Un beau soleil intérieur
Ad Vitam

On a parlé jeu et multiplicité du moi avec l’actrice d’Un beau soleil intérieur.

Dans Un beau soleil intérieur, présenté en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2017, Juliette Binoche incarne une femme à la recherche de l’amour vrai, sous la direction de Claire Denis et la plume de Christine Angot.
Première avait rencontré l'actrice à cette occasion. Nous republions son interview pour patienter jusqu'à la diffusion du film, ce soir sur Arte.

Qui est ce personnage ? Est-ce que c'est plus vous ? Plus Christine Angot ? Plus Claire Denis ? Ou aucune des trois ?
C'est le potentiel, c'est les possibilités d'être. Donc comme on peut être tout c'est ce qu'on peut croiser sur son chemin. Je me souviens, après avoir fait une journée d'interview pour Copie Conforme, on sortait de la projection du soir et j'ai dit à Abbas (Kiarostami) « Tu sais j'en ai vraiment marre parce que tout le monde croit que c'est moi le personnage, mais c'est pas moi », et il me dit « Non mais ça c'est parfait, qu'ils y croient. Pendant deux mois tu dis ‘oui c'est moi, c'est moi complètement’, et puis deux mois après tu fais un autre personnage et on te dit ‘c'est vraiment vous ?’ ‘ah oui ça c'est moi !’ » (rires). Donc on peut dire qu'on est tous les personnages parce qu'il y a toujours un fond de vérité dans chacun d’eux. Cette recherche de l'absolu, du désir de l'absolu, d'aller vers... Même si on s'est pris des coups on y retourne. Ce que dit Barbara dans ses chansons : « Chaque fois qu'on parle d'amour, c'est avec "jamais" et "toujours", on refait le même chemin, en ne se souvenant de rien. Et l'on recommence, soumise, Naples et Venise et l'on se le dit que c'est pour la première fois ». C'est vraiment ça, on y croit chaque fois. Il peut y avoir des traumatismes qui font qu'on n'oublie pas et qu'on n'y va pas parce qu'on se dit qu'on va avoir encore mal. Mais le jeu de la vie c'est d'y aller et de jouer. Et puis on a peut-être moins mal ou mal différemment, il y a des choses qui se transforment petit à petit.

L’idée qu'on peut être tout le monde à la fois, c’est une réponse d'actrice et d'acteur.
C'est-à-dire ?

Un écrivain, notamment un écrivain comme Christine Angot, vous dirait « forcément le personnage c'est toujours moi ». Vous voyez ce que je veux dire ?
Mais c'est tous les possibles en elle. Parce que Claire lui dit qu'elle aimerait que le personnage fasse-ci, fasse-ça. Elle l'a pas vécu mais elle va l'écrire. Elle sait se mettre à la place de l'autre parce qu'elle-même a vécu des choses, pas tout à fait pareil mais qui retracent une vérité qu'elle peut signifier dans son écriture. Comme un acteur quand il lit, il n'a pas vécu exactement ça mais dans sa vie il a pu jauger des endroits qui sont similaires, qui résonnent vrai.

Vous avez eu des échanges avec Claire, peut être avec Christine aussi, sur ça ? « Moi je me retrouve là-dedans, pas moi... », ça ne passe pas comme ça ?
Non.

Un beau soleil intérieur tourne en rond

 

C'est plus instinctif ?
Non. Il y a une écriture qui est là. Après moi j'en fais ce que j'en fais. C'est comme si on faisait du pain ensemble. Une produit la farine, l'autre c'est l'eau et y'a le vin. Puis on laisse reposer, ça cuit dans le four et ça doit monter. C'est toutes les étapes, ce sont des ingrédients qui doivent se connecter ensemble pour faire un film qui est un beau soufflé pour le spectateur ! (rires)

C'est utile de connaître la langue de Christine Angot pour s'approprier les dialogues ?
Non mais par contre c'est utile de s’y connecter. Et ça, c'est pas difficile parce que l'écriture est tellement claire, croustillante, alléchante, pleine de désir, d'hésitations, de volonté... On sent ce remue-ménage intérieur qui, pour ce scénario-là, est nécessaire. Il y a un besoin de vie et de vérité, de retournement de situation...

Il y a eu pas mal de rires à la projection de ce matin. Est-ce que quand vous tournez, vous y pensez ? Vous calculez cette causticité ?
Non parce qu'elle est dans l'écriture. Donc il faut jouer complètement. On aurait pu aller plus vers le comique, j'y ai pensé à un moment donné mais je trouve que ça allait, de toute façon, transpirer. Et puis quand on se jette dans une histoire d'amour, on y va vraiment comme un cœur perdu, sans penser aux conséquences, on se jette dedans. Et c'est au moment où on est dedans qu'on voit ce que ça fait comme effet. Je crois que dans ce film-là en tout cas, dans tous les films d’ailleurs, il faut se jeter dedans sans penser aux conséquences parce que comme acteur je ne peux pas être à l'extérieur et me dire « Comment elle va monter ça ? Quelle prise elle va choisir ? ». C'est compliqué ça, on est obligé de se lancer dans l'aventure en ayant un sentiment de bienveillance et que de toute façon elle choisira la bonne prise.

Vous étiez lectrice de Christine avant ? Vous avez des affinités avec cette littérature ?
Je pense, d'abord, d'avoir le courage de parler de choses extrêmement intimes et douloureuses, c'est un cadeau pour un lecteur et un spectateur parce qu'elle a fait cette pièce de théâtre qu'elle a adaptée sur l'histoire de l'inceste. Mais son désir de vérité, il me touche parce que je trouve qu'en tant qu'artiste on doit avoir une honnêteté par rapport à ce qu'on est. On doit être transparent et pour être transparent faut avoir le courage ou le don de se voir.

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