C'est une success story comme seul Hollywood peut en écrire. Los Angeles, Californie, milieu des années 80. Tout frais sorti de l'UCLA, (l'une des plus illustres universités de Californie, dont sont issus des personnalités aussi diverses que John Carpenter, Ben Stiller, le compositeur de Star Wars John Williams ou les Doors), Shane Black, jeune adolescent américain rêvant de devenir acteur, cherche un moyen de gagner un peu d'argent. Sur les conseils de son ami et futur réalisateur Fred Dekker, il décide de s'essayer à l'écriture d'un scénario. En quelques semaines, les deux compères rédigent Shadow Company, une histoire de vétérans du Vietnam zombies lâchés dans une ville californienne massacrant tout ce qui bouge, qui leur vaut de trouver immédiatement un agent. Le script est bientôt optionné par Universal, avec Walter Hill comme producteur, et John Carpenter comme réalisateur. On a vu pire, pour un premier essai...L’Arme fatale : le Black cocktailShadow Company ne se fera jamais. Mais chauffé par l'expérience, Shane Black rédige en six semaines en solo son deuxième script, Lethal Weapon, que son agent parvient à vendre en 3 jours au producteur Joel Silver, pour 250 000 dollars ! Shane Black a alors 23 ans. Le film est certes réalisé avec un budget proche du néant dans des décors naturels (la villa où un trafiquant de drogue se noie dans la piscine, dont se moque le Sgt Riggs/Mel Gibson, est la propre maison du réalisateur du film, Richard Donner). Mais Lethal Weapon - L'Arme Fatale -, marque un tournant dans l'ère du cinéma à gros bras en revenant, en pleine période Rambo, Conan, Robocop et Terminator, à des personnages plus humains. Black invente un mélange aussi inédit que détonnant d'action, de polar noir et de comédie inspirée des 3 Stooges. Et la formule fait mouche : L'Arme Fatale est un énorme succès, qui offre à Mel Gibson un nouveau rôle emblématique après Mad Max. Nous sommes alors en 1987, et Shane Black, qui joue aussi l'un des rôles principaux dans Predator de John McTiernan (souvenez-vous, le Sgt Hawkins et sa blague sur une chatte géante qui renvoie un écho : c'était lui !), est propulsé dans la stratosphère. C'est le début de l'âge d'or. Avec son ami Fred Dekker, il co-écrit The Monster Squad que Dekker réalise, et apparaît dans Flic ou Zombie de Mark Goldblatt (écrit par son frère Terry Black). Avec le succès vient la décadence. Shane Black organise des fêtes qui deviennent légendaires, auxquelles tout le gratin d'Hollywood se bat pour entrer. A cette époque, le jeune scénariste est réellement le pivot créatif de tout un pan du cinéma d'action américain : c'est aussi lui qui a eu l'idée de changer le titre de l'adaptation du roman Nothing Lasts Forever en Die Hard, toujours pour Silver. Die Hard était en effet à l'origine le titre d'un autre de ses scripts, qui n’avait rien à voir et ne sera jamais produit.L’Arme fatale 2 : la gueule de boisEn 1988, Joel Silver lui réclame une suite à L'Arme Fatale, que Black avait de toute façon déjà prévue dès l'écriture du premier scénario (la dernière page était blanche, avec au milieu les mots "Martin Riggs will return in Lethal Weapon 2 : Bodycount"). Il rédige donc une première version de L'Arme Fatale 2 avec le romancier Warren Murphy... dans laquelle il tue le personnage de Martin Riggs ! Stupéfait, mais habitué aux excès du scénariste (dans une première version de L'Arme Fatale, Shane Black faisait exploser un camion rempli de cocaïne juste au dessus du signe HOLLYWOOD !), Silver l'écarte du projet qui est réécrit par Jeffrey Boam et conserve la férocité de l'original. Le film amorce un autre changement dans le paysage cinématographique américain, en commençant, et c'est une date, à intégrer le style des bastons et gunfights de Hong Kong, alors inconnu du grand public, mais qui fait rage dans les milieux cinéphiles où les copies VHS des polars de John Woo et des productions Tsui Hark s'arrachent.En l'espace de deux ans, le jeune scénariste aura réussi à changer le visage du cinéma d'action en le rendant plus humain et drôle, à trouver le titre de la série de films avec Bruce Willis qui va devenir légendaire, et à mettre en place avec la série qu'il a créée un conduit entre le cinéma asiatique et l'Occident. Il n'a même pas 30 ans. C’est du jamais vu. Mais côté coulisses, Shane Black va très mal. Trop de succès, trop tôt. Souffrant d'avoir été écarté de L'Arme Fatale 2, il culpabilise d'avoir gagné trop d'argent en si peu de temps. Un sentiment exacerbé par ce qu'il considère comme une dénaturation de ses intentions originales et de son style : le montage du premier Arme Fatale fait de Riggs un personnage secondaire (l'intention de départ sera plus tard recentrée par le montage director's cut, disponible en DVD), et la noirceur originelle est atténuée au profit de l'humour.Le Dernier Samaritain : tapis !En pleine dépression, jugé par ses amis comme aussi suicidaire que Martin Riggs (le personnage de L'Arme fatale serait l'alter-ego parfait du scénariste), il songe même à se rendre à Las Vegas pour parier le contenu intégral de son compte en banque sur le rouge à la roulette - son ami l'acteur Jim Birge, qui apparaît dans L'Arme Fatale 2, arrivera heureusement à l'en dissuader. Les choses ne vont pas s'arranger par la suite : alors que Black est au plus bas psychologiquement, il écrit Le Dernier Samaritain. Le personnage central du film, Joe Hallenbeck (Bruce Willis), est un homme brisé, reflétant son état d'esprit d'alors. A l’issue d’une vente aux enchères historique, le script est acheté en 1991 pour le chiffre record de 1.75 millions de dollars. Malgré lui, Black se retrouve brandi comme un modèle de réussite à Hollywood, alors qu'une fièvre s'empare de la ville, les studios se mettant à acheter à prix d'or des scénarios déjà terminés, faisant voler en éclats le système habituel : trouver un sujet de quelques lignes avant d'embaucher des scénaristes interchangeables pour l'écrire et le réécrire.Avec Le Dernier Samaritain, Joel Silver poursuit l'intégration de l'influence HK dans le cinéma américain (influence de plus en plus sensible dans L'Arme Fatale 3 et 4, puis dominante dans la saga Matrix), mais aussi la volonté des studios d'adoucir la noirceur des scénarios de Black pour en privilégier l'humour. Le film est un demi-succès en regard des sommes déboursées pour le script, et il ne deviendra pas une franchise, malgré la volonté évidente de l'auteur.Last Action Hero : erreur fataleShane Black essuie alors de nombreuses critiques de la part de ses pairs qui le considèrent comme un vulgaire entrepreneur. Déstabilisé, il se compromet dans le fiasco Last Action Hero qu'il accepte de réécrire pour la somme de 1 million de dollars. Ce choix malheureux (en dehors du montant du chèque) va marquer le début de la fin de sa success story. Le scénario d’origine de Zack Penn et Adam Leff est conçu comme une parodie critique des productions Silver et des propres scénarios de Black, qui commet ce qui s'apparente à un suicide artistique en acceptant de le réécrire. Il grossit le trait et trivialise sa marque de fabrique du héros dépressif dans une version pour enfants PG-13 qui fait peine a voir, et annonce la fin d'une ère magique qu'il avait pourtant participé à créer. A la fois déprimant et fascinant à regarder, le film, attendu comme le plus grand succès de l'année 1993, avec un Arnold Schwarzenegger surfant sur la vague de Terminator 2, est un bide monumental au box-office.Au revoir à jamais : le chant du cygneCette fois, Black déraille. Il apparaît la même année en flic dans un autre ratage, Robocop 3 de son ami Fred Dekker - qui se condamne ainsi automatiquement à la movie jail et ne réalisera plus jamais un film après. Certes, son scénario suivant, Au revoir à jamais, pulvérise encore un record puisqu'il est vendu, après une violente compétition entre les studios, à New Line, pour la somme astronomique de 4 millions de dollars (!). "Qu'est ce que vous vouliez que je fasse ?" déclarera Shane Black plus tard, "Répondre non merci, je préfère vous le vendre pour 250 000 ?". Sans doute que ce choix lui aurait évité le retour de bâton qui va suivre : alors qu'il encaisse le chèque et s'achète un manoir dans Hancock Park, sa vie privée s'écroule. Jaloux de son succès, ses amis d'adolescence, qui eux n'arrivent pas à vendre le moindre script, le laissent tomber. L'un deux lui enverra par la poste un RIB avec un message lui demandant de lui faire un virement du montant auquel il estime leur amitié. Black déposera sur le compte une grosse somme, mais ne le reverra plus jamais. Au revoir à jamais, qui porte bien son nom, est une version féminine de Jason Bourne avant l'heure qui vaut mieux que sa réputation. Mais après Last Action Hero, comment prendre le genre au sérieux ? Au revoir à jamais recoupe à peine son budget à l'international, et sonne aussi le glas du réalisateur Renny Harlin et de son idylle avec l'actrice Geena Davis. Black se retrouve ostracisé du jour au lendemain à Hollywood et sombre dans l'oubli, au moment où, coïncidence ? L'Arme Fatale livre un quatrième et ultime épisode.David FakrikianA suivre dans l'histoire secrète de Shane Black, épisode 2 : Les années noires
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L'histoire secrète de Shane Black - De l'Arme fatale à Au revoir à jamais : l'âge d'or
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