Le dernier film en date de Jeff Nichols est un enfant d'Amblin Entertainment. Explications.
En 1981, alors que Les Aventuriers de l'Arche Perdue sort au cinéma et explose les compteurs, Steven Spielberg décide de fonder sa société de production avec deux fidèles, Frank Marshall et Kathleen Kennedy. Objectif ? Développer et produire des projets qui lui tiennent à cœur. Ils nomment leur société de production Amblin Entertainment, en hommage au court-métrage qui, au milieu des années 60, permit à Spielby de se faire remarquer. Retour vers les futur, Les Goonies, Gremlins, E.T…. autant de films qui ont défini le cinéma eighties ; autant de films qui ont surtout influencé une batterie de cinéastes contemporains. De J.J. Abrams (Super 8) à Colin Trevorow (Jurassic World), tout le cinéma de ces dernières années s’est nourrit et se revendique du studio de Spielberg. Mais avec la sortie de Midnight Special, Jeff Nichols s’impose comme le véritable héritier de ce cinéma-là. Explications en 5 points.
La photo
Amblin c'est d'abord une esthétique, des images iconiques qui renversent la tête et fixent un inconscient collectif (un alien sur une bicyclette qui vole ? Un ado sur un skate en lévitation ? Une peluche qui chante dans l’échoppe d'un brocanteur chinois ?). C’était aussi une manière de voir le monde. Concrètement, le studio n'a jamais construit de charte claire et laissait le talent de ses réalisateurs phares s'épanouir librement. Malgré tout, de Rencontre jusqu'à Retour vers le futur, on retrouve souvent la même photo bleutée, comme signature esthétique du studio (dont Allen Daviau, le chef op d’Amblin’, de Rencontre et de E.T. pourrait incarner l’esprit). Une photo très douce, une phosphorescence quasi-foetale qui flirte avec le fantastique et baigne les histoires d'une aura mystique et mystérieuse. C'est précisément ce que recherche Nichols sur Midnight Special ; le cinéaste joue constamment du contraste entre l'ombre et la lumière, le jour et la nuit. Comme les films Amblin, la dominante bleue, douce, d’un film qui pénètre, entre chien et loups, dans la nuit noire, un peu à l’aveugle, fait planer sur cette histoire d’élu le spectre des plus beaux Amblin. Et l’ouverture SUBLIME (la route filmée tous phares éteints, à tombeau ouvert) sonne comme une déclaration d’intention.
L'amérique plouc
Kingston Falls dans Gremlins, la banlieue de E.T, Hill Valley dans Retour vers le futur... Les grands films Amblin ont pour cadre une Amérique rurale. Profondément influencé par Norman Rockwell, Spielberg a réinventé l’américana avec ses champs de maïs, ses rocking chairs sous les porches en bois, en mettant en scène une petite ville coincée dans la campagne éternelle - comme si le temps s’était définitivement arrêté. On a l'impression que c'est là, dans ce grand nulle part fantasmé, dans ce paysage émotionnel, que tout peut advenir. Pour Spielberg c’était d’abord un rêve de cinéma classique, un cadre idéalisé à vocation morale, mais c’était aussi une manière pour le studio de tremper la mythologie américaine dans la modernité et de regarder cette modernité à travers un prisme rétro. Là encore, c’est le boulot de Nichols, dramaturge sudiste et élégiaque, qui a désormais envie de booster tout cela avec du CG et des extra-terrestres. Dans Midnight special, on croise donc des personnages qui semblent sortir d’un film de Malick mais qui finissent par se retrouver face à la présence bien réelle (métallique et fluide) d’une civilisation alien… L’éternel face au contemporain. Le lo-fi craspec qui se heurte à l’Autre technologique.
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L'enfant au pouvoir surnaturel
Spielberg, Zemeckis et Dante n’avaient qu’un seul objectif : faire des films de mômes, pour les mômes. Leurs films 80’s furent toujours portés par le point de vue d’un gamin souvent doté de pouvoirs spéciaux. Il y a celui qui voyage dans le temps et répare les erreurs du passé (Retour Vers Le Futur), le mentaliste qui comprend tout (l’ouverture dans l’internat du Secret de la pyramide) et doit résoudre une énigme improbable, il y a aussi le gosse responsable du mogwai qui va devoir sauver sa ville ou celui qui doit protéger E.T l’extra-terrestre… L'enfant de Midnight Special s’inscrit complètement dans cette tradition. Le FBI et une secte étrange veulent ses pouvoirs et le pourchassent à travers tous les US – plus proche d’E.T, on voit pas… Avec sa dégaine de pierrot lunaire, Alton est un super-héros miniature qui ressemble à un personnage amblinesque de ses baskets jusqu'à la coupe de cheveux (à mi-chemin entre Macaulay Culkin et Henry Thomas, le petit Jaeden Lieberher est impressionnant). Une passion pour les comics, des lunettes de plongée pour faire écran, et une grosse couette qui lui sert de barrière métaphorique contre le monde dans la scène d’intro : Alton semble directement sorti d’un rêve amblinesque. Ne lui manque qu’un BMX.
Le rapport au père
C’est l’autre thématique essentielle des films Amblin (et du cinéma de Spielberg en général). Dans Rencontre du Troisième type, le père du héros devenait complètement dingue et se mettait à rechercher des aliens ; Dans Gremlins, le papa était cet inventeur aussi génial (la salle de bain de poche) qu'inadapté socialement ; dans Retour vers le futur, le père de Marty était un dominé qui devait reprendre son destin en main... Pour les héros, pour les enfants donc, tout se joue dans le rapport à ce père défaillant, absent, ou en reconstruction. C’est la clé (psychanalytique) d’Amblin et c’est évidemment la clé du cinéma de Nichols : « Pour moi, Midnight Special est un film sur le fait d’être père, faisant suite à un film sur l’angoisse de le devenir ». On ne peut pas être plus clair. Ca donne par ailleurs l’une des plus belles scènes du film – un adieu silencieux entre le père et le fils. Une scène que n’aurait pas renié Spielberg.
Des films du milieu
Les films Amblin étaient des prototypes industriels. Pas vraiment des blockbusters, mais plus tout à fait des films indés. Contrairement à Coppola (qui a vu Zoetrope couler) Spielberg a réussi à imposer sa structure lui octroyant la liberté financière indispensable à la création. Et c’est exactement ce qui se joue ici. Jusqu’à présent, Nichols était indé jusqu’à la pointe de ses bottes sudistes. Si Mud voyait l’arrivée d’une super star sur son terrain de jeu, Midnight Special marque la rencontre entre le cinéaste et une major, Warner Bros. « On m’a proposé plusieurs blockbusters depuis Mud et je les ai tous refusés, confiait-il a la sortie du film. Lorsque j’ai commencé à bosser sur Midnight Special, je me suis dit que c’était le moment d’aller démarcher une major parce que je savais qu’il y avait un potentiel grand public dans ce film, beaucoup plus que dans tous mes autres projets réunis. Je voulais travailler pour Warner, parce qu’ils ont l’habitude de bosser avec des cinéastes qui sont aussi des auteurs. J’ai posé deux conditions : avoir le final cut et travailler avec Michael Shannon. Quand ils ont dit oui, on a signé très vite. Midnight Special est un film de studio avec la liberté d’un film indépendant. »
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