Tout s'est bien passé
Mandarin Production

Avec Tout s'est bien passé, adapté du livre d'Emmnuèle Bernheim, François Ozon signe un film sur la fin de vie avec André Dussollier et Sophie Marceau. Sublime ou académique ? Avis tranchés.

Pour 

Emmanuèle Bernheim et François Ozon se connaissaient bien. Disparue le 10 mai 2017, elle avait signé ou co- signé le scénario de quatre films du réalisateur: Sous le sable, Swimming pool (présenté en compétition en Cannes en 2003), 5X2 et Ricky. Mais adapter Tout s'est très bien, récit intime et douloureux consacré à la fin de vie de son père collectionneur après un AVC (publié en 2013 chez Gallimard et qu'Alain Cavalier devait porter à l'écran avant que la maladie rattrape l'autrice qui devait y tenir son propre rôle, comme il l'a raconté dans son documentaire Être vivant et le savoir) n'avait rien d'un long fleuve tranquille. D'abord parce qu'en abordant le sujet du droit à mourir dans la dignité, le risque est grand de tomber dans le pur film à sujet, ambiance feu Dossiers de l'écran. Et ensuite parce qu'à connaître aussi bien celle qui racontait ici un pan aussi douloureux de son existence, existait la tentation d'y aller avec le frein à main, de ne pas s'employer à ce que nécessite toute bonne adaptation: la trahison

Tout s'est bien passé balaie assez vite ces deux inquiétudes. On connaît depuis Grâce à Dieu la capacité d'Ozon à s'emparer d'un sujet de société fort sans en faire un film purement sociétal, en trouvant un angle (en l'occurence, dans ce cas, se concentrer sur le point de vue des victimes et s'y tenir). Ozon s'y emploie ici de la même manière en osant accompagner la description clinique de la volonté de cet homme d'en finir avec l'existence avant d'être totalement diminué comme de la difficulté pour ses filles d'encaisser la nouvelle puis de s'employer à respecter sa volonté en Suisse par une trivialité voire un humour surgissant de manière inattendue. Ozon n'est pas Haneke pouvait- on entendre hier chez les détracteurs du film, à la sortie de la projection presse. Effectivement, non et c'est plutôt une bonne nouvelle. Car il y a forcément mille et une manière de raconter cette histoire. Et que précisément tenter de se mettre dans les traces d'Amour aurait été tout la pire idée qui soit.

Ici, Ozon fait d'abord et avant tout dialoguer deux pans de son cinéma: la puissance émotionnelle d'un Sous le sable et l'aspect sale gosse volontiers provocateur d'un Sitcom. Le choc des contraires. Et cette chronique d'une mort annoncée devient précisément passionnante car elle refuse d'enfermer le spectateur dans une prise d'otages émotionnelle et ose les sorties de route, les moments de gêne, les rires à contretemps. La vie envahit ce récit et l'éloigne de toute tentation mortifère.

Et ce travail se retrouve dans toute la finesse de sa direction d'acteurs. Mettant en scène Sophie Marceau après plusieurs tentatives ratées, il ne l'enferme pas dans un rôle à la Tchao Pantin comme pour marquer au stabylo la différence entre ses emplois habituels. Il sait tout au contraire utiliser ce naturel insensé qui a créé ce lien indéfectible avec le public français depuis La Boum pour l'entraîner paisiblement dans des nuances non encore explorées. Et surtout il a l'intelligence de ne pas faire d'elle le centre de l'intrigue. D'abord en associant au maximum le personnage d'Emmanuèle Bernheim qu'elle campe à celui de sa soeur, interprétée avec autant de justesse par Géraldine Pailhas. Mais surtout en faisant du père le personnage symbole de ce film qui n'a jamais peur d'aller vagabonder sur le terrain de la farce.

Dans son parcours, André Dussollier a rarement eu l'occasion d'aborder des rôles de pure composition. Ceux où il faut se lâcher, fendre l'armure, ne pas avoir peur du ridicule, ne pas se retrancher dans la facilité de la pure émotion sans que rien ou presque ne dépasse. Dire qu'il est ici engagé dans une course aux prix (cannois ou César) serait lui faire injure tant il a pu déjà savourer en nombre ces récompenses- là. Mais cela reviendrait aussi à nier toute une partie du travail d'un comédien. Celle qu'on célèbre si souvent quand il s'agit d'Anglo- saxons mais qu'on regarde en se pinçant le nez et souvent avec un grand dédain ironique quand il s'agit de Français. Dussollier est épatant par sa démesure, par la finesse qu'il est capable de distiller pour transcender les attributs physiques obligés et pesants d'un tel personnage (prothèse...). Il fait un grand numéro de ski hors piste et emmène le film exactement où Ozon semble vouloir le placer. A un endroit tout sauf enveloppant et reposant mais dérangeant voire malaisant qui n'obéit précisément à aucune règle préétablie. Soit exactement ce qu'ont ressenti dans leur chair ceux qui ont été confrontés à une tragédie identique

Thierry Cheze 

Tout s'est bien passé
Mandarin Production & FOZ / Carole BETHUEL

Contre 

Avec les sorties en rangs peu dispersés de films autour de la fin de vie (Falling, The Father..., en attendant de découvrir ici le Vortex de Gaspar Noé), on finit par se demander si les cinéastes n’essaient pas de nous dire quelque chose. Leurs spectres respectifs annonceraient-ils une apocalypse ? Ce n’est pas nouveau. Dès sa naissance, le cinéma était d’emblée perçu comme une vieille dame qui allait bientôt s’éteindre. Et ce qui a été vu sur les grands écrans depuis près de 120 ans n’est qu’une lente agonie. Tout s’est bien passé nous rassure aujourd’hui François Ozon, la mort tant désirée s’est faite sans douleur. Les râles du vieil homme (André Dussollier visage déformé comme à la parade et débit heurté du supplicié en mode : « Jury, mon bon Jury, regardez, tout y est ! »), ne sont que des amuse-gueules avant l’effacement.

« Bien passé » donc, à l’image de la mise en scène d’un cinéaste d’une sagesse exemplaire, qui de films en films essaie de tacher son propre tapis mais finit indécrottablement par tout cleaner derrière lui. Ce cinéma-là, indolore, plaqué, est facile à caser et ne supporte pas une relecture assidue puisque tout est dit et montrer sans jamais rien dissimuler (Grâce à Dieu ne fait pas exception). Ainsi, une fois passé l’effet de surprise de voir un Dussollier en gros plan jouer les grabataires, qu’attendre sinon de déceler, ici et là, dans un œil qui frise une volonté vite réprimée de s’amuser avec nous ? A son chevet, le cinéma français haut de gamme (Marceau – Pailhas) feint l’embarras mais reste dans le rôle programmé d’une caste de bourgeois qu’on sait gré de ne pas jouer la bohème.

On aimerait que tous ces films qui se ressemblent un peu tous, soient le simulacre de leur propre enterrement. C’est évidemment l’inverse. Ils font acte de résistance, s’accrochant aux grosses ficelles d’un académisme de tout temps plébiscité (Oscars, César...) Hasard et faille spatio-temporelle, au milieu de ce gratin, un inédit de George A. Romero, The Amusement Park, s’est invité le mois dernier au banquet. A travers le calvaire d’un vieil homme pris au piège d’un parc d’attraction, le père des morts-vivants aujourd’hui disparu démontrait que parler du grand âge n’exclut pas la modernité du geste.     

Thomas Baurez