Rencontre avec le réalisateur argentin, qui filme un processus d’adoption illégale comme un suspense hitchcockien.
Si vous deviez ranger Notre Enfant dans une case, un genre, vous diriez que c’est un thriller ou un drame social ?
Il y a des éléments de thriller dans mon film, c’est certain, mais je ne respecte aucun code, ce n’est pas du Brian De Palma ! Il y aussi un contexte social très fort en arrière-plan, je parle de ces enfants qui deviennent des marchandises au moment où ils viennent au monde… Sauf que je ne veux pas me contenter du contexte social. Ce qui m’intéressait, c’était de suivre une anti-héroïne sur toute la durée d’un film. On est avec elle, on ne la quitte pas d’une semelle, et en même temps on a de la distance par-rapport à elle, on met ses actions en perspective. Est-ce que j’aime cette femme ou pas ? Est-ce que j’approuve ce qu’elle fait ? Je ne voulais pas être dans l’empathie, je souhaitais au contraire mettre le spectateur dans une situation inconfortable. J’appelle ça un thriller moral.
Le suspense n’est pas tant de savoir ce qui va arriver au personnage, que ce que l’on pensera d’elle à la fin du film…
Exactement. Et on n’arrête pas de changer d’avis tout au long de l’intrigue. Faire ce genre de choses n’est pas forcément très recommandé au cinéma. On est censé aimer le personnage principal…
Le film semble très documenté et dresse un tableau effrayant des procédures d’adoption illégales en Argentine…
Oui, une amie m’a raconté les démarches qu’elle avait dû entreprendre pour adopter, et ça m’a donné envie d’en savoir plus. Les recherches documentaires sont un processus toujours longs chez moi, mais elles ne sont en aucun cas la garantie qu’il y aura un film à l’arrivée. J’enquête en me demandant toujours : où est le cinéma là-dedans ? J’ai rencontré des médecins qui font partie de ces mafias, et ils m’ont mis face à un dilemme moral, en me parlant des enfants qui meurent sous leurs yeux quotidiennement. C’est quand j’ai éprouvé cet inconfort que je me suis dit qu’il y avait sans doute une histoire à raconter. Ce dilemme moral, c’était le sujet du film.
Il y a cette attaque de sauterelles au beau milieu de Notre Enfant… En la tournant, vous pensiez à quoi : à Hitchcock ou à la Bible ?
Hitchcock ! Je ne suis pas quelqu’un de religieux… Je voulais quelque chose d’irrationnel et d’abstrait au cœur du film. Mais j’ignorais quoi… C’est en faisant des repérages que quelqu’un m’a parlé de ces invasions de sauterelles. Ça m’a paru parfait : un phénomène à la fois plausible et extraordinaire. Et, en effet, ça ressemble à un hommage aux Oiseaux…
J’adore l’idée que la protagoniste passe tout le film dans la même tenue, comme un costume de super-héroïne…
C’est simplement parce qu’elle s’est dépêchée de venir à la clinique, elle n’a pas eu le temps de faire ses valises. Et dans le petit village où se déroule le film, il n’y a pas un seul magasin, le plus proche est à 40 kilomètres !
Peut-être mais ça donne surtout une forme d’abstraction au film…
Un des mots que j’emploie le plus souvent sur le plateau, c’est “résumé” (“condensation”, en anglais). Une idée est beaucoup plus forte si elle “résumée”, condensée, exprimée avec le moins d’éléments possibles. Ça vaut pour les costumes comme pour la mise en scène. Si un plan-séquence exprime une idée plus puissamment qu’une séquence très découpée, alors j’opte pour le plan-séquence. Pour moi le cinéma, c’est ça : trouver comment parvenir à l’épure.
Bande-annonce :
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