Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
LICORICE PIZZA ★★★★★
De Paul Thomas Anderson
L’essentiel
A rebours de ses monolithes énigmatiques des dernières années, Paul Thomas Anderson signe son œuvre la plus accessible et lumineuse, en racontant une romance enivrante dans la Californie de 1973. Beau comme un premier film tourné avec le savoir-faire d’un grand maître.
Avec Licorice Pizza, le réalisateur est de retour sur les terres de Boogie Nights, Magnolia et Punch-Drunk Love, sa « trilogie de la Vallée de San Fernando », du nom de cette gigantesque banlieue de Los Angeles où il a grandi, séparée du reste de la ville par les collines de Hollywood. Et la première beauté de ce film est de le voir revenir au monde de sa jeunesse, de son apprentissage, riche de la hauteur de vue stylistique qui est désormais la sienne, et débarrassé ce qui plombait ses premiers longs métrages, cette envie de bander les muscles, de montrer sa force. Ce neuvième opus clame l’envie d’être comme un premier film, comme une première fois, une nouvelle œuvre de jeunesse, depuis son argument (une romance entre un ado acteur, beau parleur et une jeune femme, dans sa vingtaine, un peu trop vieille pour lui, mais qui va tomber sous le charme de son bagout, tout en prenant un malin plaisir à lui tenir tête) jusqu’à son (fabuleux) duo de débutants en tête d’affiche : Alana Haim, musicienne que PTA avait déjà dirigée dans des clips mais qui n’avait jamais joué la comédie, et Cooper Hoffman, fils de Philip Seymour Hoffman, qui fait ses débuts à l’écran.
Licorice Pizza se vit un film de pur plaisir, loin des casse-tête métaphysiques parfois intimidants dont son auteur avait fini par se faire une spécialité. Une balade seventies donnant l’impression d’avoir été tourné les mains dans les poches, un sourire rêveur aux lèvres et incroyablement enivrante. Peu de films auront aussi glorieusement capturé l’adolescence et la certitude inhérente à cet âge que rien ne pourra jamais abimer les moments vécus dans ces moments où tout, absolument tout, semble possible.
Frédéric Foubert
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
EN ATTENDANT BOJANGLES ★★★☆☆
De Régis Roinsard
Six ans après son triomphe en librairies, En attendant Bojangles connaît une nouvelle vie, sur grand écran, où l’on retrouve Camille et Georges, ce couple qui n’envisage la vie avec leur fils que sous le prisme du plaisir et de la fantaisie, loin de la banalité du quotidien. Et ce jusqu’au jour où Camille va un peu trop loin dans la folie et devient une menace pour elle- même et les autres. Après le loupé des Traducteurs, Régis Roinsard renoue ici avec un univers coloré à la Populaire. Et on sent le cinéaste très à l’aise dans les moments joyeux où l’espièglerie est aux commandes. Mais quand le ton se fait plus noir voire désespéré, il peut s’appuyer sur une Virginie Efira, à l’aise, elle, dans tous les registres. C’est elle qui donne le tempo du récit, ses éclats de rire, ses moments de grande émotion. Elle a beau squatter les écrans à un rythme d’enfer, on ne s’en lasse pas !
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéMES FRERES ET MOI ★★★☆☆
De Yohann Manca
L’été, la plage, le soleil, les parties de foot pieds nus mais aussi la cité, la mère malade, les grands frères qui gagnent de l’argent comme ils peuvent et... la voix de ténor de Pavarotti, que Nour, le plus petit, écoute en boucle. Nour (la révélation Maël Rouin Berrandou), c’est la part sensible d’une fratrie qui mise tout sur le physique. Ce premier long-métrage de Yohan Manca fait d’abord mine d’explorer schématiquement ce décalage, racontant peu ou prou la revanche du « poète » au pays des brutes. Puis il va s’employer à sortir régulièrement des rangs tel un enfant qui n’en ferait qu’à sa tête. Sa part d’humanité vient d’ailleurs de la marge et donc des frères dont chacun incarne une manière de se tenir plus ou moins droit face au monde. Parmi eux, on retiendra Mo (le désormais incontournable Sofiane Khammes), le plus solaire, qui nous gratifie le temps d’une séquence d’un formidable numéro à la Aldo Maccione. Mes frères et moi est aussi et surtout un film d’été, ce moment où la chaleur incite à ralentir la cadence sans pour autant laisser les rancœurs de côté, où le quartier paraît dépeuplé, où l’on grandit sans s’en apercevoir.
Thomas Baurez
TWIST A BAMAKO ★★★☆☆
De Robert Guédiguian
Indissociable de la ville de Marseille, Robert Guédiguian effectue avec Twist à Bamako, il effectue un long double voyage géographique et temporel. Cap sur le Mali des années 60 à l’indépendance fraîchement acquise, dans les pas d’un jeune militant parcourant le pays pour expliquer les vertus du socialisme qu’il a chevillées au corps. Et c’est lors de ce périple qu’il croise la route d’une jeune femme qui va bouleverser sa vie en fuyant clandestinement sa famille sur le point de la marier de force. Même s’il paraît un pas de côté, Twist à Bamako s’inscrit pleinement dans le cinéma de Guédiguian qui célèbre l’engagement sans en masquer les lendemains qui déchantent, comme quand ici des compagnons de route révolutionnaires basculent dans le fanatisme et renient l’humanisme qui les avait guidés. Cet humanisme qu’a chevillé au corps Guédiguian qui embrasse ce Mali dans un parfait équilibre entre connaissance pointue de son sujet et sens du romanesque mélodramatique. Il y révèle aussi une débutante renversante de justesse, dont on devrait entendre reparler très vite : Alice Da Luz.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéLUZZU ★★★☆☆
De Alex Camillieri
Alex Camilleri, vient de Malte mais vit et travaille aux Etats-Unis (New York) où il officie également comme monteur. En découvrant son premier long-, on devine ce qui à favoriser son départ vers de plus vastes horizons. Malte se présente à nous sous la forme d’une embarcation de pêcheur en bois traditionnel (répondant au doux nom de « Luzzu »), dont les couleurs vives cachent mal la fragilité. Pourtant le jeune héros de cette histoire, Jesmark s’accroche, cherche l’équilibre... Il reproduit soigneusement des gestes séculaires qui ne semblent plus avoir de sens à l’heure de l’industrialisation du marché de la pêche. Le libéralisme mondialisé et décomplexé n’a que faire des petites mains qui remontent un à un leurs filets. Jesmark a aussi une famille et donc d’autres problèmes à gérer : un nouveau-né à la santé fragile, une horrible belle-mère, une femme qui attend mieux, les factures qui s’amoncèlent... Et tel un héros d’un drame des frères Dardenne, Jesmark n’arrête jamais, son corps donne le rythme du film. La caméra ne le lâche pas. Son charisme renfrogné sait se montrer solaire quand il le faut et suggérer l’éclipse des sentiments quand les nuages s’amoncèlent au-dessus de sa tête. Dans ce décor digne de l’Odyssée, le héros se bat pour rester à flot. Luzzu est une épopée sociale au pouvoir magnétique.
Thomas Baurez
ROSY ★★★☆☆
De Marine Barniéras
A 21 ans, la rayonnante Marine, alors encore étudiante, a devant elle toute une vie qui semblait avoir été déjà très généreuse avec elle. Mais soudain tout s’écroule. Brutalement. Quand elle apprend qu’elle est atteinte d’une sclérose en plaques incurable qui fait planer sur elle la menace d’une paralysie totale. Et là, au lieu de suivre l’avis des médecins et commencer les traitements, elle décide d’entreprendre un voyage, seule à travers le monde avec une caméra pour s’habituer à vivre avec cette maladie qu’elle surnomme Rosy. Le résultat se révèle incroyablement lumineux, d’une émotion intense certes mais jamais lénifiante ou larmoyante. Car Marine Barniéras a ce talent de ne jamais faire rimer exploration de l’intime – sans se faire de cadeau - avec voyeurisme. La justesse avec laquelle elle se raconte force l’admiration. Un joli coup de cœur.
Thierry Cheze
MARCHE NOIR ★★★☆☆
De Abbas Amini
Après La Loi de Téhéran et Le diable n’existe pas, le cinéma iranien confirme sa grande forme avec ce premier long métrage, dont l’action débute dans un abattoir de Téhéran dans lequel son gardien découvre trois cadavres. Son patron magouilleur plaide l’accident. Et pour se protéger d’éventuels dommages collatéraux, le gardien fait appel à son fils – tout juste expulsé de France – pour se débarrasser des corps sans vie qui se révèlent ceux de… trois migrants syriens, dont la fille de l’un d’eux va très vite s’inquiéter de la disparition. Il n’y a pas de suspense à proprement parler dans Marché noir. Le spectateur sait très tôt tout des victimes et des coupables. Mais ce qui frappe c’est tout à la fois la tension permanente qui y règne et l’écriture de personnages riches en contradictions et culpabilité dévorante. Des premiers pas emballants.
Thierry Cheze
RESIDUE ★★★☆☆
De Merawi Gerima
Si le héros de ce premier long s’appelle Jay, il aurait pu prendre le nom de son réalisateur devant l’évidence de l’aspect autobiographique. Jay, donc, est un scénariste en herbe. Et aux yeux de ses amis d’enfance du quartier afro- américain où il a grandi et où il revient, sa réussite crée une distance voire une méfiance. A leurs yeux, il est semblable à ces proprios riches et blancs qui les remplace dans leur quartier dévoré par la gentrification. Residue raconte donc l’histoire d’un jeune homme sans communauté fixe, traité comme un étranger par ses amis et comme une menace – de part sa seule couleur de peau – par la classe moyenne blanche. Un récit sous haute tension tout à la fois ultra- réaliste par l’utilisation d’images réelles et à l’esthétisme très travaillé en multipliant différents styles de prises de vue et d’étalonnages. Le résultat est parfois déstabilisant mais d’une poésie assez fascinante.
Thierry Cheze
TRAVERSER ★★★☆☆
De Joël Akafou
« Ne me laisse pas dormir dans la rue... » supplie avec un calme olympien Touré Inza Junior surnommé « Bourgeois », en pianotant sur ses deux téléphones portables. Ce sont les derniers mots du film. Cette traversée nous laisse donc là, quelque-part près de la Gare du Nord avec cet exilé ivoirien à l’arrêt qui a pourtant connu les périples houleux qui mènent depuis son Afrique natale aux rivages de l’Europe. Le documentaire ne lâche pas son héros d’une semelle, rend compte de ses sur-places, accompagne ses sursauts, écoute ses conversations avec sa mère ponctuées invariablement de « Amen, amen, amen... » comme un mantra censé conjurer le mauvais sort. Traverser donne un visage, un corps, une parole et une conscience à ces invisibles qui rêvent d’un monde meilleur tout en chérissant la terre qu’ils ont été obligés de quitter. Passionnant.
Thomas Baurez
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
J’ETAIS A LA MAISON MAIS… ★★☆☆☆
De Angela Schanelec
Figure de la nouvelle Nouvelle Vague allemande, Angela Shanelec (Marseille, Orly…) est adepte d’un cinéma cérébral exigeant qui fait régulièrement se pâmer les festivals. Primé à Berlin, J’étais à la maison mais… n’échappe pas à la règle. Il y est question d’un deuil compliqué. Celui de la mort de son père pour un fils qui, quand le film débute, revient sans un mot d’explication auprès de sa mère désarmée après une semaine de de fugue. On sent à chaque instant la peur de la cinéaste de verser dans le chantage émotionnel. Sa mise en scène très maîtrisée est faite de tableaux successifs qui traduisent, par leur aspect dévitalisé, l’immense solitude des personnages dans l’espace. Mais cette rigidité finit par étouffer. Et, quand dans la dernière droite, le film entend tendre vers plus de chaleur, il est trop tard. Son artificialité explose plein écran, rendant impossible ce grand écart.
Thierry Cheze
Et aussi
Du beau cinéma, de Eric Dick
Guanzhou, une nouvelle ère, de Boris Svartzman
HK, la plume et l’espoir, de Clémentine et Thomas Basty
Mai 68 au masculin, de Jorge Amat
Make me a man, de Jerry Hyde et Mai Hua
Sword art online- progressive – Aria of a starless night , de Ayoko Kôno
355, de Simon Kinberg
Reprises
Europe 51, de Roberto Rossellini
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