Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
DOWNSIZING ★★★★☆
D’Alexander Payne
L’essentiel
Et si Alexander Payne, souvent critiqué pour son cynisme facile, était d’abord un grand sentimental, héritier des vieux utopistes hollywoodiens ?
Dès ses débuts, Alexander Payne a adopté une posture casse-gueule : celle de l’humaniste qui observe ses contemporains avec une distance goguenarde, voire une morgue confinant à la misanthropie. C’était flagrant dans Nebraska et son portrait ambigu de l’Amérique profonde, résumée aux rednecks dégénérés et aux grands espaces désincarnés. Le voir s’atteler à une fable d’anticipation est sans doute la meilleure idée qu’il pouvait avoir, la licence poétique qu’elle induit lui permettant de continuer à commenter le monde avec une hauteur moins discutable.
Christophe Narbonne
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PREMIÈRE A ADORÉ
BELINDA ★★★★☆
De Marie Dumora
Marie Dumora filme depuis quinze ans la même famille de la communauté Yéniche, dans l’est de la France. La documentariste a cette fois décidé de se concentrer sur Belinda. En fouillant dans les tonnes de rushes de ses précédents films, Dumora a pu trouver la matière pour façonner un portrait au long cours de la jeune femme façon Boyhood, en trois temps et au moins autant de scènes puissantes : à l’âge de 9 ans d’abord, la séparation brutale d’avec sa sœur au foyer, à 16 ans ensuite, le baptême d’un neveu auquel son père incarcéré ne peut assister mais qui va en palper l’émotion par la grâce d’une fantastique chaîne téléphonique, et enfin, à 23 ans, quand Belinda, malgré la prison et la fatigue qui mord déjà cruellement son visage, continue à croire dignement au bonheur. C’est déchirant.
Eric Vernay
PREMIÈRE A AIMÉ
VERS LA LUMIÈRE ★★★☆☆
De Naomi Kawase
Un Festival de Cannes sans Naomi Kawase, c’est un peu comme une soupe miso sans eau. Ne reste qu’un morceau de fromage gluant et sans goût. On exagère à peine, tant la cinéaste japonaise qui a sa place quasi assurée dès lors qu’un métrage est prêt, apporte forcément à une sélection calme, sérénité et un surcroit de tendresse. D’aucuns trouvent ce cinéma minimaliste et animiste un tantinet précieux où à force de chercher l’indicible dans une feuille d’arbre après la pluie ou de laisser lentement les sentiments affleurer à la surface de l’écran, rien ne bouge plus vraiment. Vers la lumière et son titre programmatique, s’annonçait sur le papier et dans ses premières minutes, comme une subtile mise en abîme de son cinéma (et du cinéma général), doublée d’une réflexion sur le langage des images. On suit ici le travail d’une audio-descriptrice de film, chargée de mettre des mots sur les images à l’attention de spectateurs mal ou non-voyants. Et puis, arrive dans sa vie photographe dont la vue se détériore peu à peu. Comment décrire un sentiment et restituer une émotion sourde ? La prise en charge du visible pour quelqu’un n’entraîne-t-elle pas une autre forme d’aveuglement? Ce sont toutes ses considérations philosophiques passionnantes que tente de saisir le film. Mais foin de théorie ici, la fiction et ses mystères sont plus forts que tout et apportent une forme de réponse. Vers la lumière c’est donc avant tout une histoire d’amour entre deux êtres qui essaient tant bien que mal de faire l’expérience de l’altérité. Un bien beau film en somme.
Thomas Baurez
SEULE SUR LA PLAGE LA NUIT ★★★☆☆
De Hong Sang-soo
Auteur de trois films en moins d’un an, Hong Sang-soo vient de connaître une période si prolifique que les affres de la création s’y déploient avec un naturel plus intense que jamais. Cet opus délicieusement lunatique commence ainsi par le séjour à Hambourg d’une actrice coréenne qui a mis sa carrière entre parenthèses après sa difficile rupture avec un réalisateur marié. Si la jeune femme semble trouver en Europe un havre de paix, ses activités apparaissent parfaitement insipides, au point qu’on se demande si le cinéma d’Hong Sang-soo n’a pas perdu là son intérêt et sa saveur. Mais lorsqu’elle retombe en Corée sur de vieilles connaissances et tient lors d’un dîner mémorable des propos désabusés sur l’amour et la lâcheté masculine, le film touche avec une rare crudité les amertumes de l’expérience amoureuse, effet décuplé par la performance de Kim Min-hee (star de Mademoiselle et présente dans les cinq dernières oeuvres d’Hong Sang-soo, elle a vu sa relation avec le cinéaste faire les choux gras de la presse). En refusant de s’abriter derrière la fiction pour mieux se laisser déborder par le réel, Seule sur la plage la nuit crée un certain vertige, seulement adouci par un versant onirique et une critique amusée des perfidies de l’industrie artistique, laquelle paraît condamnée à une répétition bêtement auto-satisfaite des mêmes schémas. Cette noirceur romantique donne toute sa saveur à ce nouveau cru. En attendant La Caméra de Claire, qui sortira dès le mois de mars.
Damien Leblanc
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PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
NORMANDIE NUE ★★☆☆☆
De Philippe Le Guay
Un village rural sinistré. La venue d’un fameux photographe américain, décidé à mettre à poil la population dans un champ, ne jetterait-il pas un éclairage opportun sur la situation du monde paysan ? Ce pitch ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ?
Christophe Narbonne
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UNE AVENTURE THÉÂTRALE, 30 ANS DE DÉCENTRALISATION ★★☆☆☆
De Daniel Cling
Il faut certes passer outre la forme qui peut questionner la présence de ce documentaire sur le grand écran au lieu du petit. Trop scolaire et didactique. Mais Daniel Cling réussit cependant ici à faire partager aux profanes une histoire unique entamée au lendemain de la seconde guerre mondiale : cette politique de décentralisation née du désir d’ouvrir le théâtre à ceux qui en étaient exclus. Et raconte, à travers un mélange d’interviews et d’archives ces pionniers qui, en dépit de moyens économiques plus que restreints, sont allés porter la parole du théâtre loin de Paris, dans des régions et des milieux où cette culture- là était inexistante. Un prisme original pour dépeindre aussi 30 ans de société française et la disparition progressive de l’esprit de troupe porté si joyeusement par ces hommes et femmes (dont Jacques Lassalle, disparu voilà peu) à cause de la montée en puissance de l’individualisation reine à tous les étages. De la nostalgie ? Oui mais heureuse.
Thierry Cheze
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
QUE LE DIABLE NOUS EMPORTE ★☆☆☆☆
De Jean-Claude Brisseau
Dans ce conte érotique filmé en 3D, Jean- Claude Brisseau met en scène deux colocatrices amantes au quotidien soudain bouleversé par leur rencontre avec une jeune femme sexuellement très libérée, poursuivie par son petit ami éconduit. Le tout sous le regard d’un voisin, vieux sage épris de yoga. Une histoire de désir(s) et de lévitation donc, comme un mix entre Choses secrètes et Céline. Et c’est bien là que le bât blesse. Car si comme tout auteur qui se respecte, Brisseau aime creuser film après film le même sillon, il donne ici l’impression de bégayer. Certes, il filme toujours aussi sensuellement les étreintes de ses différents protagonistes. Certes on peut être emporté par son obsession à percer le mystère du désir et sa croyance inouïe en ce qu’il raconte. Mais quand les mots prennent le pas sur les images, difficile de ne pas décrocher voire de pouffer presque malgré soi à ses discours naïfs sur le désir, plombés par l’interprétation plus qu’inégale de ses comédiens dont certains semblent totalement dépassés par ce qu’ils ont à jouer et appuient sur leurs dialogues au lieu de les sublimer. Seules Anna Sigalevitch et Fabienne Babe (qui retrouve Brisseau 30 ans après le magistral De bruit et de fureur) s’en tirent avec les honneurs.
Thierry Cheze
SI TU VOYAIS SON COEUR ★☆☆☆☆
De Joan Chemla
Si vous voyiez la séquence inaugurale, succession de magnifiques plans au ralenti d’une fête de mariage où sourd une violence muette, vous auriez l’impression que ce premier film pourrait vous emmener loin, dans un trip halluciné et viscéral. L’espoir est de courte durée : cette séquence appartient au passé du personnage principal, Daniel, hanté par des images de joie partagées avec son ami d’enfance, mort accidentellement à ses côtés. Au prix d’un montage assez artificiel, alternant flash-back et présent, ce portrait d’un homme blessé sombre dans le tableau caricatural d’une communauté de marginaux réunis dans un hôtel miteux, grotesque lieu de perdition et de rédemption.
Christophe Narbonne
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