A la sortie de La Rage au ventre (été 2015), l'acteur était en couverture de Première. Flashback.
La Rage au ventre est un film de boxe réalisé par Antoine Fuqua (Training Day) sorti en juillet 2015 au cinéma. A l'époque, sa star, Jake Gyllenhaal, avait fait la couverture de Première. Nous republions son entretien carrière à l'occasion de la première diffusion en clair de ce drame, à 21h sur M6.
Jake, même les gens qui ne suivent votre carrière que d’un œil n’ont pas pu s’empêcher de remarquer qu’il se passe quelque chose avec vous ces jours-ci. Toutes ces perfs allumées coup sur coup : End of watch, Prisoners, Enemy, Night Call, La Rage au ventre, sans oublier ce clip dingo pour The Shoes (Time to dance)… C’était planifié ou ça s’est fait un peu par hasard, un film après l’autre ?
J’en ai eu marre. Marre que mon travail n’ait plus rien à voir avec les raisons pour lesquelles je le faisais à l’origine. La façon dont je bossais n’était pas très honnête, pas très sérieuse. Jouer la comédie, c’est une chance inouïe, une bénédiction, alors autant faire le job correctement, non ? Un acteur digne de ce nom, à mes yeux, se doit d’avoir un style. Alors j’ai décidé de créer ce style, puis de l’imposer. A Hollywood, les modes passent vite, tout le monde a une idée de ce que sera la prochaine tendance… Si tu ne veux pas être une girouette, autant inventer ton truc et t’y tenir. Quitte à te planter. C’est ce que j’ai fait.
Est-ce qu’il y a eu un moment déterminant ? Un matin où vous vous êtes réveillé et regardé dans la glace en vous disant : « c’est fini » ?
Je crois que c’est en lisant le script de Source Code. Je me souviens encore du rush d’adrénaline que j’ai ressenti à ce moment-là. Je voyais comment faire ce film. Encore plus important : je voyais pourquoi je devais le faire. J’ai contacté Duncan Jones pour lui proposer de le réaliser – j’avais adoré Moon. Il a dit oui et ça m’a ouvert des horizons. Tout à coup, je pouvais imaginer faire un film commercial, divertissant, mais en y amenant la sensibilité d’un artiste comme Duncan. Juste après ça, il y a eu la rencontre avec David Ayer pour End of watch. Personne ne nous attendait au tournant, on volait complètement sous le radar. On a passé cinq mois en immersion dans le South East de Los Angeles. Cinq mois ! Je n’avais jamais fait ça de ma vie. Nouveau rush d’adrénaline. Une sensation inédite. C’était comme si des verrous sautaient, les uns après les autres. Le temps passé à préparer un rôle est devenu central dans mon approche du métier. Je crois même qu’aujourd’hui, je préfère cette étape-là au tournage lui-même. Je veux m’immerger dans mes rôles, ne plus faire que ça.
C’est donc une succession de rencontres qui vous a transformé ? Il n’y a pas eu de réflexion plus générale sur l’état du business ?
Si, aussi. Je commençais à me demander si les films avaient vraiment besoin de coûter aussi cher…
Cette question, vous vous l’êtes posée à la première de Prince of Persia ?
Peut-être bien, oui… Il y a trop de fric dépensé inutilement à Hollywood. Regardez où on est, là (il désigne la suite du Plaza Athénée où a lieu l’interview), c’est très beau, très agréable, je ne crache pas dessus. Mais vous pensez vraiment qu’on a besoin d’un lit king size dans la pièce d’â coté pour faire une bonne interview ? Sur tous les films que j’ai adoré faire quand j’étais plus jeune, comme Donnie Darko ou The Good Girl, la pression économique était très faible et la pression créative très élevée. C’était plus sain. Les petits budgets t’obligent à être plus inventif. Night Call, par exemple, n’a coûté que 6,5 millions de dollars. Je suis conscient que c’est beaucoup d’argent dans l’absolu mais je peux vous assurer que pour un film, c’est rien du tout. J’ai appris qu’un type du comité de sélection des Independant Spirit Awards ne voulait pas qu’on soit éligible parce qu’il était persuadé que notre budget était de 30 millions. Faire passer un film à 6, 5 millions pour un film à 30 millions, juste parce qu’on a bien bossé ? Voilà une de mes grandes fiertés.
Hollywood continue de vous faire lire les scripts de ses blockbusters ? Vous les recevez encore ? Vous les lisez ? Ou est-ce qu’ils ont compris le message ?
Oh, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! J’adore Hollywood. Et j’adore ces films. Quelqu’un comme Chris Nolan prouve qu’on peut conjuguer le gigantisme et une immense ambition artistique. Je n’ai aucun souci avec ça. C’est juste que je préfère trainer avec des gens qui ont une vision, plutôt que ceux qui veulent exploser le box-office lors du premier week-end d’exploitation.
C’est étonnant, quand même, ce désir de réinvention qui vous a pris soudainement. Vous aviez joué dans Donnie Darko, Le Secret de Brokeback Mountain, Jarhead, Zodiac… Il n’y avait pas grand-chose dont vous ayez à rougir dans votre filmo…
Tant mieux. J’aime bien l’idée que la barre était placée haut dès le début. Ça veut dire que les gens attendent beaucoup de moi. Ce qui a changé, c’est qu’en vieillissant, j’ai compris que le seul moyen de durer était de travailler. Dur. Très dur. Et tout le temps. Parce que des bons acteurs, il y en a à tous les coins de rue. A l’époque des films que vous citez, j’étais jeune, orgueilleux, je pensais que tout m’était dû. J’ai vieilli. Aujourd’hui je sais que ce n’est pas le cas.
Très jeune, vous avez bossé avec des réalisateurs installés comme Sam Mendes, Ang Lee ou David Fincher. Maintenant que vous êtes plus vieux, vous donnez l’impression de ne vouloir collaborer qu’avec des réalisateurs en devenir, des gens qui se cherchent et en compagnie de qui vous pouvez vous chercher aussi…
Avant d’accepter un rôle, la question que je me pose toujours est : « jusqu’où est prêt à aller le réalisateur pour raconter cette histoire ? » Parce que moi, je vais aller très loin, c’est une certitude. Est-ce que lui va me suivre ? Il faut qu’il puisse le faire, il faut qu’on y aille ensemble. Le premier jour de tournage de La Rage au ventre, Antoine (Fuqua) et moi, on se comprenait instinctivement. Ça n’arrive jamais, normalement, quand tu tournes avec un metteur en scène pour la première fois. Mais là, on venait de passer des mois ensemble, à se préparer, se côtoyer quotidiennement. L’autre truc dont j’ai besoin, c’est que le réalisateur croie en moi. Je ne veux pas bosser sous la direction de quelqu’un uniquement parce que son agent lui a dit qu’il fallait m’embaucher… C’est pour ça que la rencontre avec Denis (Villeneuve) a été si importante. J’étais flatté, heureux, qu’il me mette autant à contribution dans la conception d’Enemy.
On sait tous combien vous avez souffert sur le tournage de Zodiac, à cause de l’attitude tyrannique de Fincher. A quel point ça a été déterminant dans votre envie de reprendre le contrôle sur vos performances ? De rééquilibrer le rapport de forces entre vous et le metteur en scène ?
Fincher… Je crois vraiment que je serais plus heureux si je travaillais avec lui aujourd’hui. J’avais, quoi, 25 ans ? Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’aurais du me laisser porter par sa vision, plutôt que d’essayer d’y résister. Aujourd’hui, je me laisserais faire. Vous savez, je ne cherche pas systématiquement à imposer mes choix au metteur en scène… Là, par exemple, je viens de finir un film avec Jean-Marc Vallée (Dallas Buyers Club). Il est très précis, méticuleux, il sait exactement ce qu’il veut. Alors j’ai fait en sorte de me fondre dans le décor. Tous les réalisateurs sont différents. Ce qui compte, c’est que le metteur en scène soit suffisamment confiant dans sa vision. Parce qu’alors il sera ouvert aux idées des autres, et saura se les approprier si elles sont bonnes. J’ai déjà vu Jim Sheridan demander au livreur de pizza de jeter un œil sur le combo pour lui demander son avis sur une prise !
Ça faisait quel effet d’être juré à Cannes et de devoir juger le film de votre pote Denis Villeneuve (Sicario, présenté en compétition et reparti bredouille) ?
Oh, c’était super. J’étais heureux pour lui.
Vous voyez ce que je veux dire : jusqu’à quel point c’était inconfortable de devoir vous exprimer sur son travail au moment des délibérations ?Vous voulez savoir si c’était embarrassant d’avoir une douzaine d’yeux qui se braquaient instantanément sur moi dès que quelqu’un prononçait son nom ? (Rires) Non, sérieusement, ce n’était pas plus gênant pour moi que pour les Coen, qui ont une relation privilégiée avec Roger Deakins (le chef op’ de Sicario). Et puis, vous imaginez bien que tous les membres du jury cannois connaissent quelqu’un qui a travaillé sur tel ou tel film en compétition, ou connaissent quelqu’un qui connaît quelqu’un… Il y a des milliers de combinaisons possibles. Après, la décision qu’on prend est collective. Je ne m’inquiète pas pour Sicario. Pour reprendre une expression de Denis, le film est solide. Très solide.
Villeneuve a un planning chargé. Vous ne risquez pas de vous retrouver de sitôt, lui et vous…Il était moins courtisé à l’époque d’Enemy – ça aussi c’est un motif de fierté, d’avoir été là à ce moment-là. Mais c’est vrai que j’ai envie d’être dans tous ses films. J’enrage quand je ne suis pas au générique. J’espère que ça lui fait le même effet quand il me voit dans le film d’un autre et qu’il est même un peu jaloux !
Interview Frédéric Foubert
Bande-annonce de La Rage au ventre d'Antoine Fuqua avec Jake Gyllenhaal, Rachel McAdams et Forest Whitaker :
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