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Les Films du Losange

En mère infanticide, elle livre chez Alice Diop une composition saisissante qui fait d’elle une candidate sérieuse au César de la révélation avec Rebecca Marder et Nadia Tereszkiewicz. Rencontre.

On vous a découverte en 2014 dans Mon amie Victoria de Jean- Paul Civeyrac. Huit ans séparent donc vos deuxièmes expériences au cinéma. Que s’est- il passé entre temps ?

Guslagie Malanda : Le film est sorti, a commencé à avoir un joli succès – cela reste encore aujourd’hui le plus gros succès de la carrière de Jean- Paul – mais il n’est resté qu’une semaine en salles à cause des attentats de janvier 2015. Même s’il a marqué des gens, Mon amie Victoria a donc connu un destin éphémère. J’ai eu la chance de rencontrer, sur ce projet, mon agent Frédérique Moidon. Et, dans la foulée, j’ai refusé de me rendre à de nombreux castings car les rôles qu’on me proposait ne m’intéressaient, peuplés de clichés dans des films traitant des attentats ou de la crise migratoire. Je ne voulais pas participer à les véhiculer. Et encore moins en sortant d’un film aussi brillant que Mon amie Victoria.

Comment arrive la rencontre avec Alice Diop ?

Elle se fait au festival du film court de Pantin il y a quelques années, grâce à sa directrice de l’époque. Alice est venue me parler d’une interview que j’avais faite dans Les Cahiers du Cinéma. Elle m’explique que cette interview l’a marquée et m’apprend aussi qu’on a une amie commune, la réalisatrice Yolande Zauberman. Puis en 2018, alors que je travaillais dans un Centre d’Art en espérant qu’un jour le cinéma revienne dans ma vie, Alice me parle du procès de Fabienne Kabou (NDLR : cette femme infanticide qui a noyé son enfant sur une plage de Berck en 2013) auquel elle a assisté il y a quelques années et de son envie d’en faire un film. Elle se trouve alors au début de l’écriture et c'est Yolande qui lui a conseillé d’aller me voir pour en discuter. C’est à partir de là que commence le casting de Saint Omer.

En quoi consiste t’il précisément ?

Il a duré un an ! Ces essais ont donc été une amorce du travail du film à venir, qu’on décroche le rôle ou non. On me donne au fil des moins beaucoup de textes différents à jouer, des monologues sans fin de plusieurs films, Mia madre notamment. Alice a expliqué récemment qu’elle a tout de suite su que j’étais le rôle mais qu’elle avait besoin que je sois moi- même convaincue de ma capacité à l’incarner. Et c’est exactement ce qui s’est produit. Ce long processus m’a permis de dompter ma peur et de me concentrer sur le travail d’actrice car avec Laurence Coly, Alice m’a quand même confié un rôle immense.

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A quel moment vous sentez- vous prête ?

Le déclic a eu lieu grâce à une scène d’un film de Jean Rouch qu’Alice m’envoie. Le monologue d’une femme qui raconte comment elle est en train de basculer dans la dépression. Car deux jours plus tard, aux essais, je me sens pour la première fois une proximité totale avec le personnage de Laurence Coly et je m’abandonne totalement à la caméra. Alice aussi l’a vue. Elle m’a demandé si j’accepterais de la jouer. J’ai mis trois jours à lui dire oui mais j’ai su que j’étais prête

Comment le travail continue alors jusqu’au tournage et ces monologues impressionnants que vous avez à jouer ?

J’ai conscience de la succession d’Everest à gravir. Quand j’apprends que je vais jouer Laurence Coly, nous sommes en décembre et le tournage est prévu pour l’été. Je commence par chercher sur Google des infos sur le vrai procès de Fabienne Kabou mais très vite je comprends que je fais fausse route. Car ce que je vois me traumatise. Je n’y suis pas prête psychologiquement. Et j’ai alors décidé de me concentrer sur le texte et donc sur la fiction. Car Laurence Coly n’est pas Fabienne Kabou. Et puis, deux mois avant le tournage, j’éprouve un manque pour aller encore plus loin. Le texte ne me suffit plus. Mais je n’ai pas pour autant envie d’un coach d’acteur car je sais qu’Alice ne recherche pas ce type de performance- là. J’en parle alors à une amie qui n’est pas dans le milieu du cinéma mais qui me conseille d’aller voir un maître Tai Chi qu’elle connaît bien pour que j’apprenne à respirer. Là encore, ce fut un déclic. J’y suis allée et je m’y suis employée deux fois par semaine pendant deux mois. C’était la dernière touche, ajoutée à ce que j’appellerai la névrose sur le texte car on était ici à la virgule près. Et pour la posture du personnage, Yolande m’a elle conseillé de regarder deux films : Le Procès de Jeanne d’Arc de Bresson et La Vérité de Clouzot. Observer le jeu de Florence Delay et de Brigitte Bardot m’a énormément appris. Car la première est dans une sorte de rectitude alors que, chez la seconde, on sent en permanence que ça va finir par exploser. Et au fond, Florence Coly se situe dans ces deux endroits- là. Je me suis senti une connexion d'actrice très forte. Elles portée. Elles sont toutes les deux vivantes et j’espère un jour arriver à leur écrire pour leur témoigner de ce qu’elles m’ont donné.

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Quelle directrice d’actrices est Alice Diop ?

C’est une sentinelle. Elle veille à tout. Elle a dû me reprendre deux fois au total, sur la totalité du tournage. A des endroits extrêmement précis. Et elle avait vu juste. Et tout du long, j’ai essayé de la surprendre voire de l’impressionner pour être à la hauteur de son regard.

Comment se sent- on le premier jour du premier monologue qu’on a à jouer ?

Franchement ? C’était La Mouette ! (rires) Je n’ai jamais fait de théâtre mais j’avais pourtant bel et bien l’impression de me confronter au monologue de La Mouette où le personnage déclame toute son envie d’être actrice. Et tout au long du tournage, je me suis d’ailleurs sentie en permanence à la frontière du théâtre et du cinéma.

Et devra t’on encore attendre sept ans pour vous revoir au cinéma ?

Non ! (rires) Je viens de tourner La Bête sous la direction de Bertrand Bonello. Un tout petit rôle aux côtés de Léa Seydoux. Celui… d’une poupée ! Une expérience géniale.