Comment Spielberg a tenté de défendre La Guerre des étoiles contre Brian De Palma et John Milius après la première projection du film
L'histoire secrète de Star Wars Volume 1
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Fin 1976. Le tournage de La Guerre des étoiles (futur Star Wars Épisode IV – Un nouvel espoir) vient de s’achever dans la douleur. Entre les conflits avec le chef opérateur Gilbert Taylor, l’équipe anglaise qui refusait de faire des heures supplémentaires, une tornade qui vient de détruire les décors et les pressions de la Fox, Lucas est défait. Anéanti. Mais ce qui l’attend va se révéler encore pire. Le montage de ce premier opus de la saga fut un long chemin de croix qui rappelle que si Lucas avait une vision claire de son film, sa mise en forme représenta un constant work in progress qui commença par une hospitalisation. À peine revenu en Californie après les dernières prises de vues, le réalisateur est emmené aux urgences pour cause de stress. Le problème, c’est le travail de John Jympson, le monteur de A Hard Day’s Night (Quatre Garçons dans le vent, Richard Lester, 1964), que le cinéaste avait embauché pour élaborer une première version du film à partir de ses rushes alors qu’il en finissait le tournage en Angleterre. Lucas avait aimé la qualité documentaire de A Hard Day’s Night et voulait injecter un côté « cinéma du réel » à son space opera. Mais lorsque le réalisateur découvre ce premier montage, c’est une catastrophe : le long métrage traîne en longueur et n’a ni l’énergie ni la frénésie qui caractérisaient le film avec les Beatles. Malgré son savoir-faire et son CV (il a notamment travaillé sur Zoulou, Quand les aigles attaquent, De l’or pour les braves, Frenzy...), John Jympson est donc viré et le film reste en stand-by durant plusieurs mois, le temps que tous les éléments soient rapatriés aux États-Unis.
« The Lost Cut »
Du coup, La Guerre des étoiles rate sa date de sortie, initialement prévue fin 1976. Pire : Lucas est tellement déprimé qu’il rassemble les treize bobines montées par Jympson, les scelle et les range dans ses archives personnelles, avec l’intention de ne plus jamais y toucher. Baptisée « The Lost Cut » (le montage perdu), cette version ne comprend que des éléments tournés en prises de vues réelles, sans effets spéciaux. Au fil des ans, elle est devenue mythique – plusieurs extraits de ce montage interdit circulent sur le Net et on a pu en voir des morceaux dans Au temps de la guerre des étoiles (Steve Binder, 1978), ainsi que sur un CD-Rom de Lucasfilm intitulé Star Wars : Behind the Magic (1998). Si on y regarde de plus près, il semble que l’on soit loin du désastre annoncé par Lucas. La scène de la cantina dans son intégra- lité (sept minutes montées par Jympson) permet de découvrir Han Solo en plein flirt avec une fille que l’on ne reverra nulle part ailleurs dans le film. Il y a du rythme, de l’ampleur, de l’humour et, à la vision de cette séquence en noir et blanc partiellement sonorisée, on peut se demander pourquoi Lucas a décidé de virer un monteur de cette envergure. The Lost Cut s’impose comme un premier assemblage brut et un peu bordélique, mais l’aspect documentaire recherché par le cinéaste est bien là. Mine de rien, le montage de Jympson (ou ce qu’il en reste) donne une idée de ce qu’aurait pu être La Guerre des étoiles et demeure une version alternative, le prototype fantasmatique d’un mythe de la culture pop. Mais Lucas est à l’époque sur une autre longueur d’onde. Mentalement et physiquement lessivé par le tournage du film, il s’est mis à douter de ses choix artistiques initiaux et du matériau qu’il a mis en boîte, décidant finalement de tout remettre à plat.
Retour à la case départ
En fait, le cinéaste déteste tellement cette version qu’il demande à un autre monteur de reprendre le film. Il se tourne alors vers sa femme, Marcia Lucas, qui a travaillé pour Francis Ford Coppola, Michael Ritchie et Martin Scorsese (elle vient de terminer Taxi Driver). La première chose que lui demande son mari est de tout recommencer, de ne pas utiliser la version de Jympson comme référence. Il veut finaliser La Guerre des étoiles exactement comme il l’a (désormais) en tête. Un deuxième monteur, Richard Chew, qui a œuvré sur Conversation secrète de Coppola, est appelé en renfort pour assister Marcia. Elle s’occupe des séquences à effets spéciaux, tandis que Chew se charge des autres scènes. Parfois, ils échangent leurs postes quand l’un ou l’autre a du mal à boucler le travail. Cette décision est une autre preuve du génie de Lucas, l’une des raisons pour lesquelles La Guerre des étoiles fut un tel choc : après une première déception, le cinéaste s’est entouré de deux techniciens nommés aux Oscars et leur a laissé son matériau afin qu’ils le façonnent en leur faisant une confiance absolue, même s’il doutait souvent – et parfois beaucoup – de certaines décisions artistiques prises par ses monteurs. C’est à Marcia que l’on doit la survie des moments les plus émouvants dans le métrage final, passages que Lucas voulait à chaque fois supprimer. En 2005, Mark Hamill, l’interprète de Luke Skywalker, ne disait pas autre chose : « Regardez la différence entre les films que George réalise aujourd’hui et ceux qu’il faisait quand il était marié avec Marcia. C’est elle qui l’a convaincu de garder le baiser “pour la chance” que Leia (Carrie Fisher) donne à Luke dans le premier film. Je me souviens de George disant : “Je n’aime pas ça. Les gens vont rire.” Il a fallu se battre pour lui faire comprendre que le public allait rire précisément parce que c’était inattendu ! Même chose quand R2-D2 arrive au moment où Han Solo (Harrison Ford) et Luke emmènent Chewbacca à la prison. Chewbacca grogne, le robot siffle et repart. George voulait couper ce passage, mais Marcia s’est battue pour qu’on le conserve. »
Lucas a enfin vu Le Réveil de la Force
La première projection
Début 1977, alors que la nouvelle date de sortie approche, George Lucas continue de cumuler les difficultés : dépassement de budget, problèmes avec les effets spéciaux... Pour calmer les dirigeants de la Fox et rassurer Alan Ladd Jr., le président du studio (qui couvre Lucas depuis le début du projet), une première projection est organisée à San Anselmo. Tout le gratin de la Fox est là, ainsi qu’un petit cercle d’amis du réalisateur. À l’entrée de la salle, on peut voir Steven Spielberg, Brian De Palma, John Milius, Jay Cocks (critique pour le magazine Time et scénariste), Roy Thomas (scénariste et éditeur de comics) et Howard Chaykin, qui dessine l’adaptation en BD pour Marvel. Tout le monde piétine devant la salle, mais ce que ces premiers spectateurs vont découvrir est une copie inachevée. Les effets spéciaux ne sont pas finalisés et n’ont pas été intégrés dans le film. À la place, plutôt que de laisser des écrans noirs, Lucas a inséré des extraits des Briseurs de barrages (Michael Anderson, 1955), un film de guerre anglais dont il s’est inspiré pour de nombreuses séquences de combats aériens. Certaines scènes des Briseurs... sont d’ailleurs identiques à ce qu’on verra dans La Guerre des étoiles (les inserts sur les cockpits et les tirs de missiles, notamment), et ce sont elles qui ont été montées sur cette version à la place des séquences manquantes. L’histoire du cinéma est certes faite d’emprunts ou de copier-coller, mais ce fut rarement aussi flagrant. George Lucas ne s’en cache pourtant pas, de la même façon qu’il ne dissimule pas non plus ses emprunts à Jack Kirby. Il est à noter par ailleurs que le chef opérateur de La Guerre des étoiles, Gilbert Taylor, fut justement le directeur photo des effets visuels sur Les Briseurs de barrages.
Que la force soit avec lui
Dans la confortable salle de projection, la séance commence bien et George Lucas semble confiant. Pourtant, quand les lumières se rallument au bout de deux heures, le cinéaste est loin de s’attendre à ce qui va se passer. Le président de la Fox est en larmes et affirme : « C’est le plus grand film que j’ai jamais vu ! », persuadé à juste titre que tous ses efforts vont payer.
L'homme qui avait vu venir le succès de Star Wars avant tout le monde
Les dirigeants du studio, eux, acquiescent mollement, certains se laissant même aller à quelques critiques. Alan Livingston, responsable du marketing musical, demande s’il serait possible de faire un mix disco du thème principal, histoire de sauver ce qu’il pense être un naufrage artistique. La direction marketing, pour sa part, demande carrément que le titre du film soit changé, le mot « wars » étant jugé anticommercial, particulièrement auprès du public féminin. Mais les remarques les plus dures vont venir des propres amis du réalisateur. Tout son cercle, à l’exception de Spielberg et de Cocks, pense que La Guerre des étoiles est un vrai désastre.
Réunie après la projection, la petite bande démolit littéralement Lucas. « Ils me disaient : “Condoléances.” “Condoléances” ! C’était pire que de me balancer qu’ils n’avaient pas aimé le film », se souviendra-t-il des années plus tard. Le plus féroce est De Palma, qui critique violemment La Guerre des étoiles, sa philosophie et ses thèmes. « C’est quoi ce truc de Force à la con ? », demande le père de Carrie. Le groupe se rend ensuite à un dîner. D’un côté de la table, Spielberg et Cocks, les supporters de Lucas ; de l’autre, le reste de la troupe. Le film et le réalisateur se font étriller. « George n’en a pas perdu l’appétit pour autant, c’est la seule chose dont je me souvienne, notera Steven Spielberg. Il continuait à manger en se prenant tout ça dans la gueule. Mais vous savez quoi ? Il n’a pas changé une seule image du film pour autant ! » Lucas est pourtant ébranlé, défait. Résigné, surtout. « C’est mort, c’est juste un film débile qui ne marchera jamais », dira-t-il à sa femme quelques heures après. Pour tenter de lui remonter le moral, Marcia téléphone alors à Brian De Palma et réussit à convaincre ce dernier de réécrire le texte d’introduction à l’égard duquel il était particulièrement critique. Par la suite, Lucas corrigera ces quelques phrases, qui deviendront le déroulé, devenu culte, que l’on connaît.
Une poignée de semaines plus tard, le 25 mai 1977, Lucas est en train de mixer les versions étrangères de son long métrage au studio même où sa femme finit le montage du New York, New York de Scorsese. Vers 18 heures, George et Maria se croisent et marchent tranquillement dans la rue en direction du Chinese Theatre. Ils tombent alors sur une file d’attente qui remonte jusqu’au coin du block. « Qu’est-ce qui se passe ? », demande le réalisateur, étonné. « C’est la queue pour La Guerre des étoiles, mec ! », lui répond un spectateur. Lucas n’arrive pas à y croire. Dans les jours qui suivent, il part en vacances à Hawaï avec sa femme, bientôt rejoint par Spielberg, qui lui apprend que le succès de son film dépasse toutes les espérances. La folie Star Wars est désormais plané- taire. Sur la plage, alors qu’ils construisent un château de sable, les deux hommes vont avoir l’idée de lancer une autre saga. Indiana Jones vient de voir le jour, mais ceci est une autre histoire...
Le Réveil de la Force sort en salles le 16 décembre prochain
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