Révélations ciné françaises de 2020: Jean- Pascal Zadi, Sandor Funtek, Melissa Guers
Gaumont- C8 Films / Les Valseurs/ Mathieu Ponchel

Devant ou derrière la caméra, leur talent a éclos en dépit du contexte si particulier pour la culture de ces douze derniers mois

AUREL (Josep)

Dessinateur de presse (pour Le Monde et Politis, entre autres), Aurel passe pour la première fois au cinéma en racontant le destin hors normes d’un de ses confrères, Josep Bartoli qui a fait partie des 450 000 Espagnols ayant fui en 1939 le régime franquiste (qui venait de conquérir l’Espagne) pour la France où ils se sont retrouvés parqués dans des camps construits à la hâte le long des plages des Pyrénées- Orientales. Son Josep est tout à la fois un film passionnant sur la Retirada, épisode sombre de l’histoire de France du 20ème siècle et un geste artistique d’une beauté renversante où les différentes techniques d’animation suivent et racontent l’évolution du travail de Bartoli. Le sommet animé de 2020


MAÏMOUNA DOUCOURE (Mignonnes)

Une affiche à total contresens, conçue par Netflix, l’a mise au cœur d’une polémique surréaliste, invitant même son film au cœur de la campagne présidentielle américaine. Mais une fois l’écume évaporée, reste l’essentiel : avec Mignonnes, Maïmouna Doucouré raconte brillamment, à hauteur de ses personnages, ces gamines (toutes génialement incarnées) à peine sorties de l’enfance et avides de passer à l’âge adulte en zappant la case adolescence. Un premier long métrage aux airs de feu d’artifice permanent. Dérageant ? Sans aucun doute. Voyeur ? A aucun moment : car son regard porté sur ces jeunes corps aspirant à être vus et likés est précisément celui que ses collégiennes portent sur elle- même et leurs copines.


DAVID DUFRESNE (Un pays qui se tient sage)

Réalisateur, journaliste (Libération, Mediapart), écrivain et lanceur d’alerte (via son compte Twitter où, depuis décembre 2018, il recense les témoignages de manifestants blessés par la police), David Dufresne signe son premier long métrage pour le cinéma avec ce film qui traite (hors COVID bien sûr) du sujet qui n’a cessé de faire la une des différents media tout au long de 2020 : les affrontements violents entre la police et divers manifestants. Par son parti pris de réalisation (des intervenants réagissant en binôme aux images d’échauffourées projetées sur grand écran, dans la longueur, contrairement à ce qui tourne en boucle sur les chaînes info) et la diversité de ses intervenants (policiers bien sûr mais aussi historiens, sociologue, avocat, journaliste, ethnographe, professeur, chauffeur routier…), il évite le piège facile du tout blanc ou tout noir, du portrait à charge de la police comme du procès fait à la violence des manifestants. Il ne compte pas les points mais donne les clés aux spectateurs pour comprendre. Un film d’utilité publique.


SANDOR FUNTEK (K contraire)

Aperçu dans La Vie d’Adèle, Dheepan, Noces ou Les Derniers Parisiens, il crève l’écran dans son premier premier rôle sous la direction de Sarah Marx : un jeune home de 25 ans qui, à sa sortie de prison, doit tout gérer tout à la fois sa réinsertion et la prise en charge de sa mère dépressive. Charisme, justesse de jeu et naturel puissant forment le cocktail parfait de cette révélation majeure de 2020 qu’on retrouvera l’année prochaine campant Kool Shen dans le Suprêmes d’Audrey Estrougo.


MELISSA GUERS (La Fille au bracelet)

La grande absente des pré- nominations au César de la révélation féminine, c’est elle ! Un choix assez peu compréhensible (et heureusement rattrapé en partie par une nomination aux Lumières) pour tous ceux qui ont pu voir et admirer sa composition impressionnante d’ambiguïté d’ado accusée du meurtre de sa meilleure amie sous la direction de Stéphane Demoustier. Sa première expérience au cinéma au terme de ce qui fut aussi son tout premier casting. Ces débuts exaltants ne devraient pas rester sans lendemain.


LEO KARMANN (La Dernière vie de Simon)

Un gamin qui révèle à son meilleur ami et sa sœur qu’il possède un don hors du commun : prendre l’apparence des gens qu’il a touchés, sans se douter que peu après, suite à un accident, son destin et celui de son meilleur pote vont basculer. Pour son premier long métrage, Léo Karmann s’aventure avec talent dans l’univers du réalisme fantastique avec une économie d’effets au service de l’émotion et de l’humanité véhiculée par ses personnages.


MANELE LABIDI (Un divan à Tunis)

En choisissant de traiter la période post- Printemps arabe sous l’angle de la comédie – et non du drame politique -, Manele Labidi a touché juste. Son Un divan à Tunis suit le retour, après 10 ans passés à Paris, d’une psy en Tunisie exercer son métier dans un pays où, pour nombre de ses habitants, demande de l’aide psychologique constitue un aveu de faiblesse. Elle y manie l’absurde comme une arme de précision pour raconter – par le prisme majoritaire des femmes - les traditions si difficiles à faire voler en éclats, même par un vent de liberté. Un joli succès mérité en salles.


FILIPPO MENEGHETTI (Deux)

Il a créé la surprise en étant choisi (notamment face à Maiwenn ou François Ozon) pour représenter la France dans la compétition à l’Oscar du film étranger avec Deux. Mais ce n’est que justice pour ce beau film ambitieux qui raconte l’histoire d’un amour impossible à vivre au grand jour entre deux retraitées septuagénaires, soudainement séparées par l’AVC de l’une d’elles. Car au lieu de s’enfermer dans son sujet, Filippo Meneghetti mêle de front film sociétal, mélo amoureux, drame familial et même ambiance de film fantastique pour un résultat extrêmement prenant.


BENJAMIN VOISIN (Un vrai bonhomme, La Dernière vie de Simon, Eté 85)

Sauf énorme surprise, il devrait en mars prochain brandir victorieusement le César du meilleur espoir masculin au terme de cette année 2020 vécue comme un accélérateur de particules. Pas moins de trois films en tête d’affiche où, à chaque fois, sa cinégénie et sa capacité à jouer les douleurs enfouis derrière une apparente joie de vivre ont fait mouche. On l’attend avec impatience en 2021 dans un autre registre, en Lucien Rubempré dans l’adaptation d’Illusions perdues de Balzac par Xavier Giannoli.


JEAN- PASCAL ZADI (Tout simplement noir)

On lui doit derrière comme devant la caméra la meilleure comédie de 2020. Un mockumentaire autour de la vadrouille de deux losers cherchant à organiser une marche des fiertés noires. Ou comment s’emparer de sujets sociétaux essentiels – la diversité au cœur du cinéma français, le communautarisme dans la société française – en faisant exploser les carcans du film à sujet par un politiquement incorrect ravageur, l’irrésistible autodérision de ceux qu’il a réunis avec son acolyte John Wax devant leur caméra et un sens imparable d’un burlesque débordant d’ironie. Le genre même de film dont on pouvait penser a priori « qu’on ne pouvait plus faire », faute de ne plus pouvoir en apparence rire de tout. Et à l’arrivée un carton en salles, doublé d’un plébiscite critique.


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