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Le box-office français enregistrera moins de 100 millions d'entrées en 2020, contre 200 millions habituellement.

Le bilan de la fréquentation cinématographique en France vient d'être publié par le CNC pour le mois de septembre 2020, ce qui permet d'analyser les chiffres de l'été, et plus généralement du premier semestre. Un box-office forcément particulier, à l'heure où les salles de cinéma ont été fermées de mi-mars au 22 juin, et où les gros studios hollywoodiens reportent tous leurs blockbusters à l'année prochaine, ce qui impacte forcément les classements français. Voici les détails, chiffres précis à l'appui.

Fréquentation cinématographique 2020 : Tableau 1
Le CNC

 

Le tableau de la fréquentation des salles de cinéma en France, publié début octobre par le CNC, montre clairement la forte chute de vente de tickets de cinéma. De janvier à septembre, on compte seulement 50 millions d'entrées dans l'Hexagone contre 139 millions sur la même période en 2019, ce qui représente une baisse globale de 63%. Un cumul qui suppose que le score annuel n'atteindra exceptionnellement pas les 100 millions de tickets de cinéma vendus en France cette année, alors que d'ordinaire, la barre des 200 millions est franchie.

Dans le détail, cette baisse est évidemment due en majeure partie à l'épidémie de Coronavirus, qui a imposé au gouvernement de fermer des salles de cinéma du 14 mars au 22 juin 2020. Pendant trois mois, aucune fréquentation n'a été enregistrée, ce qui n'était jamais arrivé dans l'histoire du cinéma français. Sur la même période, l'année dernière, les exploitants vendaient plus de 30 millions de tickets. Mais même avant cela, l'année avait mal démarré pour cinéma en France, avec une moyenne de -20% de fréquentation en janvier et février par rapport à 2019. Cela s'explique par le début d'année record de l'an dernier, où les salles étaient combles grâce aux succès de Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu ?, Creed 2, Dragons 3 ou Green Book.

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Une fois qu'elles ont été réouvertes, le public a mis du temps à revenir dans les salles obscures. Par peur de l'épidémie, sans aucun doute (d'ailleurs les salles ne pouvaient alors être remplies qu'à moitié pour respecter les mesures sanitaires), mais aussi à cause des vacances ensoleillées et de l'absence de blockbusters US, la fréquentation a chuté de 74% en juillet, puis est remontée un peu en août (-58%). 2020 était aussi la première année depuis 36 ans sans la Fête du Cinéma et ses tarifs réduits. La sortie de Tenet, le 24 août, a notamment permis de relancer la machine, même si elle a coïncidé avec le port obligatoire du masque dans les salles de spectacle. Le thriller de Christopher Nolan était le film au plus gros budget à être proposé depuis le 22 juin dans les salles françaises, et il y a récolté plus de 2 millions d'entrées, ce qui est bien (aux Etats-Unis, en revanche, ses résultats déçoivent, mais la situation est différente tant de nombreux cinémas sont encore fermés dans le pays). Durant l'été, ce sont cependant surtout des films français qui ont profité de l'absence de concurrence américaine et enregistré les meilleurs scores : Les Blagues de Toto, sorti le 5 août, a été vu par près d'1 million de personnes, De Gaulle, dans les salles le 4 mars, a réuni la plupart de ses 850 000 spectateurs après la réouverture des salles et Tout simplement noir a été vu par 758 000 curieux à partir du 8 juillet. C'est d'ailleurs visible sur cet autre tableau proposé par le CNC, où la part de films français sur les neuf premiers mois de 2020 a augmenté par rapport à 2019 (41,7% contre 34,9%), alors que celle des films américains a baissé, même si elle reste au-dessus des productions locales, passant de 54,1% l'année dernière à 44,3%. Les productions venues d'Angleterre, d'Italie, d'Asie etc. restent faibles, bien qu'un peu en hausse : 13,9% des entrées en France depuis janvier contre 11,8 en 2019.

 

Fréquentation cinématographique 2020 : Tableau 2
Le CNC

 

Le top 20 de 2020 

Le succès des films français se vérifie au sein du top 20 mis à jour régulièrement par le film français, où l'on en compte huit disséminés au milieu de grosses productions américaines : Ducobu 3, 10 jours sans maman, Les Blagues de Toto, Le Prince oublié, De Gaulle, Tout simplement noir, Les Vétos et La Bonne épouse. Ceci étant dit, il est aussi notable que huit films du top 10 sont en fait sortis avant le confinement : seuls Tenet et Les Blagues de Toto sont présents parmi les plus gros succès de 2020 en France. Voici les détails :

1. 1917 (US) a enregistré 2 203 337 entrées depuis le 15 janvier
2. Tenet (US) a enregistré 2 159 301 entrées depuis le 24 août
3. Sonic le film (US) a enregistré 2 113 220 entrées depuis le 12 février
4. Bad Boys for Life (US) a enregistré 1 726 212 entrées depuis le 22 janvier
5. Ducobu 3 (FR) a enregistré 1 497 326 entrées depuis le 5 février
6. Le Voyage du Dr Dolittle (US) a enregistré 1 293 055 entrées depuis le 5 février
7. L'Appel de la forêt (US) a enregistré 1 258 014 entrées depuis le 19 février
8. 10 jours sans maman (FR) a enregistré 1 177 479 entrées depuis le 19 février
9. Birds of Prey (US) a enregistré 1 047 460 entrées depuis le 5 février
10. Les Blagues de Toto (FR) a enregistré 992 007 entrées depuis le 5 août
11. En avant (US) a enregistré 937 158 entrées depuis le 4 mars
12. Le Prince oublié (FR) a enregistré 921 115 entrées depuis le 12 février
13. De Gaulle (FR) a enregistré 859 981 entrées depuis le 4 mars
14. Les Filles du Dr March (US) a enregistré 805 211 entrées depuis le 1er janvier
15. Le Cas Richard Jewell (US) a enregistré 795 393 entrées depuis le 19 février
16. Invisible Man (US) a enregistré 776 426 entrées depuis le 26 février
17. Scooby ! (US) a enregistré 759 448 entrées depuis le 8 juillet
18. Tout simplement noir (FR) a enregistré 758 248 entrées depuis le 8 juillet
19. Les Vétos (FR) a enregistré 641 564 entrées depuis le 1er janvier
20. La Bonne épouse (FR) a enregistré 632 661 entrées depuis le 11 mars

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Le succès des plateformes de streaming et de la VOD

La fermeture des salles de cinéma n'a pas empêché les gens d'avoir accès aux films, mais a déplacé leur attention vers les plateformes de streaming, qui fonctionnaient déjà bien depuis quelques temps, mais qui ont battu des records depuis le confinement. Les dirigeants de Netflix France se félicitaient ainsi, dès la première semaine de confinement, d'une hausse importante de connexion et de visionnage de films, sur la plateforme, le nombre de programmes regardés étant passé de 14,8 millions à 18 millions sur ces 7 jours. En juillet, la firme annonçait 10 millions d'abonnés en plus sur la planète, et citait alors l'épidémie de Covid-19 comme l'un des facteurs expliquant cette hausse importante. Le lancement de Disney +, étalé entre fin 2019 et avril 2020 suivant les pays, a également été spectaculaire : ses créateurs misaient sur 60 millions d'abonnés en 2024 et ce nombre a été atteint dès cet été.
Enfin, plusieurs œuvres qui devaient sortira au cinéma ont également été rachetées par des plateformes, comme Amazon Prime, qui a récupéré les droits du Pinocchio, de Matteo Garrone, ou de Brutus V. César, de Kheiron, afin de les montrer à ses abonnés sans passer par la case cinéma.

Le phénomène est donc mondial, mais il a coïncidé chez nous avec l'assouplissement des règles de la chronologie des médias par le CNC, ce qui a permis par exemple à Birds of Prey ou En Avant, qui marchaient bien sur grand écran, de sortir plus vite en DVD et blu-ray. Ceci dit, le délai de diffusion d'un film en VOD et streaming et à la télévision après sa programmation au cinéma reste plus long en France que dans la plupart des autres pays, notamment aux Etats-Unis où plusieurs gros studios ont sorti leurs blockbusters en même temps en salles et à la maison, par exemple Universal avec Les Trolls 2.

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Absence de blockbusters hollywoodiens et inquiétude des professionnels

Tous ces éléments réunis expliquent donc en grande partie la baisse de fréquentation dans les salles françaises, qui impacte plus généralement tout le milieu du cinéma, entraînant des coupes budgétaires à différents niveaux et des licenciements. Plusieurs professionnels ont logiquement fait part de leur inquiétude, comme lors de la reprise des tournages au début de l'été, ou face à l'annulation de plusieurs festivals, notamment Cannes, en mai dernier.

Nathanaël Karmitz, le président des cinémas MK2, regrettait aussi il y a quelques jours, lors du Congrès de la Fédération Nationale des Cinémas Français (FNCF), que Tenet se soit retrouvé "trop seul" cet été pour représenter les blockbusters hollywoodiens. Il est vrai qu'à ses côtés, à part le film catastrophe Greenland, avec Gerard Butler, et Les Nouveaux mutants, épisode sacrifié de la saga X-Men (qui a connu de gros problèmes de production en parallèle du rachat de la 20th Century Fox par Disney), la plupart des films à gros budget prévus cette année ont été reportés à 2021, et Tenet s'est retrouvé malgré lui présenté comme le "sauveur" des salles de cinéma.

Ses scores décevants au box-office américain ont entraîné une nouvelle vague de reports (après celle du printemps dernier), qui a eu un effet boule de neige sur tous les studios : Disney a programmé Mulan et Soul, le nouveau Pixar, directement sur sa plateforme et reporté tous ses Marvel à l'an prochain (2020 était ainsi la première année sans blockbuster du MCU depuis 2009!), Universal a repoussé Fast & Furious 9 (et passé Jurassic World 3 de l'été 2021 à 2022), Universal a décalé le prochain James Bond, Mourir peut attendre, en avril 2021, et même la Warner, qui avait donc tenté le coup avec Tenet, a fait machine arrière concernant Dune, Wonder Woman, The Batman etc.

"Il y a deux contextes différents, analyse Karmitz. D’un côté, par exemple celui de Pinocchio où, au regard des frais engagés et du caractère exceptionnel de la situation, c’était sûrement la meilleure décision à prendre pour son distributeur (Le Pacte, Ndlr). De l’autre, nous avons vécu de grandes trahisons de la part des studios. Après avoir incité les salles à ouvrir pour accueillir Mulan (basculé sur Disney+, Ndlr), Disney a ainsi profité de la situation pour son seul et unique intérêt au détriment de tous ses partenaires, en particulier en France en choisissant une mise en ligne en décembre sans frais supplémentaire. C’est une provocation inacceptable vis-à-vis des exploitants. Dans une industrie où nous sommes tous interdépendants, ces coups de canif sont dangereux pour l’avenir et se payeront pour tout le monde, exploitants comme studios. Pour autant, je suis d’un optimisme réel et convaincu de l’avenir des salles, qui ont déjà survécu à de nombreuses crises."

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Quel avenir pour le cinéma français ?

Si le secteur a besoin de "tentpoles" pour s'en sortir, les blockbusters américains ne feront visiblement pas leur retour dans les salles avant 2021. D'ici là, tous les secteurs du cinéma devront s'adapter et les spectateurs s'habituer à voir davantage de productions locales. Ce qui n'est pas forcément une mauvaise nouvelle : Première a vu et apprécié plusieurs films qui sortiront cet automne et cet hiver, comme Adieu les cons, d'Albert Dupontel, Aline, de Valérie Lemercier, ou Les Deux Alfred, de Bruno Podalydès, qui ont tous de "bons crus", même par rapport aux standards élevés de leurs cinéastes.

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Le milieu du cinéma s'unit pour faire face à cette crise : le CNC a débloqué dès le mois de mai, avant même la réouverture des salles obscures et la reprise des tournages, 50 millions d'euros pour investir dans les nouvelles productions françaises. Puis le gouvernement a annoncé à la fin de l'été vouloir débloquer 2 milliards d'euros pour les secteurs culturels (ce qui comprend aussi les théâtres, la littérature etc, pas seulement le cinéma). Est-ce que ce sera assez pour combler les pertes colossales du secteur ? Impossible de nier que le cinéma va mal, mais il se maintient tant qu'il peut en France, et mieux que chez nos voisins européens, qui sont plus dépendants des productions hollywoodiennes que nous. En Angleterre, par exemple, le report de James Bond au printemps prochain a poussé Cineworld, la plus grosse chaîne de cinémas du pays, à fermer ses salles jusqu'à l'année prochaine...

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