Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
DECISION TO LEAVE ★★★★☆
De Park Chan- Wook
L’essentiel
L’après Mademoiselle sera hitchcockien ou ne sera pas. Park Chan-wook repense la spirale du film d’enquête comme une plongée en apnée dans une obsession dévorante, une co-dépendance amoureuse où flic et suspecte s’enchainent et s’entraînent par le fond.
L’un est flic, l’autre est femme. Les deux sont mariés, ne savent plus communiquer, ni avec les autres, ni avec eux-mêmes. Elle est Chinoise, avec un grand-père coréen, des fautes de grammaire, un passé brumeux et un mari tombé d’une falaise. Mais est-il vraiment tombé tout seul ? Les deux héros se rencontrent, se parlent, se cherchent, se trouvent, s’échappent, se poursuivent. Lui est insomniaque, il devient le gardien de la veuve suspecte, son stalker. De son côté, elle est prête à tout, ou presque, pour qu’il ne s’arrête surtout pas de se pencher sur son cas et d’ainsi veiller sur elle. La mise en scène est un perpétuel jeu de regards, qui se croisent, en coin, à la dérobée, entre œillades et appels à l’aide, un ballet d’effleurements, d’esquives et de courants d’air.
Depuis Mademoiselle et sa série la Petite fille au tambour, Park Chan-wook s’est réinventé en cinéaste sentimental. Ses personnages ne sont plus des justiciers vengeurs ou des monstres de bandes-dessinées mais des petites choses fragiles, incapables de se dire je t’aime. L’obsession du flic en surveillance est un élément de base de la grammaire du cinéma voyeuriste. Mais Park esquive ce terrain théorico-érotique pour revenir à l’essence même de ce thème : la distance qui nous sépare de l’objet aimé. Les deux héros s’aiment sans pouvoir s’aimer ni se le dire, se parlent sans pouvoir se comprendre, le cinéaste organisant un festival d’inversions de points de vue et de malentendus, d’erreurs de traduction et d’identification impossible.
Le vertige hitchcockien de ce film est à l’opposé du pastiche. C’est un lent glissement de terrain, la douloureuse dérive romantique d’une femme qui s’échappe et disparaît, malgré elle, malgré tout, parce qu’il est temps de se quitter, de tout quitter. Le film avance ainsi, d’une rime et d’un effet de style à l’autre, comme un Cluedo amoureux. Il est permis de s’y perdre, c’est même recommandé, pour être en phase avec ces héros stupéfaits, démunis, enserrés dans une toile d’araignée qu’ils ont eux-mêmes tissés, pris dans des sables mouvants qui les engloutissent sans qu’ils n’y puissent rien.
Guillaume Bonnet
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A ADORE
CAHIERS NOIRS : VIVIANE ET RONIT ★★★★☆
De Shlomi Elkabetz
C’est un geste d’amour fraternel sublime. Une invitation à revisiter, dans un geste de cinéma d’une grande puissance, les liens si forts qui unissait Shlomi Elkabetz à sa grande sœur, Ronit, immense actrice, disparue brutalement à 51 ans, en 2016. Des liens où l’intime se confondait en permanence avec la création artistique avec comme apothéose la trilogie qu’ils ont mise en scène ensemble, inspirée par la vie de leurs parents : Prendre femme/ Les Sept jours/ Le Procès de Viviane Amsalem. Il y avait dans ces trois films un jeu permanent entre le vrai et le faux qui finissaient par ne faire qu’un qu’on retrouve dans ce Cahiers noirs – divisé en deux parties – mêlant les images d’intimité de Ronit et les extraits de ses films dans un tourbillon émotionnel tel qu’on finit par ne plus distinguer les unes des autres. Pour parvenir à ce résultat à mille lieux du banal récit chronologique d’un parcours artistique exceptionnel, Shlomi Elkabetz fait montre d’un sens impressionnant du montage mais surtout d’une sensibilité d’autant plus renversante que jamais il ne verse dans l’impudeur, y compris quand on voit sa sœur peu à peu dévorée par la maladie. Un documentaire déchirant.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
IRREDUCTIBLE ★★★☆☆
De Jérôme Commandeur
Vincent Peltier (Jérôme Commandeur) est un très planqué fonctionnaire du service des Eaux et Forêts de Limoges. Un type qui profite plus que de raison des avantages de son travail « garanti à vie » et refuse strictement de quitter son poste. Même quand une inspectrice ministérielle, chargée d'écrémer la Fonction publique, lui propose un beau chèque de départ. Commence alors une guerre des nerfs qui verra Peltier être muté dans les pires coins de France... Pour son premier film sn solo, Commandeur remake le succès italien Quo Vado? et trouve dans cette farce sur le fonctionnariat un terrain de jeu où déployer toutes ses obsessions comiques. Il y manie un humour aux frontières de l'absurde sans jamais perdre de vue l’humanité de ses personnages. Une sorte de fusion improbable entre le cinéma de Francis Veber et celui d’Alain Chabat. Irréductible aurait peut-être gagné à être un poil plus vachard mais Commandeur met une énergie démente pour faire fonctionner son petit univers, peuplé de rôles secondaires tordants (Valérie Lemercier, Gérard Darmon ou Christian Clavier en syndicaliste irascible, contre-emploi parfait).
François Léger
Lire la critique en intégralitéGOODNIGHT, SOLDIER ★★★☆☆
De Hiner Saleem
Cela fait déjà 25 ans qu’Hiner Saleem déploie son sens de l’absurde sur fond de tragédies humaines. Et après Qui a tué Lady Winsley ? qui avait donné le sentiment d’un essoufflement, le cinéaste d’origine kurde retrouve des couleurs tout en creusant le même sillon : ce questionnement sur la place de la femme dans des sociétés dominés par un patriarcat étouffant. En l’occurrence ici une jeune Kurde et son fiancé, Ziné et Adval, confrontés à un triple obstacle : la haine ancestrale que se vouent leurs familles, la guerre contre l’Etat Islamique qui les sépare régulièrement en envoyant Adval au front et une blessure mal soignée qui rend Adval impuissant. Mais au lieu de s’enferrer dans une chronique doloriste, Saleem prend le chemin inverse, celui de la lumière au bout du chemin tortueux, de l’espoir chevillé au corps et de l’humour noir tonitruant pour faire un sort au cocktail machisme- terrorisme- islamisme qui menace ses héros. Une réussite.
Thierry Cheze
EN ROUE LIBRE ★★★☆☆
De Didier Barcelo
Pour son premier long, Didier Barcelo a choisi d’emprunter la voie du road movie avec un concept aussi simple qu’efficace centré sur un duo improbable : une femme prisonnière de sa voiture car victime de crises de panique dès qu’elle veut en sortir et un jeune homme qui, en volant son véhicule, se retrouve à la kidnapper. De cette situation décalée, Barcelo fait naître une comédie bourrée d’idées et de personnages secondaires loufoques à souhait qui lui permet de ne jamais tirer à la ligne au fil de ses 90 minutes où la complicité entre Marina Foïs et Benjamin Voisin fait merveille. En roue libre a la légèreté des compositions de Peter von Poehl, l’auteur de sa BO, et encapsule au fil de cette traversée de la France nombre des maux minant notre quotidien (le burn out, l’épuisement des soignants…) mais sans perdre le cap de cette légèreté offrant un parfait équilibre entre éclats de rire et moments d’émotion sincère.
Thierry Cheze
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
L’EQUIPIER ★★☆☆☆
De Kieron J. Walsh
Kieron J. Walsh a choisi d’aborder le cyclisme sous l’angle des coureurs dont la mission consiste à se sacrifier pour leurs leaders, à travers l’un de ces « porteurs d’eau » dont la fin de carrière approche et qui s’angoisse du non- renouvellement possible de son contrat. Le monde de la petite reine ayant rarement été bien traité par le cinéma, on saluera la justesse de sa description notamment dans les dilemmes auxquels ces forçats de la route sont confrontés : se doper pour hisser son niveau malgré les risques encourus pour sa santé comme pénalement (l’action se situe durant le Tour de France 1998 où un vaste coup de filet avait provoqué la chute de l’équipe Festina de Richard Virenque). Dommage cependant que le récit, nerveux, se perde dans les méandres d’une banale et peu utile histoire d’amour entre ce cycliste et une médecin et y abime l’originalité de son point de vue
Thierry Cheze
LA TRAVERSEE ★★☆☆☆
De Varante Soudjan
C’est sur le schéma de comédie classique de cohabitation contrainte et forcée entre des personnages que tout oppose qu’est construit ce troisième film de Varante Soudjian après les quelconques Walter et Inséparables. En l’occurrence cinq ados déscolarisés entraînés par deux éducateurs de quartier dans une traversée de la Méditerranée en bateau, skippé par… un ex-flic de la BAC ayant la banlieue en horreur (Alban Ivanov, convaincant dans un registre plus sobre qu’à l’accoutumée). L’entame de ce film peine à se départir d’une certaine caricature dans l’installation des personnages. Mais, peu à peu, Soudjian parvient à jouer avec les clichés qu’il a installés, en s’efforçant de creuser ces personnages au- delà des apparences et sans obsession d’un happy end facile qui irait trop loin dans la célébration du vivre ensemble. Un divertissement de bonne facture sans révolutionner le genre.
Thierry Cheze
PREMIÈRE N’A PAS AIME
SALAM ★☆☆☆☆
De Diam’s, Houda Benyamina et Anne Cissé
Dans Salam Mélanie Diam’s raconte sa dépression, sa conversion à l’Islam et sa renaissance, face caméra. Dans cette interminable interview-confession qui vire au plaidoyer pro domo, l’ancienne rappeuse accompagnée de quelques proches revient sur tout : ses suicides ratés, le succès qui fait vriller, les cachetons, l’internement, la découverte de la religion et ses nouvelles activités… Le résultat est parfois touchant, parfois même émouvant quand affleure la Diam’s qui faisait vibrer les foules. Car elle a beau avoir mis un voile sur son ancienne vie, au détour d’une phrase, on retrouve son énergie rimeuse et cogneuse, sa tchatche et son goût du fight. Mais une fois le récit de sa conversion entamée, à mi-parcours, c’est autre chose : les bons sentiments dégoulinent, les punchlines dignes d’un bouquin de développement personnel sont surlignés à l’écran par des images d’oiseaux qui s’envolent ou de soleil couchant sur la mer. Et l’illustration sonore est à l’avenant avec ces chœurs ronflants et envahissants. Présentée dans sa vie d’avant comme une redoutable businesswoman, impossible de ne pas penser que ce documentaire, que Diam’scontrôle de A à Z, fait partie d’une stratégie marketing pour évoquer son association et un moyen de développer un argumentaire idéologique qu’on devrait pouvoir légitimement questionner…
Pierre Lunn
Lire la critique en intégralitéENTRE LA VIE ET LA MORT ★☆☆☆☆
De Giordano Gederlini
Ca aurait pu être le thriller de l’été. Un bon pitch, une enquête très noire qui mêle la tragédie à la violence, un acteur stupéfiant (Antonio de la Torre)… Mais cette coproduction franco-belgo-espagnole ne parvient jamais à convaincre le spectateur. Reprenons : un conducteur de métro voit son fils dont il n’avait pas de nouvelles depuis des années se jeter sur les rails. Quand il cherche à comprendre son geste, il découvre que son rejeton venait de tremper dans un braquage dont il récupère le butin. Devenu la cible des criminels, le conducteur cherche malgré tout à comprendre pourquoi son gamin s’est tué… Tissé de trop nombreuses intrigues (un drame intime, une enquête criminelle…) et de trop nombreux thèmes (le déracinement du héros, les relations tordues pères fils…), Entre la vie et la mort échoue à tout assembler et devient vite très ennuyeux. La faute aussi à des personnages trop mal écrits. Si, par son incroyable présence, Antonio de la Torre parvient a faire exister ce personnage de père courage prêt à tout pour comprendre le parcours de son fils, Marine Vacth et Olivier Gourmet en duo d’enquêteurs père-fille semblent complètement paumés et se retrouvent réduits à n’être que des ombres caricaturales d’Entre la vie et la mort. Pour le spectateur, c’est voyage au bout de l’ennui…
Pierre Lunn
PREMIÈRE N’A PAS DU TOUT AIME
MASTEMAH ☆☆☆☆☆
De Didier D. Daarwin
Une psy en reconstruction dans un village perdu d’Auvergne, est confrontée à un patient hanté par des visions démoniaques. On ne va pas y aller par quatre chemins, Mastemah est franchement raté. Shooté comme un EuropaCorp du début du siècle, le film accumule une horreur causée par de gros bruits entre chaque coupure de plan, ou par l’héroïne qui crie en se réveillant de cauchemar, ou par des jump scares causés par des chiens et des compteurs électriques taquins... Un véritable bingo, parsemé de répliques absurdes (florilège : « les hommes, tu les uses aussi vite que tes batteries ? », « comme quoi la dépression a des côtés positifs », « je vous parle de quatre personnes massacrées au fusil de chasse, qu'est-ce que ma thèse vient faire là-dedans ? »). On mérite mieux, non ? Par exemple Ogre ?
Sylvestre Picard
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