Robert Zemeckis adapte le classique animé de 1940 en téléfilm mi-live, mi-animé en 3D. Pour un résultat sympathique, qui n'arrive cependant pas à la cheville de son aîné.
Pourquoi s'obstiner à refaire en live, et souvent en moins bien, des (chefs-d')oeuvres, qui ont comblé des décennies de spectateurs ? Depuis le carton plein d'Alice au Pays des Merveilles, de Tim Burton, milliardaire au box-office il y a 12 ans, Disney nous pousse à nous reposer régulièrement cette question, en puisant dans son catalogue, effectivement inégalable en terme de grands classiques, pour les transformer en adaptation en live action. Maléfique, Le Livre de la Jungle, Cendrillon, La Belle et la Bête, Le Roi Lion, Dumbo, Cruella... plusieurs dessins animés ont déjà inspiré ce type de production, et ce n'était qu'une question de temps avant que Pinocchio (1940) ne soit un jour transformé en "vrai" film. Enfin, téléfilm, puisque le projet a immédiatement été annoncé pour étoffer le catalogue de Disney+, la plateforme de streaming lancée en 2019, et n'était donc pas destiné au cinéma.
Top 15 des chansons Disney qui restent dans la têteRevoici donc la marionnette qui rêve de devenir un vrai petit garçon, reprenant vie sous nos yeux, en animation virtuelle, cette fois, entouré de personnages créés et animés comme lui en CGI, mais aussi de vrais acteurs. Tom Hanks joue son papa Geppetto, Cynthia Erivo est la nouvelle Fée Bleue, Luke Evans (déjà dans le costume du génial Gaston de La Belle et la Bête) incarne le maléfique Cocher...
Première surprise : pour diriger cette version live de Pinocchio, on retrouve Robert Zemeckis. Allergique à toute forme de remake/réinvention de son propre classique, la trilogie Retour vers le futur, le cinéaste est donc chargé de nous en mettre plein la vue avec ce film qui demande logiquement une certaine maîtrise des effets visuels, mais aussi de la mise en scène, une poignée de passages du Pinocchio original étant particulièrement marquants : quand le petit héros prend vie, quand son jeune copain est transformé en âne (une séquence inspirée par les films d'horreur à l'ancienne, par exemple les jeux d'ombre de Nosferatu) ou le grand final avec Monstro. C'est aussi l'occasion pour le cinéaste de retrouver Tom Hanks. Lui qui a contribué à forger son image de "Monsieur-Tout-Le-Monde" américain grâce à Forrest Gump, Seul au monde ou Le Pôle Express, peut ici le filmer plus gentil que jamais. Après avoir interprété Walt Disney en personne dans un autre film inspiré cette fois d'un classique mi-live, mi-animé, Mary Poppins, la star de Dans l'ombre de Mary (2013) revient donc incarner l'un des personnages les plus populaires du studio.
Verdict ? Mitigé. Zemeckis maîtrise effectivement certains effets à la perfection, Jiminy Cricket, le narrateur de l'histoire transformé en conscience de Pinocchio, étant notamment parfaitement recréé. En revanche, quand ses personnages sont tirés de créatures plus réalistes, le résultat est parfois dérangeant. A l'image du minuscule chat Figaro, dont chaque apparition tombe dans l'"uncanny valley". La séquence finale est aussi une déception sur ce point, avec ses effets peu visibles/mal peaufinés dans l'obscurité de la bouche de la baleine.
C'est d'autant plus dommage que le réalisateur parvient souvent à s'amuser avec son modèle en glissant quelques clins d'oeils à sa propre filmo (Bonzour, Roger Rabbit !), à celle de son acteur fétiche (Tom Hanks est aussi la célèbre voix originale de Woody dans les Toy Story) ou quelques trouvailles rigolotes : vous saviez, vous, que quand le visage de Pinocchio se déforme derrière un bocal à poisson, il ressemble à Polochon ?
Au-delà de ces petites touches d'humour, la mission de Zemeckis et de son scénariste Chris Weitz (Fourmiz, Pour un Garçon, Rogue One...) est évidemment de moderniser le dessin animé. Avec une oeuvre de 1940, la tâche se révèle importante : la politique de "zéro cigarette" des nouvelles productions familiales de Disney impose des modifications drastiques. La violence des méchants envers le garçon de bois est atténuée (le Cocher devient plus grotesque, par exemple), mais en parallèle, une scène cruelle à l'école est ajoutée. La vie solitaire de Geppetto est explicitée. Le petit héros est aussi plus autonome que son modèle, la Fée Bleue n'intervenant plus dans la fameuse séquence du nez qui s'allonge quand il ment. Une pirouette scénaristique qui rappelle étrangement Shrek 2 (2004), soit une manière surprenante de boucler la boucle avec la parodie, tout en rappelant l'influence importante de Pinocchio dans l'inconscient collectif ! L'ajout d'une nouvelle héroïne, toute mignonne et toujours prête à aider Pinocchio avec sa marionnettiste, une jeune fille handicapée, est aussi une jolie trouvaille. Enfin, le duo prend soin de bien relier tous les éléments de l'intrigue entre eux, car dans les plus vieux dessins animés de Disney, l'histoire était parfois décousue, faite de saynètes ayant peu de liens entre elles.
Extrait de Pinocchio, de Robert Zemeckis : la fameuse scène du nez a bien changéPrenant des libertés -mais pas trop- avec son modèle et proposant quelques nouveautés pour surprendre le public, ce nouveau Pinocchio n'est en définitive pas désagréable à regarder, en famille, sur son canapé. Deviendra-t-il aussi culte que la version de 1940 ? Aucune chance : nous resterons toujours hantés par les ânes malheureux du classique animé, laissés à leur sort, et par l'animation incroyable des vagues entourant Monstro. En revanche, si vous voulez voir une adaptation de Pinocchio qui s'éloigne de la version qu'on a tous en tête, Guillermo del Toro est en train de préparer la sienne, en stop motion, pour Netflix. Sa version s'affranchira même du roman original de Carlo Collodi en transposant son histoire sous la dictature de Mussolini. Et si c'était ça, au fond, la clé d'une bonne adaptation de classique ? S'éloigner assez de son modèle pour raconter autre chose, apporter un plus ? Le studio a déjà prouvé que c'était possible, en 2014, avec Maléfique, un film très différent de La Belle au Bois Dormant (1959) et intéressant dans son approche de la figure de sa grande méchante, incarnée avec brio par Angelina Jolie. Avec Pinocchio, où il n'est question que de liens (à tisser, à couper...), on pouvait espérer une réflexion supplémentaire ? Tant pis. Ce sera peut-être pour la prochaine adaptation en live ? David Lowery (Peter et Elliott le dragon) prépare en ce moment une adaptation de Peter Pan (1953). Un dessin animé lui aussi riche en thématiques fortes... alors qui sait ?
Pinocchio, de Robert Zemeckis, avec Tom Hanks, Cynthia Erivo et Luke Evans, sort sur Disney + le 28 septembre 2022.
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