Kristen Stewart dans Spencer
Prime Video

Un conte de fées perverti à la puissance envoûtante ou un portrait qui sonne terriblement creux. À part sur la performance de Kristen Stewart en Lady Di, la rédaction de Première est divisée par Spencer, disponible le 17 janvier sur Prime Video.

POUR. Que raconter de neuf sur Lady Di, icône tragique capturée par les biographies en tout genre et un biopic raté (le Diana d’Hirschbiegel) et figure centrale de la saison 4 de The Crown ? Quelle voix singulière faire entendre dans ce concert assourdissant célébrant une jeune femme seule contre tous, à la disparition brutale inéluctable ? Nul doute que Pablo Larraín a dû se poser mille fois cette question, lui qui avait pris si brillamment en 2017 le relais d’Aronofsky pour raconter une autre légende, Jackie Kennedy. Sa réponse fait voler en éclats toutes ces interrogations. Comme dans Jackie, le cinéaste se concentre sur quelques jours dans la vie de son héroïne – les festivités de Noël au domaine de la reine à Sandringham alors que son couple avec Charles vit ses derniers moments – et s’appuie sur cette réalité pour mieux la transcender. Dans Spencer, il raconte « sa » Diana en mode conte de fées perverti, se déployant dans un mélange de thriller psychologique hitchcockien, de film de fantômes et de giallo à travers un double

mouvement contradictoire mais parfaite- ment complémentaire. D’un côté, le geste du cinéaste – appuyé par la sublime lumière de Claire Mathon (Portrait de la jeune fille en feu) et la musique envoûtante de Johnny Greenwood – qui fait ressentir physiquement l’étouffement mental de son héroïne en l’en- fermant dans sa mise en scène. De l’autre, le geste de son actrice Kristen Stewart qui, dans un rôle de composition rare dans son parcours, fait exploser tous les murs de ses interprétations habituelles, ose le surjeu, habite de la tête aux pieds la douleur et la rage de son personnage. On ne l’a jamais vue aussi libre, aussi impressionnante, aussi fascinante. Et c’est en redécouvrant une actrice qu’on admire qu’on redécouvre son personnage. Il y avait bien quelque chose de plus à dire sur Lady Spencer. 

Thierry Chèze

Spencer avec Kristen Stewart
Neon

CONTRE. Dans Neruda et Jackie, ses deux précédentes incursions dans le registre du biopic (ou plutôt de l’anti-biopic), Pablo Larraín proposait des points de vue inédits, surprenants, inattendus, sur deux figures historiques : d’un côté, comment le poète chilien avait déliré son existence ; de l’autre, comment la veuve de JFK avait façon- né son mythe. Il s’intéresse aujourd’hui dans Spencer, troisième volet d’une trilogie informelle, à la figure de Lady Di, le temps d’une fête de Noël que la Princesse de Galles passe en compagnie de sa belle-mère qui la méprise, de son mari qui la trompe, de ses enfants qu’elle adore, et du monde entier qui tente, via les paparazzis en embuscade, d’apercevoir sa silhouette à travers les rideaux de sa chambre à coucher. La différence, ici, c’est que Larraín n’a manifestement rien à dire de plus qu’on ne sait déjà sur la triste légende de la princesse esseulée, prisonnière de sa tour d’ivoire, et bientôt tuée par la surexposition médiatique. Le sujet est rebattu, et l’empathie affichée par le cinéaste pour cette femme qui aimerait reprendre le contrôle de son existence paraît du coup mécanique, programmatique. On sent qu’il aimerait parfois emmener le tout vers le cinéma d’horreur, tracer un parallèle entre les couloirs de Sandringham et ceux de l’hôtel Overlook de Shining, mais cette promesse se dilue dans des séquences au symbolisme épais – les apparitions du spectre de la reine martyre Anne Boleyn, ou ce plan d’un oiseau mort sur une route de campagne, d’une lourdeur affolante. Reste Kristen Stewart, presque un film en soi à l’intérieur du film. L’actrice, après Seberg, poursuit ici superbement son étude au long cours des icônes blondes détruites par la célébrité. Chacun de ses battements de cil est spectaculaire, mais Larraín n’a pas su lui offrir l’écrin qu’elle méritait. 

Frédéric Foubert 

Spencer, de Pablo Larraín. Avec Kristen Stewart, Timothy Spall, Jack Farthing... Disponible le 17 janvier sur Amazon Prime Video.