Maestro
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Cinq ans après A star is born, l’acteur-auteur prolonge son étude de la difficulté de concilier art, gloire et vie intime, en faisant de l’épouse/actrice Felicia Montealegre la véritable héroïne de son biopic de Leonard Bernstein.

Il y a l’éléphant dans la pièce et il y a le faux nez au milieu du visage. Si Bradley Cooper s’est fait la tête de Leonard Bernstein, à l’aide d’un maquillage relativement grossier, ce n’est pas tant pour lui ressembler que pour signaler une distance et signifier qu’il s’identifie moins à la figure du "maestro" qu’il ne l’incarne. Intérieur/extérieur, la nuance est d’importance, tant le film semble pour le reste prolonger l’obsession intime de Cooper pour tous les pactes (sinistres ou non) que les artistes/stars se doivent de signer pour réaliser leurs rêves et accomplir leur destin.

On connaît moins Bernstein en France, mais aux États-Unis, il fut une présence constante dans tous les foyers pendant un quart de siècle, chef d’orchestre pétaradant, compositeur entré dans l’inconscient collectif (West Side Story, tout de même) et accessoirement gourou culturel et superstar télé des années 60-70. Il y a cette gueule pas possible (le nez) et cette voix reconnaissable entre toutes (nasale, forcément) que Cooper imite avec délice mais en restant bien caché derrière sa prothèse. Lui c’est lui, moi c’est moi, semble-t-il dire. Et elle, c’est elle, à savoir Felicia Montealegre, actrice, épouse, muse, garde du corps et garde-fou jouée par Carey Mulligan, à laquelle Cooper offre le film sur un plateau. La star, ce sera elle, la femme derrière le grand homme, l’actrice comme hypothèse du grand film.

Maestro : Bradley Cooper et Carey Mulligan
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CODÉPENDANCE

Cette identification d’une femme comme clef de voûte d’un destin d’artiste fait dérailler le biopic vers autre chose, l’exploration d’une relation de codépendance à la fois sentimentale et créative, comme la série Fosse/Verdon ou ce à quoi pourrait ressembler un film sur le couple Gena Rowlands/John Cassavetes. D’où un certain déséquilibre, voulu mais pas toujours contrôlé. Portrait d’un homme sous influence, Maestro menace de se vider de sa substance dès que Bernstein sort de l’orbite de son épouse pour s’enfoncer dans les volutes seventies (drogues, homosexualité, égomanie), ses parts d’ombre et de lumière décomplexées, pour le meilleur et pour le pire.

Qui était le "maestro" Leonard Bernstein incarné par Bradley Cooper ?

Dans ces passages-là, le film se retrouve comme le personnage, orphelin de son centre de gravité, de sa raison d’être. Une moitié en noir et blanc (la jeunesse), l’autre en teintes vert pâle et brunes, comme un automne en pente douce (la maturité), Maestro ne parvient jamais tout à fait à unifier les deux Bernstein, le family man sincère et le gay émancipé. Il y a une rare puissance romanesque dans ce héros empêché d’être en même temps les deux choses qui le constituent, tout comme il se révèle incapable d’obtenir le même succès comme compositeur de "grande musique" qu’en tant que chef d’orchestre et icône pop.

Là encore, affleure un autoportrait que Cooper s’efforce de masquer comme il peut, lui qui a fait du prix de la gloire son sujet de prédilection, sans doute parce qu’il le contemple chaque matin dans son miroir. Ce film passionnant est à son image, génial mais boiteux, très sentimental, trop sentimental, jusqu’à un deuil sur-joué où ses failles finissent par se voir beaucoup trop. Comme le nez au milieu de la figure.

De Bradley Cooper. Avec Bradley Cooper, Carey Mulligan, Matt Bomer... Durée 2 h 09. Disponible le 20 décembre sur Netflix