Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
LE MEILLEUR RESTE À VENIR ★★★★☆
De Matthieu Delaporte et Alexandre De La Patellière
L’essentiel
Sept ans après Le prénom, Matthieu Delaporte et Alexandre De La Patellières signent une comédie débridée, moins satirique que mélancolique, sinon funèbre, portée par le duo de choc Luchini-Bruel.
Le tandem Delaporte-De La Patellière n’a pas arrêté depuis le succès du Prénom, en 2012. Dans l’intervalle, les deux auteurs ont été appelés au chevet de Papa ou Maman (dont ils ont musclé le scénario de départ, écrit la suite et showrunné la série), écrit à quatre mains Un illustre inconnu (réalisé en solo par Matthieu) et signé deux pièces de théâtre (Un dîner d’adieu, Tout ce que vous voulez). Pressés et boulimiques de travail, toujours en train de jongler entre les projets, ils ont décidé, pour leur deuxième réalisation en commun, très attendue, de se confronter à un sujet universel qui les a touchés de près : la mort.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A ADORÉ
BROOKLYN AFFAIRS ★★★★☆
D’Edward Norton
« C’est comme si un anarchiste vivait dans ma tête », dit Lionel Essrog (Edward Norton), le détective privé atteint du syndrome de La Tourette, héros de Brooklyn Affairs, pour expliquer pourquoi il ne peut pas s’empêcher de ponctuer sa conversation d’interjections incompréhensibles ou de lapsus grossiers. Un clin d’oeil à peine voilé à Fight Club et, plus généralement, au goût qu’a toujours eu l’acteur pour les personnages intranquilles, « dérangés », perturbés par leurs pensées en fusion.
Frédéric Foubert
PREMIÈRE A AIMÉ
IT MUST BE HEAVEN ★★★☆☆
D’Elia Suleiman
It must be heaven commence là où Le temps qu’il reste (le précédent film de son réalisateur) finissait. À Nazareth, dans la maison de sa mère où notre héros découvre que son voisin vient tailler et arroser son citronnier sans lui demander son avis. Une métaphore à peine voilée des relations compliquées avec le voisin israélien. Et le point de départ parfait d’une oeuvre souvent drôle et totalement désespérée, pour laquelle Elia Suleiman a retrouvé la grâce d’Intervention divine. Il y a beaucoup de Monsieur Hulot dans le personnage qu’interprète le cinéaste palestinien. Chapeau vissé sur la tête, lunettes qui soulignent son look de Droopy, il promène sa dégaine nonchalante, sans dire un mot, à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil. Dans l’avion en direction de Paris, les turbulences donnent lieu à une séquence de comédie très réussie. A-t-il atteint là le paradis dont il a rêvé ? Les filles sont belles et les flics mesurent les terrasses. Oui, mais le producteur refuse de financer un film qu’il ne trouve « pas assez palestinien ». Le Français le veut combattant. Alors, exit Paris, cap sur New York. Big Apple sera-t-elle la terre de tous les possibles ? Pas sûr : les femmes font leurs courses kalachnikov en bandoulière et les productrices refusent les conflits... De ville en ville, Suleiman offre une revue de détail du surréalisme au quotidien d’une poésie folle, sublimée par une mise en scène au cordeau et la beauté des cadres éclairés par Sofian El Fani (La Vie d’Adèle, Timbuktu…). Welcome back, M. Suleiman !
Sophie Benamon
LE VOYAGE DU PRINCE ★★★☆☆
De Jean-François Laguionie et Xavier Picard
Si vous ne vous rappelez pas les détails de l’univers du Château des singes, premier long de Jean-François Laguionie sorti en juin 1999, ce n’est pas bien grave tant sa suite se pense comme un film indépendant. Et le film se chargera de vous faire pénétrer en douceur dans son monde, par le truchement du prince d’un royaume simiesque ambiance Renaissance, échoué sur le rivage d’un autre pays, une espèce de dictature scientifique qui a atteint le niveau technologique de la fin du 19ème siècle. Visuellement, musicalement, oralement, Le Voyage du prince est une véritable merveille. Le film nous plonge par tous ses moyens de cinéma dans un univers pastel qui serait sur la frontière entre les Cités obscures de François Schuiten et les tableaux oniriques de Florence Magnin. Ce n’est pas qu’une question de dessin (même si on aimerait disparaître dans le lieu principal de son action, un institut scientifique à l’abandon, calme et nocturne, au milieu de la jungle) : le storytelling du film, d’une douceur rêvée, nous fait réellement plonger dans cet univers rêvé, aussi beau que terrifiant, qui menace de déraper en cauchemar à chaque instant. Les singes version industrielle obéissent aux lois de « l’obsolescence programmée », consomment frénétiquement des objets périssables et vivent par la politique de la peur de l’autre. Mais en fin de compte, le prince de ce Voyage choisira l’exil plutôt que la révolution, confortant son statut de film précieux, qui veut délibérément se situe à l’écart du monde.
Sylvestre Picard
LES REINES DE LA NUIT ★★★☆☆
De Christiane Spièro
Les « reines de la nuit », ce sont ces transformistes filmés par la documentariste Christiane Spièro, à la fois sur scène (costumés et sublimés en Dalida, Sylvie Vartan, Amy Winehouse, Liza Minnelli…) et à la ville, une fois démaquillés, à nu, sans public ni prejecteur. « Chez les transformistes, il y a des hommes virils, des efféminés, des “un peu ou beaucoup” opérés, des transgenres, des transsexuels, des jeunes, des vieux, des beaux, des laids, des maigres, des gros », explique la réalisatrice. Le film est une collection de portraits fins et précis, un panorama sensible où les différents intervenants se racontent face caméra. Tous sont issus de milieux différents, portés par des désirs divers, mais réunis par l’amour commun de l’illusion, du spectacle et de la liberté.
Frédéric Foubert
CEUX QUI NOUS RESTENT ★★★☆☆
D’Abraham Cohen
Début 2013. Le personnel du Méliès, le cinéma public de Montreuil, entre en grève pour protester contre la suspension jugée abusive de quatre de ses salariés. Un long bras de fer commence entre les employés et la mairie, conquise cinq ans plus tôt par Dominique Voynet... Dans la longue lignée des documentaires consacrés à des mouvements sociaux vécus de l’intérieur, Ceux qui nous restent alterne les scènes collectives (de lutte, de réflexion, de rencontres avec les spectateurs, de séances publiques) et les moments plus intimes. L’humanité qui ressort de ces périodes tendues, où les cœurs et les têtes sont à vif, fait le sel de Ceux qui nous restent, par ailleurs un peu trop flou sur le fond de l’affaire, dont on croit comprendre qu’elle obéit à de bas calculs politiciens.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
SEULES LES BÊTES ★★☆☆☆
De Dominik Moll
Après s’être aventuré du côté des séries télé (Tunnel, Eden) et de la comédie azimutée (Des nouvelles de la planète Mars), Dominik Moll revient à son genre de prédilection avec ce thriller racontant la disparition mystérieuse d’une femme dans les Causses et les destins entremêlés d’une poignée d’individus réunis par la fatalité. La ronde des personnages et la structure à la Rashômon évoque presque une version « sérieuse » de Mais qui a tué Harry ? (ce qui est sans doute logique de la part du réalisateur de Harry, un ami qui vous veut du bien), mais la mécanique du scénario produit finalement moins de suspense que de monotonie, et finit par s’abîmer dans une succession de retournements de situation invraisemblables. Reste une mise en place intrigante, et ce goût prononcé pour une forme de bizarrerie sophistiquée, trop rare dans le cinéma français.
Frédéric Foubert
LA FAMILLE ADDAMS ★★☆☆☆
De Greg Tiernan & Howard Vernon
Bonne idée : avoir confié les clés du reboot de La Famille Addams à l’équipe de Sausage Party. Mauvaise idée : s’inspirer des inoffensives productions Illumination et faire passer les Addams pour des cousins du Gru de Moi, moche et méchant. Visuellement, c’est vraiment bien foutu, très proche des strips d’origine de Charles Addams (le casting vocal en VO est brillantissime : mention spéciale à la voix spectrale de Charlize Theron), mais on est très loin de la réjouissante satire des deux films de Barry Levinson (où l’on passait au napalm une colonie de vacances dans le splendide Les Valeurs de la famille Addams). Ici, les Addams affrontent la ville sécuritaire et rose bonbon d’Assimilation, avant de réaliser qu’au fond, manoir gothique ou pavillon instagramable, c’est kif-kif. L’important c’est la famille. Un comble, en somme.
Sylvestre Picard
UN ÉTÉ À CHANGSHA ★★☆☆☆
De Zu Feng
Découvert à Cannes, ce premier long du Chinois Zu Feng s’ouvre comme un polar classique. Un bras est retrouvé dans un fleuve et deux policiers vont mener une enquête au fil de la découverte des membres épars du corps de la victime. On se situe alors dans l’ombre de figures tutélaires écrasantes comme Memories of Murder. Mais c’est précisément lorsque le film semble étouffer sous les codes du genre qu’il part ailleurs. Qu’il abandonne l’enquête stricto sensu pour s’aventurer sur le terrain de la chronique dépressive, dans les pas d’un des enquêteurs qui, au bord de la démission, retrouve le goût de vivre grâce à ses échanges avec la soeur de la victime, dont la neurasthénie le trouble autant qu’elle le charme. Un été à Changsha quitte alors un terrain balisé pour des chemins de traverse. Il n’évite pas quelques digressions malhabiles mais y trouve sa singularité.
Thierry Cheze
MADE IN BANGLADESH ★★☆☆☆
De Rubaiyat Hossain
Made in Bangladesh appartient à la catégorie des films à sujet inattaquable qui peuplent les palmarès des festivals (cf. Cannes 2019), et dont la sincérité de ceux qui les réalisent ne souffre d’aucune discussion. La réalisatrice dépeint ici le combat d’une jeune femme employée d’une usine de textile bangladaise, aux conditions de travail déplorables. Malgré la pression menaçante de son employeur et l’opposition de son mari, elle va tenter d’y créer un syndicat. Le cinéma sert évidemment à mettre un coup de projecteur sur les injustices du monde et ces héroïnes qui s’attachent à les faire disparaître. Mais des films aussi scolaires où rien ne dépasse servent-ils le cinéma ? Quand on est mû par le seul désir de reconstituer sans la trahir la réalité la plus brutale, on oublie souvent d’en faire. Et la forme documentaire aurait été ici finalement plus appropriée.
Thierry Cheze
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