Eurovision Song Contest
Netflix

Le géant du rire fatigué se moque de l’Eurovision tout en le célébrant dans une comédie Netflix invertébrée.

Eurovision Song Contest : the story of Fire Saga dure 2h05, soit une longueur ahurissante pour une comédie potache comme celle-ci, dont le pitch (un duo de chanteurs islandais ringards joué par Will Ferrell et Rachel McAdams rêve de remporter l’Eurovision) fournirait tout juste une base satisfaisante pour un sketch lambda du Saturday Night Live. Pour autant, on ne sait pas vraiment à qui reprocher de ne pas avoir su tailler dans le gras de ce film interminable : à Netflix, qui laisse souvent ses signatures les plus prestigieuses (de Scorsese à Spike Lee) se complaire dans des durées fleuves ? Ou au goût des cadors de la comédie US de la génération Apatow pour les récits méandreux et presque délibérément mal ficelés ? On doit au réalisateur David Dobkin le hit de 2005 Serial Noceurs (avec déjà Rachel McAdams et Will Ferrell, le temps d’un caméo inoubliable), un film qui, lui-même, frôlait les deux heures et aurait mérité quelques coups de ciseaux.

La différence, c’est que Serial Noceurs était porté par l’énergie folle de la comédie US d’alors, l’euphorie délirante d’une époque qu’on regarde aujourd’hui comme un âge d’or. Eurovision Song Contest est le genre de Will Ferrell-movie qui vous fait vous sentir très vieux, et très nostalgique ; une resucée tardive et sans jus des Rois du Patin, à base d’humiliations corporelles diverses, d’accoutrements grotesques et de tenue en strass moulant l’entrejambe. La star de Ricky Bobby, roi du circuit et d’Une nuit au Roxbury a toujours adoré les compétitions débiles et la pop-music qui tâche, et cherche ici à mettre dans sa poche les ricaneurs tout en flattant les fans de la cérémonie : le film devait à l’origine arriver sur Netflix pile en même temps que le dernier Eurovision – annulé pour cause de Covid-19 – et orchestre des apparitions de tout un tas de candidats du show, de Bilal Hassani à Conchita Wurst. Un pied dans le package promo opportuniste, l’autre dans la pure déconne. Mais le vrai problème du concept est qu’il n’y a en réalité pas grand-chose de plus ringard que de se foutre de l’Eurovision ou du kitsch seventies des costumes de scène d’ABBA – on pensait l’affaire pliée depuis Muriel et Priscilla, folle du désert.

Grevé par son concept vieillot (Ferrell a eu l’idée du film lors d’un voyage en Suède en 1999, ceci expliquant sans doute cela), Eurovision Song Contest se traîne d’une scène obligée à l’autre. Nos héros Lars et Sigrid réussiront-ils à faire triompher l’amour et la persévérance malgré leurs fringues hideuses et leurs chansons lamentables ? Rachel McAdams ne parvient jamais à rendre rigolo son faux accent islandais et a du coup l’air terriblement mal à l’aise, quand Ferrell, lui, recycle ses greatest hits, dans son emploi éternel de grand enfant attardé qui se fâche tout rouge et fout la honte à ses parents (Pierce Brosnan joue son papa).

Le génie fatigué ne retrouve sa furia comique que par instants, des flashs de folie qui agissent comme des électrochocs et disparaissent aussi vite qu’ils sont venus. Bon running-gag : Ferrell, qui joue donc un Islandais en goguette en Ecosse (là où a lieu l’Eurovision), croise régulièrement une bande de jeunes touristes américains qu’il ne peut pas s’empêcher d’insulter (« Rentrez chez vous construire votre mur, bande d’Amerloques ! ») tout en leur indiquant le chemin du Starbucks ou des lieux de tournage de Game of Thrones. C’est l’expression la plus littérale possible de ce qui a toujours animé Ferrell, cette haine viscérale de l’idiotie américaine, des travers les plus réacs et tarés de son pays. Pourquoi cet homme qui fut l’un des géants comiques des années Bush Junior n’a-t-il pas été plus galvanisé que ça par l’ère trumpiste et le triomphe de la bêtise ? Pourquoi tous les grands rigolos US ayant émergé dans les 90’s (de Carrey à Stiller) n’y arrivent-ils plus ? La comédie est-elle un art si dur, si violent, qu’on doive forcément en sortir à ce point lessivé, sur les rotules ? On aura le temps de méditer à ces questions vertigineuses devant ce film tristounet, néanmoins sauvé de la sinistrose par la performance tordante de Dan Stevens (beau gosse vu dans Downton Abbey, Legion, La Belle et la Bête 2017), totalement déchaîné en chanteur russe fier de son pénis et looké comme George Michael.

Eurovision Song Contest : the story of Fire Saga, de David Dobkin, avec Will Ferrell, Rachel McAdams, Dan Stevens… Sur Netflix le 26 juin.