Le cinéaste iranien qui vient de fuir son pays où il est harcelé par le régime fait partie des grands favoris avec ce drame politique oppressant.
A la Mostra de Venise en 2020, Mohammad Rasoulof obtient le Lion d’Or pour Le Diable n’existe pas, réflexion puissante sur la peine de mort dans son pays. Ce soir-là, le cinéaste retenu dans son pays aux mains d’un régime qui contrôle ses faits et gestes depuis 2009, ne peut bien sûr pas être présent. C’est sa fille Baran qui, un téléphone portable à la main, permet à son père de s’exprimer au monde via une visioconférence improvisée.
Quatre ans plus tard, le cinéaste iranien vient de dire (définitivement ?) au revoir à sa mère patrie qu’il a fui quelques jours avant l’ouverture de ce 77e Festival de Cannes où il présente en compétition Les Graines du figuier sauvage. Dans ce huis clos familial étouffant, les bruits d’une société qui voit sa jeunesse se soulever fissurent les bordures du cadre et plus sûrement les murs de l’appartement de Téhéran, lieu quasi unique de l’intrigue. L’action se passe, en effet, durant les émeutes qui ont accompagné la mort de la jeune Mahsa Amini, tuée par les autorités pour un "voile mal porté" en septembre 2022.
Mohammad Rasoulof, lui, a été condamné récemment par un tribunal iranien à huit ans de prison dont cinq applicables pour "atteinte à la sécurité nationale". La pression aura donc été trop forte et insoutenable pour un homme qui jusqu’ici montrait une résilience surprenante à l’instar de son ami-cinéaste et compagnon d’infortune, Jafar Panahi. Sa présence sur la Croisette pour la présentation officielle de ce dernier né, Les Graines du figuier sauvage a fait souffler un vent de liberté et de résistance. On voit mal comment le jury présidé par Greta Gerwig pourrait passer à côté de cette évidence cinématographique, l’une, sinon la plus forte de ce cru 2024.
Le geste du cinéaste iranien Mohammad Rasoulof au Festival de CannesL’évidence ne tient pas seulement au contexte particulier qui entoure le film, ni à son sujet mais bien à la puissance artistique déployée par une mise en scène implacable et un scénario qui ausculte les êtres avec une acuité dingue. Car si la ligne politique de Rasoulof semble claire, il cherche jusqu’au bout à comprendre ce qui guide ses personnages. A commencer par le protagoniste, Iman, bon père de famille fraîchement promu au sein de la hiérarchie administrative d’un tribunal révolutionnaire. Une promotion qui permettra à sa femme et ses deux filles d'habiter enfin le "quatre pièces" tant désiré et tant pis s’il lui faut pour cela signer des condamnations à mort sans trop chercher à savoir si la sentence est justifiée.
Le dilemme moral relatif à cette basse besogne sera peu à peu levé par cette croyance bien commode que Dieu décide de tout. Problème, dans la rue, la jeunesse se révolte et à la maison, Iman voit ses deux adolescentes lui renvoyer au visage la cruauté des autorités de ce pays. La perte de son arme de fonction va précipiter l’éclatement progressive d’un carcan familial devenu intenable.
L’action du film se déroule dans très peu de décors (clandestinité d’un tournage oblige !) renforçant cette idée d'enfermement physique, psychologique et politique. Le contre-champ de ce drame en chambre ce sont les vraies vidéos diffusées sur les réseaux sociaux de la répression ultra-violente des autorités. La fiction ainsi contaminée par le réel, est ébranlée, blessée. La fabrication des images et ses différents régimes (journaux télévisés, téléphones portables, cinématographiques...) s’interpénètrent pour sonder une vérité sans cesse confisquée et remise en cause.
Les perspectives du cadre ainsi bloquées finissent par sauter laissant place à un final qui va rejouer sous une forme volontairement excessive l’éclatement de la cellule familiale. Dès lors tout devient parabole, métaphore et terriblement concret. Victoire par chaos !
De Mohammad Rasoulof. Avec : Misagh Zare, Soheila Golestani, Mahsa Rostami... Durée : 2h48. Sortie indéterminée
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