Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
CREED II ★★★☆☆
De Steven Caple Jr.
L’essentiel
Une suite qui ne retient pas ses coups mais joue la sécurité : très plaisant à regarder, Creed II pèche par manque d’audace.
À la sortie de Creed – L’Héritage de Rocky Balboa, Michael B. Jordan disait qu’il s’agissait d’un one shot, promis juré. L’oeuvre d’un fan/ fils, Ryan Coogler, qui rendait autant hommage à Apollo Creed qu’à son père, fan de Rocky II. Mais voilà, le carton du film a ranimé la franchise Rocky et, on le sait depuis Hérodote, la vengeance est le moteur de l’histoire : en l’occurrence, Creed IIrejoue Rocky IVavec le fils d’Ivan Drago (celui qui a tué Apollo Creed en 1985) comme nouvel adversaire d’Adonis.
Sylvestre Picard
PREMIÈRE A ADORÉ
BORDER ★★★★★
De Ali Abbasi
Tina, jeune femme dotée d’un physique disgracieux, s’exprimant parfois en grognements et en reniflements animaux, travaille pour la douane suédoise. Et son flair est littéralement redoutable : elle est capable de détecter un suspect rien qu’à l’odorat. Un jour, elle tombe sur un trafiquant d’images interdites ; le lendemain, elle croise sur la frontière Vore, son double masculin, un être primal, tout aussi disgracieux qu’elle. Au cours de son enquête, elle va suivre Vore et basculer dans un autre monde. Résumées comme ça, les choses sont claires : Borderest un film fantastique avec une structure de polar. Une enquête, des indices, des suspects, des twists et une résolution. MaisBorder possède, tout comme le mystérieux Vore, un plan caché qui prend sens très rapidement.
Sylvestre Picard
AN ELEPHANT SITTING STILL ★★★★★
De Hu Bo
Cet « Elephant » arrive précédé d’une aura particulière qui ne saurait masquer l’essentiel : le film est une merveille tant expressive, dramatique que poétique. Hu Bo, son jeune auteur de 29 ans, s’est suicidé peu après le montage de son premier - et donc - ultime film. Un film-fleuve de près de 4 heures adoubé par de prestigieux parrains : Béla Tarr et Gus van Sant dont l’imprimatur ne surprend pas au vu de ce récit en forme d’errance où chaque plan séquence tente de rendre compte de la tragédie d’un monde au ralenti. Nous sommes dans une ville post-industrielle du Nord de la Chine (non nommée) où tout est gris à l’image de cet animal de foire : un éléphant impassible et assis, que plusieurs protagonistes veulent aller voir de près histoire de se refaire une santé morale ou tout simplement guidés par une curiosité qui apporterait un peu de couleur à un quotidien sinistré. Mais cet éléphant –attention spoiler– nous ne le verrons jamais, tout au plus son barrissement viendra hanter les ultimes secondes de cet opus, nous laissant à jamais avec -c’est le paradoxe du cinéma- sa forte présence à l’esprit.
Thomas Baurez
PREMIÈRE A AIMÉ
EDMOND ★★★☆☆
De Alexis Michalik
Paris, 1897 : rincé par le flop de sa dernière pièce, sans inspiration, le jeune auteur de théâtre Edmond Rostand est mis au pied du mur et doit créer en quelques jours une pièce pour le grand comédien Coquelin. À la suite d’un étrange concours de circonstances, il va raconter l’histoire de l’écrivain du XVIIe siècle, Cyrano de Bergerac.
Sylvestre Picard
LES INVISIBLES ★★★☆☆
De Louis-Julien Petit
C’est en France qu’on trouve l’héritier du cinéma social anglais. Il s’appelle Louis-Julien Petit. Entre Ken Loach et Stephen Frears, le cinéaste impose depuis son premier film, Discount, un cinéma citoyen. Dans Les Invisibles, ses héroïnes sont les femmes SDF, celles qui errent de refuge en refuge à la recherche d’un peu de chaleur. Louis-Julien Petit redonne un visage à celles qu’on ne voit plus. C’est à l’Envol, un centre d’accueil de jour, qu’elles viennent se poser sans jugement. Mais le centre est condamné à fermer pour cause de non-rentabilité – car même les structures sociales doivent être rentables ! – et ces femmes vont perdre leur point d’attache. Commence alors un combat collégial pour retourner la fatalité, une de ces histoires comme le cinéma les aime, où le système D et le vivre-ensemble triomphent du mal. Bien sûr, on sait que dans la vraie vie, tout est bien plus complexe et d’ailleurs, le réalisateur ne tombe pas dans le conte de fées. Mais sa mise en scène dynamique, ses dialogues percutants, sa galerie de personnages touchants donnent au film une vitalité communicative. Auquel s’ajoute le point fort de son film : la mise en lumière d’autres invisibles de la société, les travailleurs sociaux. En mettant en avant l’énergie de la lutte des responsables du centre, interprétées avec force et conviction par Corinne Masiero et Audrey Lamy, Louis-Julien Petit nous donne envie de lutter, à notre tour, contre l’inacceptable.
Sophie Benamon
L’HEURE DE LA SORTIE ★★★☆☆
De Sébastien Marnier
Dans Irréprochable, Sébastien Marnier maniait déjà la tension et l’angoisse. Avec son deuxième film, L’Heure de la sortie, il prouve qu’il peut aussi basculer dans le fantastique. Dès la scène d’ouverture, il prend le spectateur de court : un prof surveille sa classe tranquillement, puis se jette par la fenêtre. Pourquoi ? Quel est ce collège ? Qui sont vraiment ces élèves ? Le cinéaste nous entraîne alors dans les pas de leur nouveau professeur (Laurent Lafitte), sur les traces de ces ados aux comportements extrêmes. On les voit se défier, s’entraîner à résister à la douleur. Dans le regard de Lafitte, on sent immédiatement ces jeunes comme une menace. Les fausses pistes viennent bousculer nos préjugés et notre inconscient. Le film joue des non-dits, isolant son protagoniste dans un combat solitaire pour la vérité. L’Heure de la sortieest servi par les performances de ses acteurs (ados comme adultes) qui comptent énormément dans l’ambiance délétère, mais c’est la mise en scène précise et audacieuse de Sébastien Marnier qui retient notre attention. Choix des décors, utilisation des lumières, irruption d’éléments surnaturels, travail sur le son, tout confère au film une texture originale où l’angoisse monte confusément. De manière assez subtile, le réalisateur va alors intégrer une dimension onirique, surréaliste, qui nous fait imaginer le pire. Ainsi, le polar révèle peu à peu son vrai sujet et nous offre une puissante réflexion sur le monde actuel.
Sophie Benamon
IN MY ROOM ★★★☆☆
De Ulrich Köhler
Quand tout se redessine, que le monde soudain dépeuplé offre une seconde chance, comment réagir ? En voyant tout d’abord évoluer au milieu des vivants Armin, le héros fatigué de cette histoire, son horizon (et celui du film) apparaît bien bouché : l’apathie sentimentale et professionnelle règne. Puis Armin se réveille un matin et plus rien n’est comme avant. La plupart des êtres ont disparu. Au Festival de Cannes où il était présenté dans la section Un Certain Regard, le cinéaste allemand Ulrich Köhler répétait à l’envi qu’il n’y a rien de fantastique là-dedans : « Le désastre et la destruction de l’humanité ne sont pas le sujet principal du film. » Pas faux. In my roomreste accroché aux basques de son protagoniste qui va enfin faire l’expérience de l’altérité au moment où tout se dérobe et donc reprend son importance. Un film étrange et prenant.
Thomas Baurez
L’ANGE ★★★☆☆
De Luis Ortega
Aux débuts des seventies, la « révolution argentine » (doux euphémisme pour qualifier la dictature militaire) connaît ses derniers feux. C’est à ce moment-là que le pays voit surgir un ange noir, un sale gosse à la gueule parfaite qui va voler et tuer à foison sans une once de culpabilité. En adaptant ce parcours criminel en fiction, le cinéaste Luis Ortega ne cache pas sa fascination pour ce sombre héros que sa mise en scène s’emploie à ériger en obscur objet de désir. La caméra épouse toutes ses formes, érotise chacune de ses actions. Pourtant, nulle complaisance ici, ni psychologie de bazar, mais l’impression d’un enivrant voyage au bout de la nuit qui, sous ces atours sexy, révèle la face sombre d’un pays comme sidéré et anesthésié. Il y a du Pablo LarraÍn chez Luis Ortega dans cette façon de donner à son film des allures de messe noire.
Thierry Chèze
LES RÉVOLTÉS – IMAGES ET PAROLES DE MAI 1968 ★★★☆☆
De Jacques Kebadian et Michel Andrieu
Quoi de plus actuel qu'un film sur la révolte citoyenne ? Grace à des images d'archives uniques, filmées au plus près des échauffourées de mai 68, Jacques Kebadian et Michel Andrieu nous proposent une plongée dans la genèse de l'insurrection étudiante qui a secoué le peuple français. Dépouillée, cette fresque sociale offre une tribune aux étudiants et simples ouvriers. Un document précieux qui permet de comprendre la propagation du mouvement initié à Nanterre et le décloisonnement des luttes, à travers la voix de ceux qui en ont été les cerveaux et les artisans.
Jean-Baptiste Tournié
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
COMME ELLE VIENT ★★☆☆☆
De Swen de Pauw
La plus grande simplicité suffit parfois à faire passer le message. Swen de Pauw applique cette doctrine dans son nouveau documentaire Comme elle vient, entretien face caméra avec le docteur Georges Federmann. Sans filet, le charismatique psychiatre s'exprime longuement sur les problèmes qui affectent la médecine actuelle. Cet éternel engagé s'épanche notamment sur le refus d'accueil des marginaux (sans-papiers, pauvres, toxicomanes...) chez les praticiens. L'analyse mordante d'une médecine à deux vitesses dont la sélectivité est avant tout un héritage historique. En dépit d'un parti-pris intéressant, Comme elle vient pêche légèrement par l'absence de nuances sur un sujet aussi clivant.
Jean-Baptiste Tournié
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
FORGIVEN ★☆☆☆☆
De Roland Joffé
Quiconque s’essaye au mimétisme, s’expose au ridicule. Ce dernier ne tue pas et peut même parfois s’avérer payant. Voici donc qu’arrive Forest Whitaker (et son nez postiche) en Desmond Tutu dans ce Forgivensigné du jadis palmé Roland Joffé (Mission). L’action se déroule au mitan des années 90 dans une Afrique du Sud post-Apartheid. Mandela nomme l’archevêque Tutu à la tête de son programme : vérité et réconciliation. La sagesse du saint homme tente de canaliser la violence de certains détenus blancs et particulièrement de Piet Blomfield (Eric Bana, monolithique). On veut d’abord y croire (OK, le cinéma c’est l’artifice !) et puis, non, le scénario binaire et la mise en scène ronflante disqualifient toutes les bonnes intentions. Dès lors, la triste figure de Whitakerdevient un masque de cire dépourvu d’expressivité.
Thomas Baurez
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