Toutes les critiques de Regarde-moi

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Regarde-moi, premier film bancal, hésite entre le reportage et la fiction sans savoir se décider. Par chance, ce mélange maladroit de deux natures difficilement compatibles échappe au pire grâce à une facette de son sujet : les filles dans la cité, on en parle peu, eh bien on devrait.
    - Exprimez-vous sur le forum cinémaUne cité de la banlieue parisienne. Volontairement anonyme, parce qu'elle pourrait être n'importe laquelle. En bas des barres, des bandes. Garçons d'un côté, filles de l'autre. Il y a Jo, grand black tout juste recruté par un club de foot et donc sur le départ. Son pote Yannick, petit blanc qui ose porter des jeans, traficote, surprotège sa soeurette, et voudrait reconquérir la discrète Mélissa. Mouss, qui se la raconte devant sa glace, aimerait « serrer » Daphné mieux que ça. Et puis il y a Julie et Fatima. La première a une liaison avec Jo, la deuxième en rêverait…Un film en deux tempsDeux sexes, deux mondes. Dans l'histoire d'Audrey Estrougo, gars et nanas ne se mélangent pas. Leurs éventuels rapprochements sont l'objet de conversations sans fin : « t'as serré ? », « il a dit quoi ? », « elle est bonne ! ». Si les propos ne volent en apparence pas haut, il suffit de gratter un peu pour comprendre qu'ils sont les symptômes crus d'un univers aux codes complexes. Après une longue phase d'exposition, où la réalisatrice peint un tableau de surface de la cité, collée aux personnages masculins qui semblent régner sur le quartier, elle glisse sa caméra plus loin. C'est-à-dire au-delà de la première impression, là où se posent les problématiques, dans l'espace des filles. Deux temps pour une même histoire, comme un plan large suivi d'un plan serré. Cette deuxième partie du film revient en arrière, déroulant à nouveau les événements mais en changeant de point de vue. Pour voir ce qui nous avait échappé la première fois. Un « truc » cinématographique déjà vu ailleurs, mais néanmoins bien amené et dont l'apport est ici réel. Ce second regard permet d'aller plus au fond des choses, et de mettre enfin la main sur une silhouette d'intrigue, laquelle commençait à sérieusement manquer.Car Audrey Estrougo est manifestement pleine de bonne volonté, mais si elle maîtrise sans aucun doute son sujet, elle est moins aguerrie en matière de scénario et de réalisation. Elle ne voulait pas faire un reportage ? Toute la première partie de son film y ressemble pourtant étrangement. Elle voulait construire un vrai film ? Peut-être, mais son scénario part dans trop de sens, manque de cadre et de direction franche. Elle lâche un look de « documentaire malgré lui » pour plonger à corps perdu dans le « vrai cinéma », visant clairement les performances d'actrices. Parle simplement d'une réalité puis veut y caser brutalement une trame dramatique trop forte… Résultat de ces mélanges improbables : un peu de bon, pas mal d'intentions et beaucoup de désordre. En forme de valse hésitation, Regarde-moi cherche longtemps sa place, et ne la trouve pas vraiment.Un bon point pour les fillesAu coeur de cette navigation entre deux eaux, un autre déséquilibre émerge : quelques comédiens trouvent le ton juste, quand d'autres peinent à déclamer. Impardonnable quand on est dans le ton docu, au minimum maladroit quand on essaye de faire du cinéma. Et dans les deux cas, quelle que soit la partie du film dont on parle, ça ne colle pas. Par contre, là où Regarde-moi se distingue, c'est par sa description du monde des filles dans les cités. Rarement évoqué, le sujet est d'autant plus intéressant qu'Audrey Estrougo dépasse les apparences, s'exprime de l'intérieur et mène la vie dure aux clichés. Elle fait notamment percer une violence inattendue dans un cercle féminin, une souffrance profondément enfouie et masquée, un questionnement sur le statut même des filles dans le quartier mis en regard avec celui des femmes dans la société. Un bon point donc, et pas des moindres. Et qui vaudrait même le détour.Regarde-moi
    De Audrey Estrougo
    Avec Emilie de Preissac, Terry Nimajimbe, Salomé Stévenin
    Sortie en salles le 26 septembre
    Illus. © Gaumont Distribution
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