Bilan Angoulême 2020 : Antoinette dans les Cévennes, Kad Merad, Nicolas Maury
Julien Panié - CHAPKA FILMS - LA FILMERIE- FRANCE 3 CINEMA- Carole Bethuel- Les Films du Losange

Chaque jour, retour sur trois temps forts de l’édition 2020 du festival du film francophone

Le film : Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal

On a découvert Caroline Vignal en 2000 avec son premier long métrage, Les Autres filles. Sélectionné à la Semaine de la Critique et accueilli chaleureusement par la critique, ce film n’a pourtant pas permis à sa réalisatrice d’enchaîner… Et ce n’est donc que 20 ans plus tard qu’elle nous donne de ses nouvelles avec ce qui est à ce jour l’un des plus beaux scénarios de cette année 2020. Pour sa limpidité, son refus de toute épate facile et sa manière de jouer avec le spectateur et ses a priori en délivrant un portrait de femme d’une densité rare dans le cinéma français.

L’entrée en matière d’Antoinette dans les Cévennes peut en effet laisser croire aux prémices d’un vaudeville classique avec son sempiternel trio mari- femme- maîtresse. Antoinette est une institutrice qui a pour amant Vladimir, le père d’une de ses élèves. Elle attend les vacances d’été avec impatience car Vladimir lui a promis une semaine en amoureux rien qu’à eux deux. Sauf que, la veille du départ, Vladimir, tout contrit, vient lui expliquer qu’il doit renoncer à leur escapade pour aller marcher dans les Cévennes avec sa femme et sa fille. Mais promis, juré, il sera de retour dans une semaine. Un temps KO, Antoinette décide de ne pas rester bêtement plantée à attendre et part sur un coup de tête dans les Cévennes sur ses traces avec, comme compagnon de ses recherches et ballades… un âne nommé Patrick, animal pas simple à gérer pour cette néophyte en rando montagnarde.

Cette phase d’installation est très rapide, le vrai- faux suspense autour de ses retrouvailles avec son amant tout autant. On comprend vite que cette ambiance de vaudeville n’est qu’un leurre que Caroline Vignal envoie d’ailleurs valdinguer dans le décor lors d’un échange musclé aux dialogues finement ciselés entre la femme qui fait comprendre qu’elle sait tout mais que son mari restera quoi qu’il arrive avec elle et la maîtresse qui fait mine de nier tout en étant ravagée par cette série d’uppercuts. Antoinette dans les Cévennes devient alors un autre film. Ou plutôt révèle au grand jour celui qu’il était depuis le début mais qu’on ne voyait pas. Le portrait d’une quadra non pas dépendante d’un amour mais en quête de son bonheur, envers et contre le regard et les a priori de tous. Le film raconte avec une perspicacité jamais dupe le regard des deux sexes sur cette femme venue seule en randonnée. Une briseuse de couple en puissance pour les unes, un cœur à prendre, une pauvre ère pathétique ou une héroïne pour les autres. Mais tout cela glisse sur Antoinette, de plus en plus libérée du quand dira t’on au fil de ce voyage initiatique mené sans préjuger du lendemain et de sa complicité grandissante avec cet âne, bien moins tête de mule qu’il n’y paraissait

Caroline Vignal n’assène ici jamais les choses. Son récit tend simplement un miroir aux spectateurs pour leur montrer que c’est leur regard à eux sur Antoinette qui évolue alors qu’elle, depuis le départ, n’obéit à aucun archétype. Dans ce rôle, le plus beau, le plus dense depuis ses débuts au cinéma, Laure Calamy déploie une palette de jeu qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de montrer jusque là avec une justesse et un enthousiasme qui comptent pour beaucoup dans le bonheur radieux pris devant les pérégrinations d’Antoinette. Avec des seconds rôles – Benjamin Laverhne et Olivia Côte en tête – au diapason, Antoinette dans les Cévennes s’impose comme la pépite de cette rentrée. Rendez- vous en salles le 16 septembre


L’acteur : Kad Merad dans Un triomphe

On a découvert Emmanuel Courcol réalisateur en 2016 avec Cessez le feu. Mais avant de passer derrière la caméra, il fut acteur. Et c’est sans doute ce qui l’a poussé à porter à l’écran ce récit inspiré d’une histoire vraie vécue par un Suédois. Celle d’un acteur en galère qui accepte, un jour, d’animer un atelier théâtre dans une prison. Au départ pour boucler ses fins du mois. Mais très vite, il va avoir une double révélation : le talent – dont ils n’ont pas conscience - de ceux qu’il dirige et son plaisir à mettre en scène pour la première fois. Et il décide de monter En attendant Godot hors les murs en se faisant fort de convaincre une hiérarchie pénitentiaire réticente. Notamment co- produit par Dany Boon et Robert Guédiguian, Un triomphe parvient à se jouer du récit cousu de fil blanc qu’il laisse faussement entrevoir. Et, dans le rôle central, Kad Merad livre une composition remarquable de bout en bout. Intense, précise, subtile sans le moindre chantage lacrymal, il ne rate pas sa rencontre avec l’un de ses plus beaux rôles avec le Paul Tellier de Je vais bien ne t’en fais pas et le Philippe Rickwaert de Baron noir. Il épouse à merveille chaque contradiction de son personnage qui, après avoir fait son deuil de ses rêves de gloire, se sert de cette aventure théâtrale autant qu’il sert ceux qu’il dirige. Nulle trace ici de complaisance ou de bons sentiments à la pelle. Kad Merad est au diapason parfait du ton du récit. Patience pour le découvrir. Ce sera pour le 6 janvier.

 

La révélation : Nicolas Maury avec Garçon chiffon

Dix pour cent a propulsé Nicolas Maury sur le devant de la scène. Et le voici qui franchit un nouveau cap en passant pour la première fois derrière la caméra avec Garçon chiffon. Un film éminemment personnel (il se déroule pour partie dans le Limousin qui l’a vu naître) et pourtant pas autobiographique. Une manière de se mettre à nu de manière aussi profonde que ludique, en multipliant les idées de mise en scène et en traduisant par celles- ci le drame intime vécu par son personnage central (qu’il incarne lui- même) à un moment où tout, dans son existence, prend l’eau - la relation avec son amoureux qui se délite, son père qui vient de se suicider, ce métier d’acteur où il peine à exister – et où il va tenter de se réparer auprès de sa mère. Nicolas Maury n’a pas peur des sentiments, de les exposer, de faire souffler le chaud et le froid, des grands moments de comédie (une scène géniale face à Laure Calamy, irrésistible en réalisatrice bien secouée) et des situations déchirantes (face à cette mère, admirablement campée par Nathalie Baye). Garçon chiffon n’a rien d’un robinet d’eau tiède. Il en agacera sans doute certains pour ces moments de curseur volontairement poussés trop loin. Mais nul ne pourra prétendre que Nicolas Maury n’avait pas un besoin viscéral de passer derrière la caméra. A vérifier en salles le 28 octobre.