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Svelte, et sûr de lui, Keanu Reeves n’a pas changé. On a devant nous l’éternel Johnny Utah de Point Break, le Néo de Matrix : le temps ne semble pas avoir de prises sur lui, à l’exception d’une barbe poivre et sel. Ce mois d’avril, on peut le voir à l’affiche du blockbuster maudit 47 Ronin mais aussi - et surtout - devant et derrière la caméra de Man of Tai Chi, bon film d’arts martiaux à l’ancienne, son premier film en tant que réalisateur. A cette occasion, nous avons donc rencontré Keanu.Pourquoi cette fascination pour l’Asie ?Quand j’ai fait ces deux films en 2011, je ne pensais pas qu’ils allaient sortir presque en même temps en France en 2014. J’ai grandi en matant des films de Hong-Kong, des films de kung-fu, Kurosawa… Je lisais des haïkus de Bashô, la forme m’a frappé. La mélancolie, le conflit, l’ironie… Même le ridicule inhérent à la philosophie orientale - qui sommes-nous, d’où venons-nous… Quel est subvenir ? Pourquoi ce cerisier fleurit-il ? (rires) Et caetera. La dualité entre interne et externe, le rapport entre l’homme et la nature.Man of Tai Chi est votre premier film en tant que réalisateur. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?Je cherchais un scénario qui me plaisait. Celui de Man of Tai Chi m’a conquis, j’ai senti que c’était une histoire que je voulais vraiment raconter.Comment vous saviez que vous aviez la capacité ?En fait, j’ai beaucoup d’expérience dans le domaine. En tant qu’acteur, me faire diriger et regarder les réalisateurs au boulot. Passer plein de temps sur le plateau, en pré-production puis en post-production. Sauf que là c’est moi qui fait le boulot.C’est marrant, parce que dans le film vous jouez un peu un réalisateur : un mec qui organise des combats d’arts martiaux clandestins retransmis sur Internet…Ouais, c’est ça. En plus il se met en tête de diriger la vie du héros…En quoi le scénario de Man of Tai Chi vous a plu ?(long silence) Ce qui m’a vraiment plu, c’est que c’est l’histoire de Chen Hu, l’acteur principal. Il a un background de tai chi très traditionnel, à la fois dans son côté spirituel et dans son côté purement technique.  Il gagne de l’argent pour prendre soin de sa famille, de son maître, de son temple. Tiger gagne des combats mais perd peu à peu son âme. Le film prend en charge des thèmes très forts : rester fidèle à soi-même, refuser la facilité du monde occidental… Ca m'a beaucoup plu.Ca peut être le destin d’un acteur.Ou d’un journaliste. (rires) Faire des choses mauvaises pour de bonnes raisons… Mais bref, en tous cas j’ai fait le film parce que c’était marrant. Mettre en scène les combats de kung fu, ça m’excitait en termes de cinéma. Au-delà, je trouve que Man of Tai Chi parle du rapport entre sujet objet : on brise souvent  le quatrième mur en s’adressant à la caméra, la steadycam vous plonge dans les combats comme si vous y étiez… Il y a beaucoup de mise en scène [en français dans le texte], j’ai été très influencé par Michael Haneke. Pour moi, Funny Games a une énorme influence sur Man of Tai Chi. Parce que Haneke s’adresse au public, il met en question le voyeur qui devient observé… Dans mon film, il y a beaucoup de voyeurisme.Vous vouliez utiliser une caméra spéciale pour filmer les combats.Oui, je voulais une caméra montée sur un bras, commandée par ordinateur, pour pouvoir faire des plans-séquences de malade lors des scènes de combat, avec des angles encore jamais vus. Malheureusement ça coûtait trop cher pour notre budget de l’expédier en Chine où on tournait. On a shooté en steadycam et à la grue, classiquement.C’est Yuen Wo Ping qui chorégraphie les combats. Tiger Chen Hu a bossé sur Matrix. Et ça fait 15 ans que le film est sorti.Bosser de nouveau avec eux, ça bouclait la boucle. Je me rappelle de Wo Ping sur Matrix. Il était extrêmement collaboratif avec les Wachowski. Là, il a été d’une aide immense. On a fait presque que des combats un contre un, avec plein de détails pour les fans d’arts martiaux, notamment les styles de combats.Quel film de votre carrière trouvez-vous sous-estimé ?J’en ai pas mal… Surtout les récents. Henry’s Crime [sorti en DTV en France sous le titre Braquage à New York NDLR], Generation Um… C’est dur à dire, on espère toujours que le public aimera ce que vous faites. Mais je pense que A Scanner Darkly était vraiment génial.Il y a un remake de Point Break dans les tuyaux. Vous en pensez quoi ?Je ne sais rien sur ce film. Des gens m’en parlent, c’est tout. Je pense que c’est super.Oh, non, vous pouvez pas dire ça…Et pourquoi pas ? Ils ne vont pas le refaire, ils vont le réinventer. Je veux dire, c’est un classique. Aujourd’hui c’est ce qu’on fait. Le langage du storytelling cinématographique a changé. La télévision entraîne des changements dans la façon de raconter des histoires. Le format série met la pression au format court, celui du cinéma. Il faut constamment se réinventer… Comme la cuisine [en français dans le texte], on la déconstruit pour la réinventer, avec la technologie d’aujourd’hui. On parle aussi d'un reboot de la trilogie Matrix.Vraiment ? C’est complètement dingue. Ils ne peuvent pas faire ça.Interview Sylvestre PicardMan of Tai Chi de Keanu Reeves, avec Keanu Reeves, Tiger Hu Chen, Simon Yam, déjà dans les salles