Ferrari
STX Films

En racontant Enzo Ferrari, Michael Mann repeint son romantisme aux couleurs d’un mélo méditerranéen, dans un film au classicisme élégant, mais qui fait regretter le cinéaste défricheur qu’on aime tant.

Le nouveau Michael Mann – son premier depuis Hacker, en 2015 – sort directement sur Prime Video sans passera par la case cinéma en France. C’est un peu triste, pour un réalisateur ayant toujours cherché à emmener le 7e art vers de nouveaux territoires esthétiques. Mais on peut aussi y voir une forme de logique : après tout, Mann est l’un des principaux artisans de ce grand brouillage des frontières entre ciné et télé, lui qui a fait faire un bond de géant aux séries dans les années 80 avec la révolutionnaire Miami ViceDeux flics à Miami...

De la Ferrari Daytona qu’y conduisait Sonny Crockett au Ferrari qui nous occupe ici, il n’y a donc qu’un pas. Et trois décennies d’acharnement pour Mann, qui a eu un mal fou à monter ce projet (le film est dédié au scénariste Troy Kennedy Martin, décédé en 2009 !), a failli le tourner à plusieurs reprises, sans succès. On redoutait que ce dream project ne ressemble à l’arrivée qu’à un fantôme de film, comme c’est souvent le cas avec les projets-serpents de mer des grands auteurs vieillissants.Mais pas le temps de rêvasser à Sonny Crockett : Ferrari démarre ! Et on respire d'emblée de soulagement en constatant qu'on n'est pas devant un téléfilm…

Michael Mann revient sur les 30 ans de fabrication de Ferrari

On avait un peu peur, à vrai dire. Parce que Mann est un cinéaste "empêché", ayant de plus en plus de mal à faire financer ses projets, parce qu'il ne travaille plus avec les grands studios qui lui permettaient d'aller au bout de ses visions, parce qu'il rêve de réaliser Ferrari depuis trois décennies (avec Hugh Jackman, avec Christian Bale, mais ça capotait à chaque fois), pour toutes ces raisons, on redoutait que le dream project ne s'effondre sur la ligne d'arrivée et ne ressemble qu'à un fantôme de film, comme c'est souvent le cas avec les projets-serpents de mer des grands cinéastes vieillissants.

Adam Driver dans Ferrari
Lorenzo Sisti

Ouf ! Ferrari tient la route. Ce n’est certes pas un bolide superso- nique, mais une construction solide. En une poignée de scènes introductives, véloces et élégantes, Enzo Ferrari rejoint instantanément le club des héros manniens : cette caste de surhommes vivant selon leurs propres règles, très éloignées de celles du commun des mortels. Des romantiques qui cachent leurs pulsions de mort et leur quête d’absolu derrière une éthique profes- sionnelle en béton armé.

Le film raconte une année cruciale dans le parcours du constructeur auto : 1957, un an après la mort de son jeune fils Dino, alors qu’il fait face à la possible faillite de son entreprise, qu’il doit à tout prix faire gagner à ses voitures les Mille Miglia (une course folle à travers l’Italie qui menace à chaque instant de se transformer en hécatombe collective) et que sa femme Laura (Penélope Cruz) découvre qu’il lui cache l’existence d’un autre fils.

Joué par Adam Driver (l’Italien officiel du ciné US depuis House of Gucci), Ferrari tente de faire le deuil de Dino en envoyant d’autres jeunes hommes frôler la mort dans des voitures qui ressemblent à des cercueils de métal. La presse italienne le compare à Saturne dévorant son enfant. Il devra sortir de ces impasses intimes et professionnelles pour espérer voir son nom entrer dans l’histoire. Au passage, Mann trace des parallèles entre cet ingénieur obsessionnel qui cherche à construire des voitures toujours plus puissantes et parfaites, et l’esthète maniaque qu’il est lui-même. "Quand une chose fonctionne mieux, dit Ferrari, en général elle est plus belle."

Penélope Cruz dans Ferrari
Lorenzo Sisti

Si le cinéaste se pas- sionne ici pour cette course contre la mort qui tient de la quête existentielle, il n’est plus pour autant guidé par cette ivresse postmo- derne et cette tentation de l’abstraction qui a fait sa gloire. Il ne cherche pas à pirater le film d’époque, comme dans Public Enemies. Il ne retrouve pas non plus – et c’est sans doute la principale faiblesse du film – la grandeur épique d’Ali, cette ampleur historique qui nous aurait permis de véritablement comprendre en quoi ce qu’accomplit ici Enzo Ferrari est si grand.

Le film est d’abord un drame conjugal, limite mélo. Les voitures grondent au loin mais l’essentiel se concentre sur la sphère intime, un peu comme si, dans Heat, les moments de vie privée sous tension avaient fini par supplanter pour de bon l’intrigue policière. Est-ce l’air de l’Italie ? Le cinéaste s’enivre d’opéra, d’effluves méditerranéens vintage, croque les pilotes trompe-la-mort comme des truands fifties préparant un casse, s’attarde sur l’élégance old school d’un Enzo Ferrari montré comme un seigneur de Modène... Il faut s’y faire : le Mann nouveau carbure avant tout aux plaisirs rétro.

Ferrari, de Michael Mann, avec Adam Driver, Penélope Cruz, Shailene Woodley… Le 8 mars 2024 sur Prime Video.