Zac Efron dans The Iron Claw
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Sean Durkin explore une cellule familiale dévorée de l’intérieur à travers le parcours tragique d’une fratrie de catcheurs. Par sa mise en scène habitée et son interprétation géniale, il a déjà tout d’un classique.

"Venons-en aux faits dans toute leur laideur !", éructe le catcheur Ric Flair dans un spot télé à l’adresse des frères Von Erich. L’homme, cheveux blonds peroxydés, sapé comme un arbre de Noël exhibe fièrement ses pompes en croco turquoise symboles de sa gloire. Tout est spectacle. Tout est vrai. Tout est faux. Tout est permis. Nous sommes au mitan des eighties et au mitan du film de Sean Durkin (Martha Marcy, May Marlene). On en sait alors un peu plus sur la fratrie Von Erich, dont le cinéaste dresse la dramatique et véridique trajectoire. Kevin, Kerry, David et Mike, poussés par un paternel bourrin et revanchard, avaient la charge de concrétiser ce que le patriarche n’avait pas accompli (devenir champion du monde de catch) et briser la malédiction supposée liée à leur nom.

L’horizon des Von Erich se délimitait principalement aux clôtures du ranch familial en plein Texas. Durkin filme cette nature environnante gorgée d’une lumière automnale, sorte d’Eden dépeuplé dont la beauté souveraine et apaisée cache un gouffre. Le foyer "western" apparait lui-aussi comme un sanctuaire. La vitalité est plombée de l’intérieur par un crédo où la souffrance ne peut être que physique, où les mots ne servent qu’à accepter les combats à mener. "Vous ne posez jamais de questions ?", demande opportunément Pam à un Kevin maladroit lors de leur premier flirt. Le catcheur star (Zac Efron formidable d’intériorité blessée) se retrouve dévitalisé dès lors qu’il n’est pas entouré de ses proches. Iron Claw est l’histoire d’un désastre affectif. Chez Durkin, la cellule familiale dévore inéluctablement les éléments qui la compose.

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© Filmdepot

Ce drame est vu à travers les yeux Kevin, frère aîné sur lequel repose d’abord les espoirs des Von Erich. Corps boursouflé de muscles, visage résigné du supplicié, Kevin est un monstre silencieux, un Freak à la Tod Browning, sa sensibilité est broyée par le spectacle qu’il doit offrir de lui-même. Plan effrayant d’un Zac Efron encombré de son imposante carapace dans l’embrasure de la porte de la chambre maternelle cherchant vainement une oreille attentive. L’homme gravit une montagne de résignations.

Le catch, sport-spectacle assumant pleinement sa part de coups simulés, de victoires arrangées, renforce ce sentiment de confiscation psychologique. Outre sa puissance et ses aptitudes physiques, c’est la capacité à se construire un personnage qui décide de la popularité du catcheur. Ainsi lorsque Kevin affublé de ses habits de lumière doit enregistrer à son tour un spot pour la promotion d’un combat, le jeune homme est incapable de trouver la note juste. Par sa mise en scène d’un élégant classicisme, le film reste dans la roue de cet anti-héros lucide. L’ensemble avance sur une ligne claire, baignée d’une relative torpeur retenant au maximum le jaillissement des émotions. 

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© House Claw LLC./Devin Yalkin/Devin Yalkin

Kevin donc, mais aussi Kerry (le génial Jeremy Allen White), David (Harris Dickinson, découvert dans Sans filtre) ou encore le plus fragile Mike (Stanley Simons) Tout repose en grande partie sur le charme de cette fratrie à l’allure de pop-stars que le film tient à distance du monde extérieur. Le temps d’un magnifique fondu, Durkin superpose leur visage créant une forme hybride, créature marquée par le sceau du destin. De l’autre côté du miroir (ici de la rive d’un fleuve), un apaisement est encore possible.

Iron Claw, le titre reprend le nom d’une prise de catch des Von Erich, consistant à écraser la tête de l’adversaire à l’aide d’une main rendue ferme par la tension des doigts. Cette griffe (claw en v.o), c’est la signature du redoutable paternel. La grande faucheuse est là, elle rôde, étreint des corps atrophiés, regarde des frères tomber. Les faits sont là, "dans toute leur laideur", auxquels Durkin, dans un geste paradoxal, restitue la beauté tragique.  

De Sean Durkin. Avec Zac Efron, Jeremy Allen White, Harris Dickinson... Durée 2h12. Sortie le 24 janvier 2024