Le film de Ladj Ly est la première bombe du Festival, un inquiétant état des lieux de la banlieue, 24 ans après La Haine.
« Jusqu’ici tout va bien. Mais l’important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage ». En 1995, La Haine se concluait par ces mots terriblement prémonitoires, dix ans avant les émeutes de Clichy-sous-Bois et Montfermeil qui allaient embraser la banlieue parisienne. Ladj Ly, petit gars de Montfermeil qui y a documenté une bavure policière en 2008, a décidé à son tour de prendre les armes pour raconter “sa” banlieue. Issu du collectif Kourtrajmé (qui a révélé Kim Shapiron et Romain Gavras, le tout sous le parrainage de Vincent Cassel), Ly est tout sauf un novice : il a signé plusieurs documentaires dont À voix haute -coréalisé avec Stéphane de Freitas. Son style est celui du cinéma-guérilla, caméra légère à l’épaule, au plus près des gens et des situations -qui traduit d’ailleurs un sentiment d’urgence plus proche du style remuant de End of watch que de celui, très composé, de La Haine. D’entrée, on est pris à la gorge, à bord du véhicule de patrouille de trois flics de la BAC qui sillonne les quartiers de Montfermeil. Il y a là Chris, le chef de groupe grande gueule et vanneur, Gwada, le colosse taiseux, et Stéphane, un rookie dépassé venu de province. L’enregistrement par un drone d’une bavure commise dans l’affolement d’un attroupement mal maîtrisé va révéler la nature des différentes forces en présence.
Tous dans le même bateau
On pourrait résumer Les Misérables par “La Haine vu du côté des flics”. Ce serait un peu réducteur tant le film de Ladj Ly s’escrime à cartographier le plus précisément possible la France des quartiers : celle des flics de terrain, donc, celle des grands frères, celle des chefs de cité, celle des religieux, celle des enfants et, un peu, celle des parents. Le film montre notamment que tout le monde passe son temps à donner des gages aux autres, à tempérer des situations potentiellement explosives, à asseoir son autorité, à défendre son pré carré, etc. “Le Maire” autoproclamé de la cité demande ainsi des services aux flics qui en attendent en retour, sous l’œil sévère du chef spirituel de la communauté, un ancien voyou désormais barbu. Les enfants dans tout ça ? Ce sont les victimes de cette pax romana de façade qui absorbe les adultes et les laisse livrés à eux-mêmes, précipitant le quartier dans le chaos. La dernière demi-heure, la plus dingue, certainement la plus polémique, est une démonstration de force cinématographique qui restitue avec sauvagerie l’atmosphère de guerre urbaine ressentie en 2005. Quand La Haine montrait la faillite de la République, Les Misérables dénonce une autogestion précaire et irresponsable. Dans les deux cas, le futur est sombre comme en témoigne le dernier plan, terriblement angoissant.
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