Emmanuelle Béart révèle avoir été victime d'inceste
Abaca

L'actrice de Manon des source a été agressée sexuellement depuis l'âge de 10 ans. Quatre ans plus tard, elle a réussi à en parler à sa grand-mère, puis à ses parents.

Le 24 septembre, M6 diffusera à 23h10 un documentaire sur l'inceste intitulé Un silence si bruyant, conçu par Emmanuelle Béart et Anastasia Mikova. La comédienne explique dans le nouveau numéro d'Elle -à paraître le 14 septembre- que c'est elle qui a initié ce projet donnant la parole à quatre victimes d'agressions sexuelles de la part d'un membre de leur famille. Avant d'accepter, au cours de sa fabrication, d'évoquer sa propre histoire.

Sans citer le nom de son agresseur, elle révèle à la journaliste Marion Ruggieri avoir été violée de ses 10 à 14 ans par un homme de sa famille. Elle a réussi à se confier à sa grand-mère, qui l'a sauvée de son emprise en l'envoyant en pension. Puis elle a trouvé la force d'en parler à ses parents, le chanteur Guy Béart et la mannequin Geneviève Galéa, un peu plus tard. C'est en préparant ce documentaire qu'elle a eu un choc. Quand l'une des participantes lui a demandé pourquoi elle tenait tant à raconter leurs histoires dans ce docu. Ce fut le déclic, et elle a décidé de prendre la parole publiquement sur l'inceste qu'elle a elle-même subi.

Un silence si bruyant Emmanuelle Béart
M6

"L’idée de départ vient de moi, explique Emmanuelle Béart en préambule. J’avais tenté deux ou trois fois d’imaginer une fiction autour de l’inceste. J’ai été profondément frappée par l’irruption en littérature de Christine Angot : Une semaine de vacances, L’Inceste… J’avais dans l’idée d’adapter un de ses livres, je tournais autour. Et puis, au bout d’un moment, je me suis dirigée vers le documentaire. C’est un coup de foudre pour la réalisatrice Anastasia Mikova, dont j’avais vu le film Woman, qui m’a donné la possibilité de passer à l’acte. Elle n’a pas vécu l’inceste, mais elle a cette intelligence et cette distance qui m’ont été étrangement nécessaires pour aborder ce sujet."

Confirmant ensuite avoir été elle-même agressée sexuellement quand elle était enfant, elle ajoute : "Au début, je voulais prendre la caméra, et non prendre la parole, expression toute faite que je déteste, un peu comme 'la peur a changé de camp' ! Je ne m’incluais pas dans cet espace. Mais face à leur courage, je me suis remise en question. Quand Norma m’a demandé 'et toi, pourquoi tu es là ?', et qu’après avoir entendu mes explications, elle m’a dit 'et pourquoi tu ne dis rien ?', ça a été violent."

L 'actrice précise ensuite avoir trouvé la force de se livrer sur cette expérience traumatisante à 14 ans, mais pas tout de suite à ses parents. "Dans un premier temps, j’en ai parlé à ma grand-mère, c’est elle qui m’a sauvé la peau – elle m’a sauvé la peau tellement de fois ! Puis j’en ai parlé à mes parents, mais c’était plus tard, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que j’avais honte de n’avoir rien dit, c’est fou. La peur fait partie du voyage… Ma grand-mère m’a permis de sortir des griffes de cet homme. J’ai été sortie du cercle familial et envoyée en pension."

Manon des Sources : lumineuse Emmanuelle Béart

Pourquoi s'être confiée à sa mamie et non à sa mère et son père ? "Quelqu’un qui ne l’a pas vécu… je pense que ça n’arrive pas au cerveau, répond-elle. C’est forcément ça, qu’est-ce que ça peut être d’autre ? On ne peut pas être abandonné par ceux qui vous aiment. Moi, je pouvais dire 'il faut qu’on me sauve', mais j’étais incapable de donner des détails. À 14ans, on n’a pas envie de donner des détails sexuels. Je pense que c’était abstrait pour les autres."

"Je ne leur en veux pas", assure-t-elle à propos de leur "absence de réaction apparente" : "Non. J’en voudrais à mes proches si, après avoir vu ce documentaire, ils ne comprenaient pas. Si ce documentaire provoque du rejet, si on me dit que je n’aurais pas dû parler. Si quelqu’un me dit ça, je pense que je l’efface de ma vie. C’est maintenant qu’il faut accepter que je dise les choses. Qu’on ne piétine pas ces mots-là. Mais non, je ne leur en veux pas, ils n’y sont pour rien. Ça n’est pas seulement un problème familial, mais sociétal, politique. Qu’une mère, qu’un père ne voie pas, mais que toute une société continue à faire comme si ça n’existait pas…"

A 60 ans, Emmanuelle Béart raconte ensuite avoir pris un soin particulier en élevant ses enfants à ce qu'ils puissent parler de leur vie intime, se confier, ne jamais rester dans le secret. Elle assume aussi le fait ne de pas vouloir nommer publiquement son agresseur, même si cela peut sembler paradoxal dans sa démarche de libération de la parole. "Non, et je n’aurais pas supporté de prendre le risque d’entendre que ça n’a pas eu lieu, justifie-t-elle. Un non-lieu, c’est terrifiant, et c’est ce qui arrive aux trois quarts des gens qui portent plainte. Aujourd’hui, ma notoriété me permet de prendre une caméra, de trouver de l’argent pour faire ce film, et en même temps elle m’expose énormément, ainsi que beaucoup d’autres gens. Ça servirait à quoi de dire maintenant de qui il s’agit dans les médias ?"

Emmanuelle Béart révèle avoir été victime d'inceste
Abaca

Evoquant la force des femmes et de l'homme qui témoignent dans son documentaire, elle tient à préciser : "Je ne suis pas une victime, et ça n’est pas un film sur des victimes, mais sur des êtres qui ont été victimes et qui se battent. Moi, je considère que j’ai fait ma vie, mais 'ça' ne part jamais, ça ne s’en va jamais, ça ne se décolle jamais de soi. On peut courir autant qu’on veut, on peut créer, devenir mère, exercer un métier formidable… En ce qui me concerne, il y a eu une sorte de dissociation, de détachement, on n’est plus tout à fait en soi quand ça."

"Notre documentaire s’appelle 'Un silence si bruyant', titre que j’ai trouvé immédiatement, dit-elle aussi pour expliquer sa démarche. Ce silence, qui est d’abord imposé par celui qui vous viole, ce silence fait un bruit infernal à l’intérieur de soi et prend toutes les formes. [Long silence.] Pourquoi, à un moment donné, est-ce qu’on sort du silence ? Mais parce que ça fait trop de bruit ! Pourquoi on se tait, surtout dans un premier temps ? Parce qu’on a peur, parce qu’on a honte. Selon la situation et la personne qui vous agresse, on se dit : 'Et si c’était moi qui avais provoqué ça, moi, ce que je deviens, moi, mes seins…' Ce qu’il y a de terrible, c’est que souvent la personne qui agresse n’a même pas besoin de dire 'tais-toi', c’est implicite, on se tait. Et puis il y a la peur, aussi, de ne pas être cru. Ce qui est très dur à comprendre, c’est qu’il y a parfois comme des moments d’oubli dans ce parcours, il y a des flashs extrêmement nets, et des instants où l’on a du mal à réajuster la focale, à être précis dans ses souvenirs, comme s’il fallait en permanence réajuster sa mémoire."

Emmanuelle Béart - L'Etreinte : "La caméra est devenue une amie"