Surnommée la "Julia Roberts égyptienne", elle brille en femme en instance de divorce tentant de vivre au grand jour son nouvel amour dans un récit sous haute tension imaginé par Hinde Boujemaa. Rencontre.
Comment le cinéma est- il entré dans votre vie ?
Hend Sabri : D'abord comme simple téléspectatrice grâce à mon père qui, à l’âge de 10 ans, me réveillait pour que je regarde avec lui dans la nuit le Ciné-Club. C’est là que j’ai découvert mes premiers classiques : Amarcord, Mort à Venise… Ces films me passaient alors évidemment un peu au- dessus de la tête mais ils sont toujours restés gravés dans ma mémoire et m’ont donné envie d’en découvrir d’autres…
Comment êtes-vous passée de spectatrice à actrice ?
De manière totalement inattendue. J’avais 14 ans et j’accompagnais mes parents à un anniversaire où se trouvait le cinéaste Nouri Bouzid qui m’a repérée. Il avait écrit Les Silences du Palais que s’apprêtait à tourner Moufida Tlatli. Il lui a parlé de moi. J’ai donc pu passer le casting où j’ai été choisie. Or comment rêver meilleur départ ? Un rôle magnifique dans un film superbe qui a eu une reconnaissance internationale : une mention spéciale pour la Caméra d’Or à Cannes, des prix à Toronto, à Carthage…
Pourtant ensuite vous restez six ans sans tourner. Pourquoi ?
Parce que je voulais continuer mes études au lycée français de Tunis puis en faculté de droit où je suis devenue avocate.
Le cinéma va pourtant vous rattraper mais en Egypte…
Oui, grâce à une proposition de la réalisatrice Insas Al Deghidi pour son film Journal d’une adolescente. C’était en 2000. J’avais 20 ans. Et finalement, je suis restée pour une raison toute simple : contrairement à la Tunisie, on peut y vivre de son métier car l’Egypte c’est un peu le Hollywood de l’Orient. Je n’aurais jamais supporté de vivre dans une situation d’attente permanente. J’ai toujours préféré beaucoup travailler, quitte à faire des choses qui ont été moins bien accueillies, plutôt que de rester les bras croisés. Je n’ai jamais rien snobé.
Quel film a changé la donne dans votre parcours ?
C’est une accumulation. Les Silences du Palais a constitué la plus belle des cartes de visite. Puis il y a eu en 2006 le succès de L’Immeuble Yacoubian et en 2011 un film plus intimiste comme Asmaa où je joue une femme atteinte du SIDA. Mais, en parallèle, j’ai aussi tenu à faire des films plus populaires et je le revendique. Je ne voulais me laisser enfermer dans aucun type de cinéma et m’offrir cette liberté de passer de l’un à l’autre en espérant que ma notoriété puisse emmener des spectateurs habitués à des œuvres populaires vers le cinéma d’auteur.
C’est typiquement le cas avec Noura rêve qui marque votre retour en Tunisie. Vous y jouez une femme qui, à cinq jours de l’officialisation de son divorce, voit son mari ressortir de prison, l’empêchant de vivre à grand jour sa passion pour le nouvel homme de sa vie et faisant planant sur elle le risque d’une incarcération puisque l’adultère est passible de peine de prison en Tunisie. La réalisatrice Hinde Boujemaa vous a proposé directement ce rôle ?
Non et je comprends très bien pourquoi. Elle craignait que la présence d’un visage trop reconnaissable emmène le film ailleurs, qu’on voit plus l’actrice que le personnage. Ma notoriété jouait contre moi en quelque sorte. J’ai donc passé des essais. Et le processus fut très long. Je sais qu’elle a envisagé d’autres comédiennes mais à chaque fois, elle est revenue vers moi. Sans doute parce que je donnais aussi régulièrement des signaux de mon envie de faire ce film pour la puissance de ce rôle comme pour me libérer de ce carcan dans lequel la célébrité – qui a évidemment de nombreux avantages – peut vous enfermer. Mais une fois choisie, j’ai eu très peur de ne pas être à la hauteur de son scénario et de gâcher son film
Ces doutes ont duré tout au long du tournage ?
Oui car Noura est très représentative de la femme tunisienne moderne de 2018, donc très éloignée de moi qui vis au Caire depuis des années. Dans la manière de parler comme de se tenir physiquement. J’avais peur que les Tunisiens perçoivent quelque chose de faux car trop composé et que je n’arrive pas à me défaire de mon accent qui s’est un peu orientalisé. Ce fut mon obsession du premier et dernier jour de tournage. Mais cette peur s’est finalement révélée salutaire.
Qu’est ce qui vous avait autant séduit dans ce scénario et ce personnage ?
D’abord il s’agit d’un véritable page-turner qu’Hinde n’a cessé de peaufiner tout au long de cette aventure pour arriver à un résultat bannissant toute facilité manichéenne. A commencer par mon personnage qui veut juste sauver sa peau et celle de ses enfants et, pour cela, est évidemment prête à mentir sans vergogne. C’est finalement une femme ordinaire qui a tendance à compliquer les choses les plus simples par manque de recul, comme cela arrive à tout le monde dans les histoires d’amour. Et puis, il y a une scène qui, à elle seule, m’a donné envie de faire ce film. Celle de la confrontation en plan séquence au commissariat entre Noura, son mari et son amant… On pouvait la visualiser seconde par seconde, dès l’écriture. Et à jouer, c’était comme le meilleur du théâtre au cinéma ! Cette scène a nécessité deux jours de répétition et deux jours de tournage. On savait qu’on ne pouvait pas la rater sous peine de mettre le film par terre. Mais quel cadeau nous a fait Hinde !
On peut espérer vous voir prochainement dans un film français ?
J’ai été baignée dans la culture française et j’ai évidemment envie de tourner en France où j’ai un agent. J’espère que Noura rêve donnera envie à certains cinéastes de travailler avec moi. Mais je sais aussi que quand on ne vit pas sur place, avoir accès aux essais est plus compliqué. Je crois cependant à l’alignement des planètes. Et je suis sûre qu’un jour, ça finira par se produire.
Noura rêve, de Hinde Boujemaa, actuellement au cinéma
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