Toutes les critiques de Le terminal

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Pas d'individualisation (de droit à l'anonymat) sans contrôle d'identité. Pour l'anthropologue, le non-lieu correspond à ces espaces modernes, ces espaces de transit tels que les autoroutes, centres commerciaux ou aéroports. Des lieux de fonction pure où l'homme se déplace, se mue selon une série de signes.
    L'homme, ainsi débarrassé de toutes les contingences temporelles et spatiales liées aux lieux, comme les fonctions d'usage d'une ville ou d'un village les déterminent (comme cadre dans lequel s'établissent des rapports liés à un contexte socioculturel, des habitudes, des modes de vie ou des pratiques), est alors confronté à lui-même et devient semblable aux autres. Souvent en relation contractuelle (billet de train, carte de crédit), l'utilisateur du non-lieu est toujours « tenu de prouver son innocence ». Pas d'individualisation (de droit à l'anonymat) sans contrôle d'identité. Pourtant c'est par ce processus obligé d'identification que l'individu accède à la désidentification. Pour rentrer dans l'espace anonyme du non-lieu, il faut valider son identité. Entré et sorti anonymement, l'individu circule alors dans un espace sans passé et avenir autre que celui d'un éventuel contrat passé avec l'objet de consommation.Que fait Steven Spielberg avec Le Terminal à partir de cette proposition analytique ? Certains diront bien peu de choses. En effet, la critique petite bourgeoise française s'est encore révélée d'un mépris et d'une condescendance féroce et gratuite (comme récemment pour le Lelouch, mais avec une avidité de sang dans la bouche un brin moins excessif, Spielberg est une cible moins facile à viser) à l'égard de cette oeuvre à la naïveté et l'optimisme paroxystique. Qu'est-ce qui dérange tant dans Le Terminal pour, entre autres, lui reprocher son humanisme triomphant, mièvre et d'un pathos que le cinéaste américain a rarement atteint ? Justement, c'est ça qui bouleverse et agace. La naïveté, la vraie, le cinéphile décrépi n'aime pas ça. Pour regarder Le Terminal, il n'est nullement besoin de décoder, d'analyser ou de commenter. Pas besoin d'être critique ou normalien. Spielberg s'en moque, il fonce dans le tas et il s'arme d'un arsenal de mélo facile et de surface qui défait tous les bavardages. Tout ce qui l'intéresse, c'est son spectateur qui lui n'a jamais besoin du ressentiment critique de quelques-uns.Le Terminal raconte l'histoire (vraie mais peu importe) d'un homme, Viktor Navorski (Tom Hanks), venu en voyage à New York pour compléter la collection d'autographes de son père, grand fan de jazz. Suite à un coup d'état dans son pays (de l'est), Viktor se trouve coincé à JFK (l'aéroport), avec l'impossibilité de rentrer ni chez lui ni sur le territoire américain. Il est donc un passager en devenir habitant d'un non-lieu : l'aéroport.Viktor erre ainsi dans un espace qu'il doit apprendre à vivre et à conquérir. Il se débrouille pour se faire de l'argent afin de manger, se fait des amis, trouve un boulot. Dixon (Stanley Tucci), chef de l'immigration avide d'une promotion lui met des bâtons dans les roues, mais peu importe. Viktor reste optimiste, il ne s'enfuira pas, il met toute son ingéniosité afin de faire de cet aéroport un espace dans lequel il peut survivre. Il y fait une rencontre amoureuse (Catherine Zeta Jones, superbe), et surtout il noue des contacts, se crée des relations. Tout Le Terminal réside ici, dans sa part excessive liée aux rapports humains. C'est en cela (même si Spielberg ne filme pas avec un talent inouï les conséquences des rapports de l'espace sur l'homme) que le cinéaste a parfaitement saisi l'implication d'une telle situation pour l'individu. Tout ce qui reste à Viktor c'est l'autre. L'homme en effet complètement éloigné des contingences liées aux lieux se trouve face à lui-même. Il ne peut que nouer des relations avec son prochain. Passager anonyme, Viktor fait tout, malgré lui, pour retrouver son identité (le jeu sur les signatures du générique de fin ne fait que parachever cette idée). Afin de rester un individu normal, il trouve les solutions pour continuer à maintenir les rapports contractuels et relationnels qui le lient à son nouvel environnement et aux autres.Tout Le Terminal fonctionne ainsi, dans son entêtement à concevoir une série de relations humaines entre Tom Hanks et une multitude de seconds rôles. Chacun, parfois avec un rôle un peu trop huilé pour la dramaturgie, va participer ou aider Viktor. Tous sont en transit (attente de promotion, relation amoureuse, hôtesse de l'air entre deux amants), le film est leur trait d'union. L'important, et ce qu'il faut saisir, c'est que pour Spielberg tout se conjugue par cette série de figures. Ce sont elles qui prouvent que le film est regardé d'un point de vue résolument américain, simple, presque simpliste. Par sa volonté de mettre en avant des valeurs sociales et politiques foncièrement premier degré, sa manière de définir des personnages en un clin d'oeil, et enfin par ce qui consiste à faire d'un individu ce héros ordinaire que le peuple (de l'aéroport) va célébrer avec euphorie, le film joue avec certains clichés américains. L'aéroport devient le symbole, l'archétype du melting pot américain que Spielberg stigmatise ici à outrance, sans le moindre second degré. Au contraire, il le filme et y croit avec une telle foi, un tel renoncement d'illustrer toutes les désillusions propres au rêve américain (qu'il connaît évidemment) que cette honnêteté force à croire en une utopie démocratique envers et contre tous. L'espace de l'aéroport devient ainsi un microcosme du dehors, une sorte de synthèse caricaturale et excessive, mais que Spielberg s'ingénie à filmer sans jamais en faire une farce. Le Terminal est un film confiant, pétri d'un humanisme presque maladif, où la mise en scène parfois mal à l'aise (mouvements ou cadres qui se décident mal, se révèlent parfois indécis sur la manière de saisir l'espace) de Spielberg prouve aussi combien ce déchaînement d'émotions surannées cache une angoisse presque puérile (les rapports de Spielberg à l'enfance sont courants).Enfin, si ambition politique il y a, en tentant de s'attarder sur quelques laissés pour compte débarqués chez l'oncle Sam, tout se doit d'être raconté sur le ton le plus accessible et le moins décalé, cynique et critique possible. Spielberg enfonce des portes ouvertes mais ne s'en cache pas, tout ce qui l'intéresse est une émotion brute et candide, une confiance totale pourtant fébrile dans le monde, l'autre, l'homme et son spectateur. Malgré les nombreuses tentatives de comédies pas toujours réussies, parfois lourdes (mais, on le répète, le film ne fait pas dans la finesse), Le Terminal se révèle surtout une oeuvre d'une crédulité inouïe. Avec son optimisme aveugle et têtu, il n'hésite pas à faire triompher les bons sentiments (la scène de la bague et du mariage, un must) avec une volonté d'excès si grossière que le film en devient émouvant et touchant. Monument mièvre et guimauve, Le Terminal est un film qui plaira à tous ceux qui n'ont pas encore été contaminés par le cynisme ambiant de notre époque. Le Terminal est un film d'amour, peut-être un peu bête, mais surtout rempli d'un souverain respect pour celui qui le regarde. Et puis, ne dit-on pas que l'amour rend aveugle et idiot ? Peut-être, mais parfois ça rend beau.Le Terminal
    Réal. : Steven Spielberg
    E.U., 2003, 128 min.
    Avec : Tom Hanks, Catherine Zeta Jones, Stanley Tucci, Chi Mc Bride, Diego Luna...
    Sortie en France : le 15 septembre 2004.
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