de Halloween, The Thing, Retour vers le Futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, ou encore de Hook pour Spielberg.

La rencontre entre Kaminski et Spielberg sur le tournage de La liste de Schindler aboutira au début d'une collaboration entrée depuis dans les livres d'histoire du cinéma. Elle conduit également à une autre ambiance visuelle sur Le monde perdu, beaucoup plus sombre, comme le confiait Kaminski à Vulture dans une interview en 2012 : "C'était un film très effrayant, alors on a eu la possibilité de tourner une image beaucoup plus sombre, plus proche d'un film de genre, presque de l'ordre d'un film d'horreur".

Si Spielberg s'en défend, l'influence de La liste de Schindler se ressent dans ce Monde perdu résolument plus sombre et plus violent. Mais c'est surtout dans la morale sous-jacente du film que celle-ci peut également s'illustrer. Dans la même interview accordée à Peter Biskind, Steven Spielberg soulignait les intentions différentes de Jurassic Park et du Monde perdu.

"Le premier film traitait de l'échec de la technologie face aux forces de la nature. Le monde perdu s'intéresse plus à l'impuissance des hommes face à leur arrogance, l'absence de moralité face à la nécessité de protéger les animaux".

Derrière la morale écolo du film se dresse donc le même portrait d'une faillite non plus de la technologie, mais de l'humain, et de son potentiel auto-destructeur. Une situation pas si lointaine du dilemme moral auquel est confronté Oskar Schindler et qui nourrit la noirceur palpable de cet opus. Un message qui n'échappa notamment à Rick Carter, directeur artistique du film, qui qualifia Le monde perdu en ces termes : "Dans ce film, les intentions et les problèmes auxquels on est confronté sont plus sombres. Je pense que c'est un Jurassic Park post-Liste de Schindler... Je ne pense pas que ce soit le même Steven Spielberg désormais".

L'opus de la frustration
Malgré son envie de reprendre la main sur un blockbuster plus léger après l'épreuve psychologique de La liste de Schindler, Steven Spielberg ressortira frustré du tournage du film, dont il se désintéresse par moments.

"Je me suis retrouvé, au beau milieu de cette suite, à être de plus en plus impatient envers moi-même", confie-t-il à Peter Biskind, "par respect pour le genre de films que j'aime vraiment faire. Souvent, j'avais l'impression de me retrouver dans la DeLorean de Doc Brown à revenir quatre and et demi en arrière. Je ne faisais que servir les gens à un banquet, et je ne me proposais rien de véritablement excitant comme défi. Je me disais : 'Ce n'est pas assez pour moi".

Au final, la sortie du Monde perdu provoqua une forme de malentendu auprès de la critique américaine, qui ne comprit pas tout à fait les intentions de Spielberg. Concentrant essentiellement ses critiques sur le script de David Koepp, la presse réserva un accueil assez froid au film, ce qui ne l'empêchera pas de connaître un succès planétaire, puis une nouvelle suite en 2001. Une suite pour laquelle Steven Spielberg ne fut cette fois-ci que producteur exécutif.

Notons enfin que le dernier épisode de la saga, Jurassic World Fallen Kingdom, multipliait les références au Monde Perdu. Plus de détails au sein de notre critique :

Jurassic World 2 : Juan Antonio Bayona sur les traces de Steven Spielberg [critique]

L'histoire du Monde perdu Jurassic Park : Quatre ans après le terrible fiasco de son Jurassic Park, le milliardaire John Hammond rappelle le Dr Ian Malcolm pour l’informer de son nouveau projet. Sur une île déserte, voisine du parc, vivent en liberté des centaines de dinosaures de toutes tailles et de toutes espèces. Ce sont des descendants des animaux clônes en laboratoire. D’abord réticent, Ian se décide à rejoindre le docteur quand il apprend que sa fiancée fait partie de l’expédition scientifique. Il ignore qu’une autre expédition qui n’a pas les mêmes buts est également en route.


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