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Avec Polisse, Maiwenn met tout le monde à terre et réalise un joli casse. InterviewLe soir de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, elle est arrivée en trombe et à la bourre sur les marches du Palais. À 35 ans, Maïwenn a remporté le prix du jury pour Polisse, son troisième long-métrage en tant que réalisatrice. Dans Polisse (le quotidien de la brigade de protection des Mineurs), la routine du sordide est sans cesse compensée par un instinct de survie estomaquant. Des mères épuisées masturbent leur fils en guise de berceuse, des adolescentes sucent des inconnus pour récupérer leur portable, des pédophiles demandent pardon. Ou pas. Et, au final, on rit et on danse. Un tour de passe-passe ultra culotté mené de main de maître par Maïwenn. Rencontre avec une fille qui tient la vie en garde à vue.Par Stéphanie LamomeComment avez-vous eu l’idée de vous immerger au cœur de la brigade de protection des mineurs ?Il faut reprendre depuis le début. D’abord, je m’étais battue pour obtenir les droits du livre de Justine Lévy, Rien de grave. J’avais écrit le script mais, pendant les essais des comédiennes, je me suis rendu compte que je n’étais pas vraiment là. J’en ai parlé à Cédric Kahn, un copain. Je lui ai demandé : « Est-ce que c’est normal qu’au bout de deux films, on soit un peu détaché ? Que pendant les essais, on réfléchisse à ce qu’on va bouffer le soir ? » Évidemment, il m’a répondu que c’était mauvais signe, que je devais encore avoir peur. J’ai alors immédiatement arrêté de travailler sur ce projet et j’ai pris le problème à l’envers. Comme je n’avais pas d’autres idées, je me suis dit : « Prenons un genre qui me fait flipper. » Donc film d’action, d’horreur, de science-fiction, western, polar... Or, les films de police m’ont toujours intéressée. Pendant un mois, j’ai maté tout ce qui existait en la matière. Et puis un soir, par hasard, en zappant, je suis tombée sur un documentaire consacré à la brigade des mineurs. J’ai été touchée en plein cœur.Est-ce que ce sujet ne vous a pas aussi interpellée parce que, enfant, vous auriez pu vous y rendre, à cette brigade ?Oui, forcément. Mais je ne me suis pas dit les choses aussi explicitement. C’est inconscient, ça rejoint quelque chose que je ne maîtrise pas. Comme beaucoup d’enfants, je me suis rendu compte seulement très tard que j’étais une victime.Pourquoi avoir fait appel à Emmanuelle Bercot pour le scénario ?Je voulais prolonger notre amitié en travaillant avec elle. Elle est structurée, organisée, très bonne élève... Tout le contraire de moi. Bref, comme elle avait peur qu’on s’embrouille dans le boulot, elle m’a dit : « Je viens dix jours, je n’écris rien mais je t’aide à définir tes personnages. » Et puis, finalement, elle s’est mise devant le clavier et n’est jamais repartie. Elle m’a aussi ramenée à la réalité des choses : décrocher l’avance sur recettes, solliciter des fonds auprès de la région, d’une chaîne hertzienne. D’ailleurs, je voudrais balancer. Vous savez pourquoi je n’ai pas eu l’avance sur recettes la première fois ? À cause de mon image de « jolie fille médiatique et ex de Besson » qui ne jouait pas en ma faveur. Je l’ai entendu de mes propres oreilles quand mon producteur a appelé le vice-président de la Commission pour avoir des explications. Mon film a été rejeté au premier tour alors qu’il n’avait quasiment pas été lu. J’ai été jugée sur mon physique, ma réputation et le père de ma fille, dont je suis séparée depuis quinze ans et avec qui je n’ai jamais travaillé ! Je trouve ça scandaleux.Dans la première version du scénario, que vous aviez écrite seule, il paraît que les flics faisaient un braquage et partaient à Las Vegas ? Oui ! J’avais écrit : « Ils s’envolent pour Las Vegas, jouent dans les casinos et se marient entre eux » ! Comme j’avais décidé de faire un film sur la police, je voulais de l’action, des flingues, des courses-poursuites, du sang... Et je voulais aussi que ça parte en couille ! À chaque fois, Emmanuelle revenait à la charge : « Et Las Vegas ? Tu crois pas que c’est une autre histoire, un autre film ? » (Rire)Vous dites que vous aviez un « cahier de jokers »... C’est vrai. Pendant mon stage d’observation à la brigade, je ne voulais ni enregistrer ni filmer, donc je prenais des notes. Je détaillais tout : les affaires, les gardes à vue, les expressions, les blagues, les ambiances. C’était la base de mon scénario. Mais comme je n’ai pas pu tout injecter dans le script, je me suis servi de ce cahier pendant le tournage pour recaser des trucs. Dès que je sentais un coup de mou dans une scène, je glissais un mot à l’oreille d’un acteur, qui le répercutait, et, du coup, ça déstabilisait tout le monde. Je demande toujours aux acteurs de ne pas apprendre leur texte. Je préfère qu’ils le lisent plusieurs fois et qu’ils jouent la scène telle qu’ils s’en souviennent. Le truc le plus important pour moi, c’est qu’ils s’écoutent entre eux. Ça se voit, un acteur qui pense : « Bon ben, dans deux secondes, ça va être à moi. » Je déteste cette énergie gaspillée. Un acteur qui écoute est souvent plus intéressant à regarder que le mec qui tient le crachoir.L’humour du film est totalement salvateur. Pensez-vous qu’on puisse rire de tout ? Oui. Ça permet de s’éloigner du gouffre. Mais j’ai grossi le trait. En vrai, les flics ont des fous rires, mais pas devant les victimes. Parfois, au début, quand il leur arrivait de faire des blagues douteuses sur une personne qui était dans la pièce d’à côté, je trouvais leur humour spécial. Je les prenais pour des bourrins. Mais, quelques jours après, je me suis mise à balancer les mêmes vannes. Ça décharge.Comment dirige-t-on de jeunes enfants dans des situations si délicates ? D’abord, j’ai mis des mois avant d’obtenir l’autorisation de la DDASS, qui était catégoriquement opposée au film : « Non, vous n’aurez pas les enfants ! Vous n’avez qu’à réécrire le film avec des ados ! » Mais j’ai persévéré et j’ai réécrit jusqu’à ce qu’ils disent oui. J’ai dû signer une clause comme quoi je m’engageais à ne tourner que ce qui était sur le papier et qu’ils avaient par avance validé. J’ai aussi dû story-boarder les scènes avec les enfants. En fait, ils affirmaient que faire dire des choses crues à un gosse pourrait avoir des conséquences dans sa vie intime. En revanche, un gamin qui joue dans un film d’horreur et qui se fait décapiter ou qui voit sa mère se faire égorger sous ses yeux, apparemment, ça ne pose pas de problème ! Au final, ces histoires m’ont rendu service : l’imaginaire est plus vertigineux.À Cannes, pendant la conférence de presse, vous avez déclaré que jouer vous-même dans le film était une erreur de casting... Oui, et ce n’est pas de la fausse modestie. Je n’ai pas aimé jouer dans Polisse. Attention, j’adore ce que je laisse dans le film... Je ne suis pas du genre à me détester quand je me vois à l’écran, sinon je ne me donnerais pas de rôles ! Je n’avais juste pas mesuré à quel point l’énergie que me demandrait par mon personnage allait me déstabiliser sur le plateau. Alors que dans Pardonnez-moi et Le Bal des actrices, j’interprétais des rôles proches de ce que je suis, là, Mélissa, c’était le contraire : une fille introvertie, qui subit, pas du tout déconneuse. Et puis, je dirigeais Didier (Morville, le vrai nom de Joeystarr), qui était mon amoureux à l’époque, et des acteurs qui, entre Le Bal des actrices et Polisse, étaient devenus des amis, donc c’était encore plus compliqué. Il aurait mieux valu que je sois le chef tout le temps.Pourquoi avoir voulu superposer à l’histoire de la brigade une histoire d’amour un peu à part entre votre personnage et celui de Joeystarr? Vous pensiez que la première ne pouvait pas exister seule ?Avant même de savoir que je voulais réaliser un film sur la police, j’avais envie d’écrire cette histoire d’amour entre Didier et moi. Au départ, je cherchais un prétexte qui me permettrait d’écrire pour lui.Vous êtes la seule à faire ressortir chez lui quelque chose d’extrêmement émouvant et de rassurant. L’image du père idéal.J’ai juste mis en valeur ce que j’aime chez lui. J’étais très amoureuse. Mais je n’ai plus envie d’écrire pour lui, c’est fini.Le prix du jury a-t-il été une surprise ?Déjà, quand j’ai appris que le film était sélectionné, c’était la fête ! Mais, une fois à Cannes, tout le monde m’a dit : « Bon ben, je croise les doigts. » Moi, j’avais oublié qu’il y avait une compétition ! Donc, d’un coup, tu commences à penser au palmarès, forcément. Je savais qu’en 2009, pour Antichrist, Charlotte Gainsbourg avait été prévenue qu’elle avait un prix le dimanche à 13 h 30. Du coup, dans ma tête, c’était la deadline. J’étais partie en week-end avec mes enfants à Saint-Tropez pour ne pas trop m’éloigner au cas où. À 14 heures, toujours aucun appel. Là, tu te refais la filmo de De Niro (le président du jury) dans tous les sens pour essayer de comprendre ce qui a pu lui déplaire dans ton film... Donc, persuadée que c’était mort, je suis partie en tongs à la plage tout en recevant des tonnes de textos du genre : « Pas trop dégoûtée ? » À 14 h 10, coup de fil de mon distributeur. Je réponds : « Allô ? Bureau des condoléances ? – Maïwenn, tu reviens – Ouais, c’est ça, la bonne blague ! – Je ne me permettrais pas... » Demi-tour, hélico, direction Cannes. À Paris, les acteurs sautent dans un avion, les filles se font habiller, coiffer et maquiller dans la voiture qui les amène de l’aéroport, et tout le monde arrive en bas des marches à 18 h 30 les chaussures à la main ! C’était un truc de dingue !Avez-vous discuté avec le jury après la cérémonie de clôture ? Oui. De Niro m’a dit plein de trucs gentils mais je n’ai entendu qu’une seule phrase : « Vous êtes un ange. » Il m’a tapé dans le dos en arborant le même rictus que celui qu’il a dans ses films, je ne savais plus comment je m’appelais !Aimeriez-vous trouver un cinéaste qui vous révélerait comme comédienne autant que vous avez révélé Joeystarr ? Absolument. Les réalisateurs pensent que je n’ai pas envie de jouer pour les autres, mais c’est faux. Ils ont juste peur que je les emmerde en mettant mon nez dans leur mise en scène, ce qui est débile ! Je viens de tourner Télé gaucho sous la direction de Michel Leclerc (Le Nom des gens), et je me suis éclatée. Je rêverais de travailler avec Joachim Lafosse, Mia Hansen-Løve, Raphaël Nadjari, Xavier Dolan ou Andrea Arnold, mon idole !