En octobre 1998, le cinéaste était en couverture de Première pour nous parler de ses films de guerre. Et notamment de ce classique, porté par Tom Hanks, lui aussi interviewé.
En vue du 80e anniversaire du Débarquement, le 6 juin prochain, les chaînes de télévision multiplient les programmes spéciaux. France 3 misera ainsi ce soir sur un grand classique, Le Jour le plus long, pendant que TF1 Séries Films proposera Il faut sauver le soldat Ryan.
Ce blockbuster avait conquis Première, à l'automne 1988, notamment grâce à sa scène d'ouverture spectaculaire retraçant le Débarquement à Omaha Beach. Son réalisateur, Steven Spielberg, avait alors fait la couverture du numéro suivant, et en compagnie de Tom Hanks, il racontait la création de ce film de guerre réussi. Voici quelques extraits de ces entretiens, accordés à Gérard Delorme et Christian Jauberty.
Notez aussi que le film est actuellement disponible en VOD, notamment sur Première Max, et qu'il s'apprête à ressortir dans les salles françaises, le 6 juin 2024, justement. Tous les détails sont à lire ici.
Steven Spielberg : son interview culte pour Première en 1981"J'ai réalisé mon premier film sur la Seconde Guerre Mondiale quand j'avais 14 ans. C'était un petit film tourné en 8 mm à la maison, appelé Escape to Nowhere. La guerre servait davantage de décor pour des aventures, comme dans Indiana Jones. Plus tard, j'ai réalisé 1941 et Empire du soleil. En fait, la majeure partie de ma carrière tend vers Ryan. Quand Roger Rodat a écrit le premier jet de scénario, j'ai été frappé par l'aspect moral de la question : faut-il en envoyer huit pour en sauver un ? Avec cette interrogation, j'ai trouvé de quoi raconter non pas l'Histoire, mais une histoire que j'ai toujours eu envie de raconter sur la Seconde Guerre Mondiale. Une autre question m'intéressait : peut-on se conduire décemment en temps de guerre ?"
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Je ne voulais pas enjoliver la Seconde Guerre Mondiale ou faire un film de propagande. C'est du patriotisme exagéré et ostentatoire. J'adore revoir ces films (les blockbusters hollywoodiens d'après-guerre, ndlr) aujourd'hui ; certains sont brillamment mis en scène et interprétés, mais ils ne font qu'exalter le combat."
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Je ne suis pas sûr que j'aurais eu les tripes (de tourner la scène d'ouverture) il y a dix ans. A l'époque, il me manquait encore quelques étapes cruciales à parcourir. La plus importante d'entre elles est évidemment La Liste de Schindler. C'est là que j'ai utilisé la caméra portée et une approche semi-documentaire pour plus de réalisme dans la séquence de liquidation du ghetto de Cracovie. C'est au moins ce qui m'a donné le courage de tourner Ryan entièrement en caméra portée."
Quelques pages plus loin, Tom Hanks était lui aussi interviewé. Se disant d'abord ravi de cette première collaboration avec le cinéaste, qu'il a depuis retrouvé pour Arrête-moi si tu peux (2002), Le Pont des espions (2015) et Pentagon Papers (2017), il réagissait ensuite au choc de la première scène, qui avait reçu quelques critiques négatives à cause de sa violence, à sa sortie.
"Je n'avais aucune inquiétude à l'idée de travailler avec le réalisateur de films comme Rencontres du Troisième Type ou La Liste de Schindler. Il est incroyablement brillant. Réaliser des films est son état normal. Quand il ne travaille pas, il est juste ce drôle de gars discret, mal habillé, maladroit, qui passe son temps à parler de cinéma. Sur le plateau, il est dans son élément : il y est totalement concentré, à l'aise, et vous n'avez plus qu'à essayer de le suivre pour ne pas être celui qui fout en l'air ses idées.
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La violence dans les films est devenue tellement courante qu'elle s'est banalisée. Il n'y a pas un seul plan de violence gratuite dans notre film, pas une seule fois où l'on montre quelqu'un en train d'utiliser une arme parce que c'est cool. Nous montrons plutôt l'autre face des choses, les balles qui traversent la chair. Et ce n'est pas un spectacle agréable. Si nous avions mis en sourdine le coût humain des batailles telles que celle d'Omaha Beach, les émotions des personnages fonctionneraient beaucoup moins bien. De toute évidence, ce ne sera pas le cas de tout le monde, mais ceux qui survivront aux vingt-cinq premières minutes considéreront sûrement la vie humaine comme très précieuse et ne voudront plus voir mourir personne, ni les Américains, ni les nazis. Et ils n'en seront que plus anxieux de voir Ryan rentrer chez lui sain et sauf..."
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