Première
par Christophe Narbonne
Le décor : un no man’s land, quartier général d’une unité de soldats sympathiques. Le héros : un laitier poète qui se protège des balles avec un parapluie. L’événement : la mort par calcination d’une mariée et de son frère, précipitant leurs prétendants dans le chaos et… l’amour. Les plans de fanfares rock et d’oies qui cacardent vous manquaient ? Les belles natures mortes de robes de mariées aussi ? Les silhouettes burlesques, les échos de conflits armés, la mort qui guette ? Emir Kusturica est de retour, toujours aussi vivant, généreux et hanté par cette guerre des Balkans qui a mis à feu et à sang l’ex-Yougoslavie dont il convoque ici moins la nostalgie (il l’a déjà fait dans le controversé Underground) que le souvenir cendreux. Le scénario, comme d’habitude décousu, oscille entre comédie potache et tragédie pure, délires expressionnistes et performances douloureuses. Le mauvais goût, des effets spéciaux cheap, des blagues inappropriées (le battement d’ailes d’un papillon qui détourne de leur mission des commandos sanguinaires, hum) alternent avec des idées romanesques folles et des plans d’un lyrisme puissant. Quelque part, on est content de voir que Kustu en a encore sous la pédale, qu’il reste cet éternel idéaliste anar à l’énergie épuisante que personne n’a jamais su (pu) canaliser. On regrette aussi qu’il ne la mette toujours pas (cette énergie) au service des personnages, éternels sacrifiés de ses épopées pittoresques.