La Palme qu’on croyait promise à Mohammad Rasoulof est venue consacrer Anora, la comédie survitaminée de Sean Baker au fil d’un palmarès traduisant l’envie du jury de varier les plaisirs.
Depuis vendredi soir, la course à la Palme semblait pliée. Au-delà de la portée politique du geste, Les Graines du figuier sauvage de l’iranien Mohammad Rasoulof – en exil forcé de son pays qu’il a quitté clandestinement pour éviter de passer les 8 prochaines années de sa vie en prison – s’imposait par sa puissance cinématographique comme LE film majeur de cette édition 2024, venant bousculer le duel qui semblait devoir opposer les deux œuvres jusque là les plus enthousiasmantes : Anora de Sean Baker et Emilia Perez de Jacques Audiard.
Mais voilà, le jury de Greta Gerwig en a décidé autrement. Un geste d’orgueil égocentré pour ne pas se laisser dicter une victoire (trop) annoncée ? Possible évidemment, mais la récompense qui lui a été accordée – un prix spécial du jury, ajouté à la liste des récompenses distribuées chaque année – laisse croire à une autre hypothèse. Celle basique des goûts et des couleurs : le fait que la majorité d’entre eux a simplement pu ne pas aimer le film mais voulu souligner le courage de son auteur par un accessit.
Les goûts et les couleurs donc. Mais aussi un choix fort qui sera contesté par certain. Dans un festival qui a souvent vu des films triompher par et pour leur sujet, choisir une comédie, privilégier les fous rires aux larmes, a quelque chose d'audacieux voire de kamikaze dans le lieu du cinéma d’auteur-roi. C’est aussi rendre un grand service au festival en rappelant qu’au fond tous les genres ont de droit de cité (et d’être primés) dans la compétition cannoise. Car cette envie de varier les plaisirs se retrouve dans l’ensemble du palmarès où se côtoient une comédie musicale dans le monde des narco-trafiquants mexicains (Emilia Perez qui, avec deux prix, dont celui pour ses interprètes féminines, apparaît comme l’autre grand vainqueur de la soirée), un body horror dopé à l’hémoglobine (The Substance de Coralie Fargeat pour un surprenant prix du scénario qui n’est pas spontanément ce qu’on désignerait comme sa qualité majeure), le portrait sensoriel de deux femmes Indiennes en quête d’amour (All we imagine as light), un acteur dément dans un film tête à claques à souhait (Jesse Plemons dans Kinds of Kindness de Yorgos Lanthimos) dans un festival étonnamment pauvre en grandes performances d’interprètes masculins (là où la bataille a fait rage chez les femmes) et même l’inévitable film d’auteur pointu, ici à la limite de caricature par sa prétention poseuse (Grand tour de Miguel Gomes).
Oui, il y en a eu pour tous les goûts. Enfin presque. Le film le plus attendu de cette édition 2024 (le Megalopolis de Coppola) et plus largement les cinéastes ayant leur rond de serviette à Cannes (David Cronenberg, Paolo Sorrentino, Jia Zhang Ke, Christophe Honoré, Michel Hazanavicius, Andrea Arnold…) sont repartis bredouilles. Emporté par un vent de renouvellement donc, à l’exception de l’insubmersible Jacques Audiard récompensé une fois par décennie depuis les années 90,
On notera aussi que Anora offre sa première palme au cinéma américain depuis… 2011 et Tree of Life de Terrence Malick, récompensé comme cette année par un président de jury… américain (Robert de Niro à l’époque). Comme ce fut le cas pour la précédente, Fahrenheit 9/11 préféré au favori Old boy par le jury de Quentin Tarantino. Est-ce LA condition pour voir le pays de l’oncle Sam décrocher le Graal ? Jean Labadie (qui distribuera aussi le Megalopolis de Coppola), lui, ne connaît pas ce problème. A la tête du Pacte, il obtient sa 12ème Palme d’Or et sa deuxième consécutive après Anatomie d’une chute. Distributeur sans esprit de chapelle et sensible à tout type de cinéma, il ne pouvait au fond que triompher dans ce palmarès qui revendique haut et fort le même ouverture d’esprit.
Cannes 2024 : le palmarès de Première
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