Le film d'ouverture d'Un Certain Regard porte justement un regard enragé sur la Russie d'aujourd'hui.
Radicalisant les concepts d’Une femme douce, Sergei Loznitsa fait le portrait, entre farce morbide et documentaire mental, d’une région de Russie hallucinée. Au-delà du bien et du mal.
Une troupe de comédiens se prépare dans une caravane. On maquille les femmes, qui papotent et s’insultent jusqu’à l’arrivée d’un militaire. Ce dernier fait taire tout le monde, ordonne à la troupe de se mettre en place et les acteurs sortent en courant dans un paysage de ruine. Sous l’œil de (faux ?) journalistes russes, ils se mettent à jouer les témoins d’un acte terroriste qui vient de faire des dizaines de morts. Dès le début, Donbass fonctionne sur l’inversion des valeurs. « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux » disait l’autre. La propagande se présente comme le réel, les morts ont l’air un peu fake, et même l’amour ressemble à une vision de la haine (incroyable séquence de mariage fellinienne). C’est le principe de ce film fou, incroyablement shooté, qui pousse les curseurs d’Une Femme douce très très haut. Flirtant toujours plus avec l’esthétique documentaire (les caméras embarquées), cette nouvelle dérive hallucinée dans les sous-sols d’une Russie infernale se présente comme une suite de sketchs terrorisants révélant l’arbitraire d’une société gangrénée par la corruption, la folie et la cruauté. Dénonçant la mainmisse russe sur une partie de l’Ukraine, on y voit des milices maltraiter les habitants, des politiciens véreux se faire déverser des seaux de merde sur la gueule, des femmes prêtes à tout pour sauver leur mère, ou des Ukrainiens se faire lyncher par des citoyens enragés. La rage de Loznitsa n’a peut-être jamais été aussi forte. Peut-être parce que cette fois-ci le propos est plus frontalement politique qu’avant. Mais sans doute parce que la femme douce a disparu de l’écran. Il n’y a plus de personnages, plus de fil narratif, plus d’intrigue. Sans elle, sans ça, il ne reste plus que « l’âme russe » dans toute sa nudité. Sa violence, ses mensonges, ses ivresses.
Gaël Golhen
Donbass sortira le 26 septembre prochain en France.
Pour suivre les temps forts du festival, jusqu’au 19 mai, rendez-vous dans notre dossier spécial Cannes 2018, ainsi que dans les kiosques.
Commentaires