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Il en fait parfois des tonnes, mais il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il obéit à la vieille formule "less is more". Jeff Nichols, réalisateur de Midnight Special, est l’un des rares à s’entendre avec Shannon sur ce point.

Lentement mais sûrement, Michael Shannon s’est imposé comme un des acteurs en activité les plus singuliers depuis son apparition (passée inaperçue) aux côtés de Bill Murray dans Un jour sans fin (1995). C’est surtout au théâtre qu’il a fait ses premières armes, notamment à l'occasion de sa rencontre avec le dramaturge Tracy Letts, qui lui fait jouer Bug, puis Killer Joe, deux pièces adaptées plus tard par William Friedkin, qui demandera à Shannon de reprendre son rôle de Bug, celui d’un paranoïaque enfermé dans sa chambre pour se protéger des complots. C'est là que l’acteur, un peu malgré lui, développe sa réputation pour les rôles de cintrés, qu’il multiplie avec un appétit ambigu. Lorsqu’il entre dans ce mode, il roule des yeux, menace de la voix, et gesticule avec l’intensité d’un phacochère en furie.

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Jusqu’à ce que, en 2007 il rencontre le jeune Jeff Nichols, qui pour son premier film Shotgun Stories, offre à l’acteur son premier rôle principal, celui du frère aîné d'une famille prise dans l’escalade d’une guerre contre une autre famille. Entre l’interprète et le metteur en scène s’établit une complicité forte basée sur une confiance mutuelle. Depuis (et même si c’est pour apparaître quelques secondes, comme dans Mud, où il joue un homme grenouille), Shannon joue dans tous les films de Nichols, et leur collaboration s’apparente à celle qui a pu exister entre Robert De Niro et Martin Scorsese, et plus anciennement entre Frank Capra et James Stewart.

Une voiture de course

Dans Take Shelter (2011), en père de famille inquiet pour ses enfants parce qu’il est persuadé qu'une catastrophe va arriver, Shannon joue à contrepied de ses rôles d’excentrique, comme nous le confiait Nichols à l'époque : « Ce qu’il me fallait ici, ce n’est pas un fou, en dépit de l’histoire, mais un Monsieur tout le monde, un James Stewart, ce que n’est pas Mike. Il est un homme extraordinaire, donc il s’agissait d’en faire quelqu’un de normal. » Sur le plan technique, le cinéaste compare son interprète à une voiture de course dont le volant est si sensible qu’il suffit de l’effleurer pour changer de direction. Comme il est très intuitif, il n’y a pas besoin de lui donner beaucoup d’instructions. Généralement, il a saisi l’essence de la scène dès la première prise. Les suivantes ne donnent lieu qu’à de subtils ajustements. Son seul défaut, dit Nichols, c’est d’être exigeant avec lui-même : « Après avoir dit cut, il faut réussir à le convaincre que ce qu’il a fait est bon. Il tournerait volontiers douze prises. Je lui en donne trois ou quatre. »

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Dans Midnight Special, comme en écho à Take Shelter, Shannon joue un père déterminé à protéger son fils avec les mêmes qualités : pas besoin de dialogue, pas besoin de mouvement. Il porte sans arrêt une émotion sur son visage. Et il exprime la même obstination implacable qui décourage toute tentative de l’arrêter. Pour la suite, on peut rêver du projet extravagant de Nichols : un remake de Harvey (Henry Koster, 1950), dans lequel un personnage très gentil, joué dans l’original par James Stewart, croit être accompagné par un lapin géant. L’éventualité paraît totalement improbable pour Shannon, mais après tout, il a bien réussi à nous convaincre dans Bug qu’il était attaqué par des insectes…

Midnight Special de Jeff Nichols avec Michael Shannon, Jaeden Lieberher, Joel Edgerton, Adam Driver sort en salles le 16 mars.