Toutes les critiques de Le Retour Du Fils Prodigue-Humiliés

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Le retour du fils prodigue montre, en deux mouvements distincts, la suite d'Ouvriers paysans et sa fin, dans Humiliés, la seconde partie du film. Les lieux sont les mêmes, les personnages sont les mêmes, mais du temps a passé, imposant à la succession des plans une construction différente.
    Tout tremble, à présent, dans l'apparente stabilité de l'image. La musique éclate aux génériques, elle se déploie dans l'intervalle d'un écran blanc. La terre sur laquelle chacun repose a cessé d'être silencieuse. Elle bruisse, elle gronde sourdement. - Lire l'interview de Straub et Huillet.Trouver une place, se donner ou prendre une place sur la terre. Découvrir un territoire du possible, du toucher, de la transformation et de l'action humaines. Si la question était ouverte à ce projet dans Ouvriers paysans, la réponse y restait suspendue à celle de la nourriture, de la chaleur produite. Elle voyait sa solution dans l'organisation de la survie pour une communauté née du refuge que des hommes et des femmes errants fondent, sur les ruines d'un village désert, dans des montagnes au sud de la Toscane. Mais maintenant, tout est par terre.
    Pour Le retour du fils prodigue, alors qu'il existe désormais un endroit où revenir, quand le territoire semble être enfin gagné à ceux qui l'habitent, les Humiliés de la seconde partie montrent sans détour, dans le corps de Siracusa (Rosalba Curatola) restée seule devant sa porte, l'éparpillement final, la défaite de ce qui avait pu s'unir.
    Qu'est-il arrivé entre temps ? C'est la question qui s'est révélée être impossible (pas le lieu). Tombée en désuétude. Elle est inconnue de la grammaire que transportent depuis la ville, dans le cadre et dans la clairière d'Ouvriers paysans, les représentants de la loi, économique d'une part : le cadastre, le propriétaire, et militaire de l'autre : les carabiniers. Aucune place sur la terre n'est accessible à la simple présence, ni au simple travail humain, dit le premier. De même, chaque parcelle de territoire appartient d'abord à une carte, à la loi, à un découpage d'intérêts économiques. Votre travail est inutile, disent les seconds. Ainsi naît l'humiliation.Pourtant, même impossible, la question demeure. C'est celle de la survie de la communauté, par la communauté des hommes et des femmes, sur la planète. Face à sa disparition dans la langue du pouvoir, Straub et Huillet déplacent le point de vue : choisir un diaphragme sera le plus difficile, afin de saisir, non par le drame de cette disparition, mais sa géométrie dans l'espace. Non pas l'histoire, mais le passage des mots de l'histoire dans l'air et sur le visage de ceux qui les disent, ou qui les lisent. Car, en effet, avec le vertige généralisé qui naît de l'humiliation, tout est affaire de mise au point. Et l'accusé, à la fin, dit au juge : Mais, d'où tu parles ? Qui es-tu ?
    Si les accusés ont encore cette force immense, dans le film, de renvoyer le juge à son point de vue - qui n'est pas le leur -, c'est qu'ils ont pour eux, d'une fidélité à toute épreuve, le sol. Chacun parle depuis un lieu précis, le sien, dans lequel il puise la force d'un regard qui ne plie pas. Mais contre eux, ils ont l'abstraction des mots. Les cinéastes insistent sur la présence concrète des mots de leurs « dépositions » écrites, à l'image. Les cahiers de travail annotés, pliés, dépliés, rangés en poche ou posés par terre, évoquent la tentative de planter le texte dans la matière. Pour le lier au lieu ? Pour que la question initiale reste possible ?« Que le monde aille à sa perte », disait Marguerite Duras. Qu'il aille à sa perte, en effet, reprennent les Humiliés. Parce qu'à l'hypocrisie, seule la violence apporte une réponse juste… Et pourtant, la douceur de l'air, les petites herbes qui poussent sur les talus sont encore là. En regardant bien, et même en passant, puisque Straub et Huillet on fait ce travail pour nous, de regarder longtemps, on peut voir autre chose. Dans ce « trou de verdure qui mousse de rayons » où les cinéastes surprennent, au croisement de la scène et de l'enregistrement, les plus fines tonalités sonores et lumineuses, on peut laisser s'accomplir le renversement qui tend, dans leurs films, à sortir l'homme du centre et à faire du paysage une puissance d'apparition au travail. Un travail de la nature donc, suscitant l'apparition des êtres humains comme celle de la lumière, l'émergence des bruits et l'imagination du hors champ infini, pour que les mots aient un sens.Le Retour du fils prodigue - Humiliés
    Film français (2002). Historique. Durée : 1h 04mn.
    Réalisé par Danièle Huillet, Jean-Marie Straub Avec Enrico Achilli, Andrea Balducci, Dolando Bernardini, Giampaolo Cassarino
    Sortie nationale le 23 Avril 2003
    - Lire la chronique du film Une visite au Louvre (2004)
    - Lire l'entretien avec Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (avril 2003)
    - Lire la chronique du film Le Retour du fils prodigue-Humiliés (2003)
    - Lire la chronique du film Ouvriers paysans (2001)
    - Lire la chronique du film Chronique d'Anna Magdalena Bach (1967)
    - Filmographie de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet